Berne. Les citoyens suisses étaient appelés aux urnes, ce dimanche 27 septembre, pour se prononcer dans le cadre de cinq votations fédérales, auxquelles s’ajoutaient des scrutins et des votations locales dans 11 des 26 cantons. Quatre sessions de votations sont d’ordinaire organisées chaque année ; celles du mois de mai ayant été repoussées en raison de l’épidémie de coronavirus, le nombre de sujets mis aux voix était cette fois inhabituellement élevé. La participation, de l’ordre de 58 %1, est la deuxième plus élevée depuis 2010.

En raison de ses conséquences potentiellement explosives pour les relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne, l’initiative populaire « Pour une immigration modérée » (dite « initiative de limitation ») entendait contraindre le gouvernemnet, via une modification de la Constitution fédérale, à renégocier ou à dénoncer sous un délai de douze mois le traité du 21 juin 1999 qui garantit la libre-circulation entre la Confédération et l’Union européenne2. Elle proposait également d’introduire dans la Constitution le principe selon lequel la Suisse « règle de manière autonome l’immigration des étrangers » et interdire la conclusion de nouveau traités qui « accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers ». La Suisse comptait en 2019 2,2 millions d’étrangers résidant régulièrement sur son territoire (26 %) pour une population de 8,6 millions de personnes, dont 1,4 millions (17 %) de ressortissants de l’UE ou du Royaume-Uni3. Si elle avait été acceptée, la proposition, portée par le parti national-conservateur Union démocratique du centre (UDC), la Ligue des Tessinois (LDT) et l’Union démocratique fédérale (UDF), aurait provoqué l’annulation des 6 autres traités, dits Bilatéraux I, signés en 1999, du fait de la présence d’une clause « guillotine » liant entre eux les différents accords. Tant le Conseil fédéral (gouvernement) que le Conseil national (parlement) et l’ensemble des autres partis représentés au parlement s’étaient exprimés contre son adoption, craignant des conséquences néfastes pour l’économie et une dégradation durables des relations avec l’Union européenne4. Les principaux syndicats et organisations patronales avaient fait de même.

Le résultat de la votation, qui donne au camp du « non » (et donc du maintien de la libre circulation) une confortable (double) majorité de 62 % et 19½ cantons sur 23, intervient six ans après l’adoption par la majorité du peuple et des cantons de l’initative « Contre l’immigration de masse » portée elle aussi par l’UDC, qui avait introduit dans la Constitution des contingents annuels d’autorisations de séjour ainsi qu’un « principe de la préférence nationale »5 dans la fixation de ces quotas. À la suite de l’adoption de cette initative, qui empêchait le Conseil fédéral de ratifier le protocol additionel à l’accord de libre-circulation qui aurait étendu son application à la Croatie nouvellement entrée dans l’Union, la Commission européenne avait suspendu sine die les négociations avec la Suisse sur les programmes Horizon 2020 et Erasmus+, suscitant une vague de protestations dans le milieu universitaire6. La loi d’application votée par la suite s’était efforcée de limiter la portée de la modification constitutionnelle, sans pouvoir faire oublier les divisions profondes nées d’un résultat extrêmement étroit (50,3 %). Par la suite, l’UDC avait échoué par deux fois sur des initiatives visant directement les étrangers ou les organisations internationales (initiative « de mise en œuvre » en 2016, initiative « pour l’autodétermination » en 2018).

La géographie électorale de ce nouveau scrutin reproduit les clivages traditionnels. Une nouvelle fois, les cantons frontaliers de la France et ceux, très urbains, de Bâle-Ville et Zurich ont adopté les positions les plus pro-européennes (de 25,4 % à Bâle-Ville à 34,3 % à Zurich) alors que trois cantons ruraux de Suisse alémanique (Appenzell-Rhodes-Intérieures, Glaris, Schwyz) ainsi que le Tessin italianophone ont majoritairement accepté l’initiative, avec des scores allant 50 à 53 %. Dans un pays disposant de trois espaces linguistico-médiatiques relativement indépendants, marqué par de forts contrastes entre urbains et ruraux et une forte diversité culturelle et confessionnelle, ces résultats font apparaître trois blocs régionaux : la Suisse occidentale, de Bâle au Valais, plus ouverte sur l’Europe, à laquelle s’adjoint selon les scrutins l’agglomération zurichoise ; la Suisse centrale et le Tessin, historiquement conservateurs et catholiques, et qui sur le plan de la politique européenne ont montré au cours des dernières décennies des tendances isolationnistes ; enfin le reste de la Suisse germanophone et des Grisons, avec une présence protestante plus importante, qui occupent une position intermédiaire. Au sein de ces ensembles, l’opposition entre ville et campagnes font apparaître des contrastes parfois importants, similaires à ceux observés dans nombre d’États de l’Union.

Enfin, si un succès de l’initiative de régulation aurait conduit à de graves tensions bilatérales, son rejet est loin de signer la fin des difficultés dans le cadre des négocations entre la Suisse et l’Union. La négociation de l’accord-cadre qui doit remplacer la multitude de traités existants, et dont certaines dispositions sont bien plus largement contestées, notamment par les organisations syndicales, est en effet toujours au point mort. Le rejet de l’initiative, qu’attendait le Conseil fédéral pour poursuivre son dialogue avec l’Union, devrait certes relancer le processus. Il est cependant loin d’être acquis que le texte, concernant lequel le Conseil fédéral avait formulé plusieurs demandes de clarifications à la Commission Juncker et que l’UE n’est pas prête à amender en profondeur, survivra dans sa version définitive à une nouvelle initiative populaire. Côté suisse, les perspectives semblent d’autant plus incertaines que la Présidente von der Leyen ne s’est pas encore exprimée sur le sujet – et que l’actualité bruxelloise, dominée par la pandémie de coronavirus et par la question du Brexit, ne paraît guère jouer en faveur d’une renégociation longue et complexe.

Autres résultats des votations fédérales du 27 septembre :
• L’achat de nouveaux avions de combat, qui requérait la majorité simple, est validé par seulement 9000 voix d’avance (50,1 %).
• La loi sur la chasse qui envisageait de faciliter l’abattage « préventif » de loups jugés dangereux pour les troupeaux est rejetée par 51,9 % des voix.
• La création d’un congé paternité de deux semaines est acceptée par 60,3 % des voix.
• La loi prévoyant des déductions fiscales supplémentaires pour les ménages aisés avec enfants est largement rejetée (63,2 %).

Sources
  1. Abstimmung 27. September 2020, SRF, 27 septembre 2020.
  2. Initiative populaire fédérale ‘Pour une immigration modérée (initiative de limitation), Chancellerie fédérale.
  3. Effectif et évolution de la population et  Population de nationalité étrangèr, Office fédéral de la statistique, consulté le 27 septembre 2020.
  4. Initiative de limitation : le Conseil fédéral ne veut pas dénoncer la libre circulation des personnes, Département fédéral de justice et police.
  5. Article 121a de la Constitution fédéral de la Confédération suisse.
  6. LENZ Christoph, Elite-Universitäten schliessen Schweizer Studenten aus, Tagesanzeiger, 28 avril 2017.