27 septembre 2020  : la guerre est déclarée entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ou plutôt reprend officiellement son cours. Des combats meurtriers ont éclaté entre les forces azerbaïdjanaises et la région séparatiste du Haut-Karabakh, soutenue par Erevan. Les deux camps renvoient à leur adversaire la faute de cette flambée de violence, chacun affirmant avoir répliqué aux provocations de l’autre.

La communauté arménienne de France est en émoi, à juste titre. Des dizaines de civils, cibles de bombardements ou de tirs, ont trouvé la mort. Le cauchemar du génocide arménien par l’armée turque en 1915, qui couta la vie à plus d’1,2 million personnes, est ravivé.

Des combats meurtriers ont éclaté entre les forces azerbaïdjanaises et la région séparatiste du Haut-Karabakh, soutenue par Erevan. Les deux camps renvoient à leur adversaire la faute de cette flambée de violence, chacun affirmant avoir répliqué aux provocations de l’autre.

Sébastien Nadot

Coté Azerbaïdjan, le droit international est convoqué. Quatre résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies datant de 1993, sur l’occupation de la région de Kelbedjer, l’occupation de la ville d’Aghdam, celle des quartiers de Fuzouli, Jebrail et Goubadly et enfin l’occupation de la région de Zenguilan, confirment l’inviolabilité territoriale de l’Azerbaïdjan et exigent un cessez-le-feu immédiat ainsi que le retrait des forces d’occupation des territoires de la République d’Azerbaïdjan. Or, aucune de ces résolutions n’a été mise en œuvre et les efforts de médiation qui se déroulent depuis dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) n’ont porté aucun fruit.

Un différend jamais réglé

La question de la souveraineté territoriale de cette terre d’environ 11 500 km² et de près de 150 000 habitants, coincée entre Azerbaïdjan, Arménie et Iran, est à peu près aussi ancienne que les archives dont on dispose sur la région. Au sortir de la Première guerre mondiale, ni la conférence de la paix de Paris de 1919 ni le Traité de Sèvres du 10 août 1920 entre les Alliés et l’Empire ottoman n’apporteront la moindre proposition de résolution du conflit. Les Bolcheviks, puis l’URSS à partir de 1922, poseront une sorte de chape de plomb sur le conflit, lequel rejaillit plein et entier lors de la dislocation de l’Union soviétique. La République du Haut-Karabagh proclame son indépendance en 1991, sans pour autant qu’elle soit reconnue par la communauté internationale comme telle. À la suite d’un référendum en 2017, le Haut-Karabagh s’est autoproclamé République d’Artsakh et a adopté un régime présidentiel. L’entité territoriale contemporaine souhaite être reconnue de droit comme État souverain, mais celle-ci se heurte à la reconnaissance diplomatique internationale nécessaire pour être admise par les États existants et les organisations internationales interétatiques comme un nouvel État en droit international.

État souverain, mais celle-ci se heurte à la reconnaissance diplomatique internationale nécessaire pour être admise par les États existants et les organisations internationales interétatiques comme un nouvel État en droit international.

Sébastien Nadot

Depuis 1992, le Groupe de Minsk supervise les efforts de l’OSCE visant à trouver une solution politique au conflit. Co-présidé par les Etats-Unis, la Russie et la France, le Groupe de Minsk et ses négociations en vue de parvenir à un règlement pacifique pour le Haut-Karabakh sont donc clairement en échec. La situation illustre ainsi parfaitement les propos du théoricien Carl von Clausewitz  : « la guerre est le prolongement de la politique par d’autres moyens ».

Un carrefour des conflits régionaux et internationaux

Il y a lieu de s’interroger sur les raisons de l’échec du Groupe de Minsk. Pourquoi de telles puissances (dans le groupe figurent également l’Allemagne, la Turquie…) ne parviennent-elles pas à imposer un processus pacifique à une si petite région du monde  ? La situation est historiquement complexe mais la réponse est assez simple  : ce n’est pas la priorité. Tout se passe comme si la participation au Groupe de Minsk n’était en réalité qu’une prise de position au contact d’enjeux économiques colossaux  : gaz et pétrole de la Caspienne en premier lieu, exportations d’armes plus récemment.

Comme pour la Crimée en mer Noire, la Russie, ouverte sur la mer Caspienne, considère encore cette région et ses ressources comme son pré carré. La Russie s’efforce de préserver son influence en Asie centrale, et particulièrement autour de la Caspienne en raison de ses ressources pétrolières et gazières. La Russie, puissance incontournable du Caucase, est par ailleurs le quasi-unique fournisseur d’armes de l’Arménie.

Comme pour la Crimée en mer Noire, la Russie, ouverte sur la mer Caspienne, considère encore cette région et ses ressources comme son pré carré.

Sébastien Nadot

Pour les États-Unis, la proximité géographique avec l’Iran n’invite pas à un très fort volontarisme de stabilisation. Le traité signé en 2918 par les cinq pays riverains de la Caspienne – Russie, Iran, Azerbaïdjan, Turkménistan, Kazakhstan – a sérieusement écarté les Etats-Unis de cette zone d’influence et mis en tension la diplomatie américaine.

L’équilibre impossible de la diplomatie française 

Pour mieux comprendre le rôle de la France et les freins à l’efficacité de son action diplomatique, il faut également souligner le rapprochement de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Dans les deux pays, on parle la même langue, ce qui n’est pas rien. Mais la proximité stratégique s’est clairement accrue ces dernières années pour être tout à fait alignée aujourd’hui. Début août 2020, l’Azerbaïdjan et la Turquie ont lancé deux semaines d’exercices militaires conjoints dans des domaines aussi variés que l’artillerie ou la défense aérienne  : un signal clair préparatoire à la guerre qui fait rage aujourd’hui  ! Quant aux troupes de mercenaires en provenance de Syrie et Lybie que la Turquie envoie vers le front, il va sans dire que la tactique n’est pas improvisée.

Il n’a échappé à personne que le différend entre la France et la Turquie, à l’agressivité montante, est important. Les tensions entre Athènes et Paris, d’un côté, et Ankara, de l’autre, ne cessent de s’aggraver depuis le lancement en août dernier d’une campagne turque de prospection gazière dans une zone contestée de Méditerranée orientale riche en hydrocarbures. Sur France Inter le dimanche 6 septembre 2020, Jean-Yves Le Drian assumait de vouloir «  établir un rapport de force » avec la Turquie, en parlant du sommet européen du 24 septembre comme d’une « échéance » avant l’application de sanctions. D’ici là, le patron de la diplomatie française promettait de travailler avec ses partenaires européens à « toute une panoplie de représailles, d’actions » contre Ankara. L’Union européenne s’est pourtant montrée peu encline à suivre la France. Concernant le Haut-Karabakh, la Turquie affiche clairement sa détermination d’aider l’Azerbaïdjan à « recouvrer ses terres occupées et à défendre ses droits et intérêts selon le droit international ». Pétrole et gaz ne sont pas absents de cet engagement.

Concernant le Haut-Karabakh, la Turquie affiche clairement sa détermination d’aider l’Azerbaïdjan à « recouvrer ses terres occupées et à défendre ses droits et intérêts selon le droit international ». Pétrole et gaz ne sont pas absents de cet engagement.

Sébastien Nadot

Business ou droits humains  ?

De ce qui précède, on pourrait penser que la position de la France est simple. Il n’en est rien. D’abord parce que la France a autorisé la vente ou l’usage de matériel satellites à usage potentiellement militaire à l’Azerbaïdjan. Un accord permettait à l’entreprise nationale azéri Azercosmos d’utiliser les satellites pléiades IA (lancé en 2011) et pléiades IB (lancé en 2012). Un autre satellite français d’observation et de renseignement a été lancé en 2014, il appartient à Azercosmos. Enfin, un accord-cadre entre le CNES (Centre national d’études spatiales) et Azercosmos vient conclure d’importants transferts d’expertise et la mise en place de programmes de formation, confortant ainsi le choix de la France comme partenaire privilégié pour développer les activités spatiales de l’Azerbaïdjan. Or, pour ajuster les tirs de roquettes et préciser sa stratégie, l’armée azéri utilise le renseignement satellite.

Ensuite, parce que, selon le rapport au Parlement sur les exportations d’armement 2020, la France a autorisé l’exportation de matériel militaire pour l’année 2019 vers l’Azerbaïdjan à hauteur de plus de 190 millions d’euros de matériel de classe ML5 (matériels de conduite de tir). Certes, il n’y a pas d’embargo des Nations unies ni de l’Union européenne. Mais un embargo est imposé par l’OSCE, co-présidée par la France. (Cf. Décision du Comité des Hauts fonctionnaires sur le Nagorno-Karabakh du 28 février 1992 (Annexe I, § 4)1. Cette «  légèreté  » française de la part de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) présidée par le Premier ministre est d’autant plus surprenante que le Canada, afin de respecter le Traité sur le Commerce des Armes, a exclu pour 2018 et 2019 l’Azerbaïdjan de la liste des pays avec lesquels il échange des marchandises militaires. Rappelons que la France a également ratifié le Traité sur le Commerce des Armes, lequel commande qu’on ne livre pas des armes à un pays qui pourrait les utiliser ensuite contre des populations civiles. Les mots de Paul Valéry sonnent tellement vrais dans cette histoire  : «  La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas.  » Ce ne sont pas les reporters de guerre déjà frappés à plusieurs reprises qui diront le contraire.

Que peut opposer la France à la Turquie ou la Russie  ? Comment participer d’un apaisement du conflit  ? Si la parole de la France veut encore compter, elle ne peut que s’appuyer sur le droit international.

Sébastien Nadot

Le chemin de l’Europe et du droit international

La position de la France est donc extrêmement délicate. Le droit international l’appelle à ses devoirs, lesquels apparaissent à première vue antagonistes avec son activité de vente de matériel militaire dans le Caucase.  Que peut opposer la France à la Turquie ou la Russie  ? Comment participer d’un apaisement du conflit  ? Si la parole de la France veut encore compter, elle ne peut que s’appuyer sur le droit international.

Demander aux parties un cessez-le-feu comme l’a fait le président Macron est nécessaire. Condamner au nom des droits de l’homme l’agression actuelle dont les civils et séparatistes du Karabakh sont victimes l’est tout autant. Il reste que la France doit annoncer une suspension de toute exportation de matériel militaire vers l’Azerbaïdjan et l’arrêt de toute aide sous quelque forme que ce soit de toute assistance à l’armée azéri. Une fois cette crédibilité retrouvée, la France doit activement et rapidement participer à la construction d’une position européenne forte, pour porter ensuite d’une même voix une nouvelle résolution au Conseil de sécurité des Nations unies. Le Groupe de Minsk a déjà trop montré son incapacité à trouver le chemin d’une solution pacifique au conflit. Les résolutions de 1992 des Nations unies méritent indéniablement une mise à jour.

Sources
  1. Comme le précise la base de données du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) : «  It is a voluntary multilateral arms embargo and a number of OSCE participating states have supplied arms to Armenia and Azerbaijan since 1992.  »