Key Points
  • L’affaire Ryanair a remis le Bélarus au centre de l’attention européenne en montrant le caractère transnational de la répression du régime autoritaire de Loukachenko.
  • Depuis le milieu des années 1990, la Russie souhaite s’assurer que ses voisins disposent d’une souveraineté limitée : des garanties économiques et sécuritaires sont données en échange d’un transfert de légitimité permettant au Kremlin d’apparaître comme une grande puissance.
  • Loukachenko a souligné que l’arrestation de Roman Protosevich et de sa compagne constituait «  un droit souverain  » du Bélarus.
  • Bien qu’isolé et dépendant de la Russie économiquement, Loukachenko peut en effet continuer à asseoir sa souveraineté en prenant des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de Moscou. Son calcul est simple : la Russie continuera à le soutenir quoi qu’il arrive car, si elle cessait, le Kremlin risquerait de céder le Bélarus à l’Occident.

Ce dimanche 23 mai, un avion de chasse MiG-23 a forcé un avion de ligne de la compagnie Ryanair en direction de Lituanie à atterrir à Minsk afin que les autorités du régime d’Alexandre Loukachenko puissent procéder à l’arrestation de l’opposant et journaliste Raman Protosevich qui se trouvait à bord. La répression du régime de Loukachenko a été mise en œuvre à un niveau transnational alors que le régime de Loukachenko réprime au niveau national les opposants au régime depuis le début d’une vague de manifestations à l’été 20201.

Cette transnationalisation de la répression d’un régime autoritaire s’inscrit notamment dans la lignée de l’assassinat de Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul. L’ONG Freedom House a répertorié 608 cas de répressions transnationales depuis 20142. Pour comprendre la logique de la décision prise par Loukachenko d’internationaliser sa répression et les implications pour le Bélarus, la Russie et l’Union Européenne, le prisme du concept de souveraineté fournit une clef pour permettre d’analyser cette crise.

Depuis le milieu des années 1990, la Russie souhaite s’assurer que ses voisins disposent d’une souveraineté limitée. Le Kremlin fournit des garanties économiques et sécuritaires aux anciennes républiques soviétiques afin de garder un certain degré de contrôle sur leurs prises de décision et de s’assurer que leurs préférences soient alignées sur celle de Moscou. En outre, limiter la souveraineté de ses voisins permet à Moscou d’accroître sa légitimité et d’apparaître comme une grande puissance et un pôle d’attraction dans l’arène internationale, au même titre que les États-Unis.

Dans cette perspective, l’isolation du Bélarus à la suite de la répression contre les manifestants a été perçue comme favorable aux intérêts de Moscou. Le Bélarus s’opposait ces dernières années à limiter sa souveraineté malgré les pressions du Kremlin. En janvier 2020, Loukachenko avait ainsi refusé d’accepter une hausse des prix du gaz et du pétrole décidée par la Russie et s’était alors engagé dans une diversification de ses fournisseurs d’énergie3. Toutefois, après sa réélection contestée en août 2020, Loukachenko a été contraint d’accepter les prêts économiques russes ces derniers mois afin de financer son appareil répressif et la survie du régime.

Loukachenko était à nouveau à Sotchi aujourd’hui 28 mai pour rencontrer le président russe et il est probable que le leader du Bélarus demande à nouveau à la Russie de financer son régime4. La souveraineté du Bélarus semble donc dorénavant grandement limitée et dépendante de la Russie.

En décidant de forcer un avion voyageant entre deux capitales européennes à atterrir, Loukachenko a démontré sa volonté de continuer à faire preuve de souveraineté sur l’ensemble de son territoire et de son espace aérien. Même si certains commentateurs ont rapidement pu affirmer que Loukachenko ne se serait jamais engagé dans le détournement sans l’aval de Moscou, rien à ce jour ne le prouve.

Milan Czerny

Toutefois, en décidant de forcer un avion voyageant entre deux capitales européennes à atterrir, Loukachenko a démontré sa volonté de continuer à faire preuve de souveraineté sur l’ensemble de son territoire et de son espace aérien. Même si certains commentateurs ont rapidement pu affirmer que Loukachenko ne se serait jamais engagé dans le détournement sans l’aval de Moscou, rien à ce jour ne le prouve. Loukachenko lui-même a souligné que l’arrestation de Roman Protosevich et de sa compagne constituait «  un droit souverain  » du Bélarus5.

Avec la mise en œuvre de cette décision, Minsk devient un allié problématique pour la Russie : le Kremlin n’a pas condamné mais n’a non plus offert de soutien explicite des actions de son voisin. Alors que Moscou tente de renouer un dialogue pragmatique avec Washington, se retrouver alliée avec un Bélarus qui devient un paria dans les relations internationales place la Russie dans une situation très inconfortable.

Bien qu’isolé et dépendant de la Russie économiquement, Loukachenko joue de cette vulnérabilité : il peut continuer à asseoir sa souveraineté en prenant des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de Moscou. Son calcul est simple : la Russie continuera à le soutenir quoi qu’il arrive car, si elle cessait, le Kremlin risquerait de céder le Bélarus à l’Occident. Certains opposants à Loukachenko, tels que l’ancien dirigeant de BelgazpromBank Viktor Babariko, auraient pu représenter une alternative acceptable pour Moscou au leader actuel du Bélarus. Toutefois, ceux-ci ont été rapidement jetés dans les geôles du KGB et les opposants encore en liberté comme Svetlana Tikhanovskaia sont perçus dorénavant comme contrôlés par l’Occident aux yeux du Kremlin.

Le calcul de Loukachenko est simple : la Russie continuera à le soutenir quoi qu’il arrive car, si elle cessait, le Kremlin risquerait de céder le Bélarus à l’Occident.

Milan Czerny

Loukachenko ne se perçoit donc pas en vassal du Kremlin et a de nouveau souligné quelques jours après l’arrestation de Roman Protosevich la possibilité pour son pays de conduire “une politique étrangère diversifiée” en construisant des liens avec la Chine, l’Inde et “dans toutes les directions où le Bélarus dispose d’intérêts économiques”. Bien que dos au mur, Loukachenko n’a pas hésité à arrêter un opposant sous protection de la juridiction européenne, ce qui constitue un défi à la souveraineté des États membres.

La question de la souveraineté européenne est ainsi également à considérer. L’Union constitue une institution supranationale basée sur le principe de souveraineté partagée. Les différents États membres disposent d’intérêts différents et cela a conduit par le passé à certaines incohérences dans la politique de l’UE envers le Bélarus. En 2009, la Pologne, soutenue par les pays Baltes a fait pression au niveau européen, malgré la réticence de certains États membres, pour lancer en 2009 la politique de voisinage de partenariat oriental afin d’intensifier les liens entre l’Union et les anciennes républiques soviétiques ; dont le Bélarus. Ainsi, malgré une répression qui était déjà à l’œuvre à l’époque, Loukachenko a reçu un soutien financier et une légitimité accrue de la part de l’Union européenne.

Celle-ci a enfin fait preuve d’unanimité pour condamner le détournement de l’avion. En outre, elle a pris la décision de fermer son espace aérien à la compagnie Belavia et de demander à ses compagnies aériennes d’éviter le survol du Bélarus. Toutefois, à nouveau, de premières failles sont déjà visibles dans l’approche commune de l’Union. Elle songe en effet à imposer des sanctions économiques afin de limiter l’importation de produits pétroliers et d’engrais depuis le Bélarus mais le coût de telles mesures risquerait d’être porté en grande partie par la Pologne, voisine du Bélarus. L’Union devrait ainsi soutenir Varsovie à supporter le coût de telles sanctions et les États membres pourraient mettre du temps à trouver un accord6.