• Les faits. Selon la reconstitution de Reuters, les autorités biélorusses ont forcé un avion de la compagnie aérienne Ryanair qui effectuait la liaison Athènes-Vilnius à dévier sa trajectoire et à atterrir à Minsk, la capitale du pays. Le plan de vol détaillé est ici.

L’objectif de cette opération ? Capturer Roman Protosevich, un opposant de premier plan du régime de Loukachenko, résidant en Lituanie. Journaliste et visage connu de Nexta TV, l’un des principaux réseaux de télévision de l’opposition au régime de Loukachenko, ayant joué un rôle important dans la mobilisation qui depuis le mois d’août 2020 a secoué le pays. Le créateur de Nexta, Stepan Putilo, ainsi que Prosevich ont été inscrits dans la liste des individus impliqués dans une organisation terroriste en décembre 2020. Le pouvoir Bélarusse avait ensuite demandé à la Pologne l’extradition des deux membres de l’opposition. Varsovie n’avait pas donné suite.

Si ne nombreuses zones d’ombres persistent, selon l’agence de presse officielle bélarussienne Belta, le président Alexandre Loukachenko est directement à l’origine du détournement et a donné l’ordre à un avion de chasse MiG-29 d’intercepter le vol FR4978 effectué par un Boeing 737 Ryanair, sous prétexte qu’il y avait des explosifs à bord.

  • De son côté, Tadeusz Giczan, rédacteur en chef de Nexta TV, a déclaré que « quand l’avion est entré dans l’espace aérien bélarusse, les officiers du KGB ont déclenché une bagarre avec le personnel de Ryanair ». Plusieurs sources semblent confirmer qu’au moins deux citoyens biélorusses et quatre citoyens russes ont fait escale à Minsk en refusant de reprendre le vol jusqu’à Vilnius.
  • Une affaire éminemment géopolitique. La réaction de l’Union a été particulièrement rapide et explicite. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen et le Haut représentant Josep Borrell ont pris position sur twitter quelques heures après que le détournement a été connu.
  • Les leaders des pays baltes, la Pologne et l’Allemagne ont également pris durement position en appelant à une réaction claire. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a pour sa part déclaré : « Un tel acte ne peut être toléré sans une réaction claire de l’Union européenne ». Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a quant à lui tweeté : « Il s’agit d’un incident grave et dangereux, qui nécessite une enquête internationale. Les autorités biélorusses doivent assurer le retour en toute sécurité de l’équipage et de tous les passagers à Vilnius. »
  • Est-ce le début d’une confrontation ? 
    • Le calendrier est important : nous sommes à la veille d’un Conseil à Bruxelles qui devait initialement porter sur le Coronavirus, le climat et la Russie. 
    • C’est donc un test pour l’ambition géopolitique souvent affichée par ses leaders européens, avec des résultats concrets pour le moins nuancés. Le porte-parole du Président du Conseil, Charles Michel, vient de déclarer que « la question de l’atterrissage forcé du vol Ryanair à Minsk » sera à l’ordre du jour ainsi que « les conséquences et les éventuelles sanctions ».
    • Selon certains commentateurs comme Bruno Maçães, l’escalade et des mesures sévères comme un embargo commercial côté européen pourraient offrir une occasion à Loukachenko d’annoncer l’état d’urgence et la mise en place d’une union politique avec la Russie de Poutine.
  • Du côté russe, comme le fait remarquer l’analyste du Groupe d’études géopolitiques, Milan Czerny, une rhétorique  « whataboutiste », courante en Russie pour rejeter les accusations occidentales, est déjà déployée  : la branche de Sputnik au Bélarus a mis en avant une comparaison entre ce détournement et l’arrestation de l’avion d’Evo Morales à Vienne en 2013 qui avait pour but de rechercher si Snowden se trouvait dans l’appareil. Sputnik Bélarus a été lancé fin 2014 par le groupe de presse russe Russia Today. Lors de tensions entre le Bélarus et la Russie, la branche de Sputnik à Minsk critiquait ouvertement les décisions du leader Bélarus, signe du contrôle exercé par le Kremlin sur le média. Ainsi, si le rôle et l’implication de la Russie dans l’opération menée par son voisin sont encore incertains, il semble que les médias étatiques russes souhaitent relativiser la portée de l’arrestation.