L’issue de l’élection américaine ayant été tranchée, la grande question sera de savoir si le gouvernement américain sera en mesure d’adopter un nouveau plan de relance pendant la période de transition et si l’Union européenne est également prête à jouer son rôle. La BCE semble continuer à espérer que le stimulus budgétaire européen puisse être élargi mais, bien que je pense qu’une expansion à l’échelle européenne serait souhaitable, je crois que ce sont les budgets nationaux qui feront encore le gros du travail en 2021. C’est la raison pour laquelle il est primordial de comprendre précisément ce qui est en train de se passer en Europe. 

J’ai eu quelques retours sceptiques par rapport à mon dernier papier dans le Financial Times dans lequel je montrais que la zone euro était en train de répéter ses erreurs de politique économique en menant une consolidation budgétaire trop importante et prématurée ; la remarque qui m’était adressée était que je minimisais l’importance du stimulus budgétaire en cours en France et en Allemagne. J’ai donc regardé les chiffres de plus près avec Jeremie Cohen-Setton et cela m’a rendu non pas moins, mais plus inquiet encore, concernant la relance budgétaire européenne ou plutôt son absence.

Il faut en réalité beaucoup creuser pour obtenir des estimations correctes de l’impulsion budgétaire parce que chaque pays utilise des normes ou astuces différentes pour enregistrer ses mesures budgétaires extraordinaires, ce qui tend à modifier profondément la manière habituelle de mesurer l’impulsion budgétaire (c’est-à-dire la modification du solde structurel).

Nous regardons plus spécifiquement les cas de la France et de l’Allemagne, mais nous élargissons l’exercice à suffisamment de pays de la zone euro pour obtenir une vision plus précise de la relance pour l’ensemble de la zone euro. Il sera intéressant de voir la réaction de la Commission européenne à propos de l’ensemble des plans budgétaires nationaux reçus, mais aussi de savoir si le FMI et l’OCDE feront pression pour un stimulus budgétaire européen plus important et pour un plus haut degré de coordination internationale sur le plan des politiques économiques.

En France

Le consensus général est que la France a annoncé le 3 septembre un grand plan de relance de 100 milliards d’euros, accroissant le déficit structurel de presque 2,5 % du PIB en 2021, rendant la politique budgétaire française très expansionniste l’année prochaine. 

Ce n’est pas ce que nous pensons. Dans le cadre du budget 2021, la position budgétaire de 2021 sera au mieux largement neutre et peut-être restrictive, avec le retrait des mesures d’urgence qui fera plus que compenser le stimulus budgétaire prévu par le plan de relance. 

La confusion vient en grande partie des choix comptables effectués par le Trésor français. En effet, toutes les mesures de soutien « d’urgence », introduites entre le mois de mars et le mois de juillet par trois actes réglementaires budgétaires supplémentaires, ont été exclues des calculs du solde structurel et ont été enregistrées à la place comme des mesures « ad hoc et temporaires »1. Les raisons de ce choix ne sont pas claires, surtout compte tenu des orientations données par la Commission européenne selon lesquelles ces mesures « d’urgence » ne doivent pas être traitées comme des mesures ponctuelles, et cette décision met la France en porte-à-faux avec les conventions comptables utilisées dans les autres pays, y compris l’Allemagne2. Ce choix révèle aussi l’espoir naïf que l’épidémie et ses conséquences économiques soient de courte durée et puissent être combattues avec des mesures ad hoc et ponctuelles.

Mais ce petit changement comptable a des conséquences profondes pour le calcul réel de l’impulsion budgétaire, étant donné que ces mesures représentent respectivement 2,6 et 0,2 % du PIB en 20203 et en 20214. En corrigeant ce traitement comptable inhabituel, on obtient une impulsion budgétaire neutre plutôt que forte, représentant 2,4 % du PIB en 2021.5

Ensuite, le Trésor a revu à la baisse ses estimations de l’élasticité des prélèvements obligatoires pour 2020-2021 de 1 à 0,8 pour prendre en compte le fait que les revenus fiscaux se sont révélés plus résilients en 2020 que ce que laissait penser le déclin de l’activité économique6. Le fait que l’élasticité des prélèvements obligatoires puisse fluctuer autour de sa moyenne historique est connu mais rend plus difficile l’interprétation des choix budgétaires discrétionnaires du gouvernement à partir du changement du solde structurel. Ici, cette modification augmente les revenus structurels et le solde structurel de 0,7 % du PIB en 2020 et le réduit du même montant en 20217. En retirant les effets de ces changements de l’élasticité de l’impôt, l’impulsion fiscale augmente de 0 à 1,4 % du PIB.

Donc, malgré les crédits d’impôt et l’augmentation de l’investissement inclus dans le plan de relance et l’augmentation des dépenses de santé prévue dans le cadre du Ségur de la santé, la politique budgétaire est actuellement conçue pour soutenir l’économie de manière moins forte en 2021 qu’en 2020. Cette consolidation budgétaire d’environ 1,4 % du PIB peut être décomposée de la manière suivante : 

  • Une contraction égale à 2,4 % du PIB associée au retrait des mesures exceptionnelles ;
  • Un stimulus égal à 1,2 % du PIB associé au plan de relance (0,8 % du PIB) et aux accords de Ségur pour la santé (0,4 % du PIB)8 ;
  • Une contraction budgétaire de 0,2 % du PIB associée à des réductions approuvées auparavant dans les dépenses.

En Allemagne

Le calcul du solde structurel allemand n’a pas été affecté par les mêmes changements ad hoc de conventions comptables qu’en France. 

Après une forte impulsion budgétaire d’environ 4 % du PIB en 2020, l’Allemagne entend maintenir son soutien budgétaire global à peu près au même niveau. Mais la variation du solde structurel (l’indicateur communément admis pour mesurer l’impulsion budgétaire d’une année sur l’autre) devrait être nulle en 2021.

Il est important de noter que l’Allemagne prévoit toujours de revenir à sa règle budgétaire en 2022 et donc de procéder à une consolidation brutale à ce moment-là. Il est essentiel que ces plans soient révisés et donc discutés dans le cadre des élections fédérales de septembre 2021. 

Conclusion 

Le récent article d’opinion de l’économiste en chef du FMI  dans le Financial Times suggère une certaine inquiétude quant à l’absence de réponse budgétaire et aux risques de guerres monétaires à la borne inférieure. La réalité est que l’Europe est au centre d’une plus grande réponse macroéconomique internationale. Et jusqu’à présent, plutôt que de prévoir un soutien supplémentaire en 2021, l’Allemagne et la France prévoient respectivement d’adopter une position budgétaire neutre/restrictive, ce qui est insuffisant compte tenu de l’ampleur de l’écart de production. L’OCDE et le FMI devraient veiller à ce que l’Union, à commencer par la France et l’Allemagne, entende ce message. 

Sources
  1. Les mesures de “relance” sont cependant incluses dans le calcul du solde budgétaire français.
  2. Commission européenne, “Guidelines for a streamlined format of the 2020 Stability and Convergence Programmes in light of the Covid-19 outbreak”, 6 avril 2020
  3. Avant l’annonce des nouvelles mesures associées au reconfinement.
  4. Cette comptabilisation particulière rend également difficiles les comparaisons internationales. L’Allemagne, par exemple, a adopté une approche plus conventionnelle dans son Projet de plan budgétaire et a inclus l’ensemble de ses mesures de soutien dans le calcul du solde structurel.
  5. Cette correction rend aussi l’impulsion budgétaire pour 2020 expansionniste plutôt que contractionnaire. Cela est plus en accord avec les 64,5 milliards d’euros de mesures d’urgence et de relance introduites en 2020 (2,9 % du PIB). Voir Haut Conseil des finances publiques.
  6. La révision de plus de 28 milliards d’euros pour 2020 est principalement due au déclin moins marqué que ce qui était anticipé par le 3e Projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) pour les revenus fiscaux de l’impôt sur les sociétés (+14 milliards €), de la TVA (+ 8 milliards €), de l’impôt sur le revenu (+3  milliards €) et des droits de mutation à titre onéreux (+3 milliards €).
  7. Comme l’a noté le Haut Conseil des Finances Publiques, le fait que l’impact indirect des mesures “d’urgence” sur la résilience des revenus des gouvernements soit pris en compte dans le calcul du solde structurel rend encore plus artificiel le fait d’exclure l’impact direct de ces mesures du calcul du solde budgétaire.
  8. Voir Article liminaire dans le Projet de Loi de Finances 2021.