Le conflit du Haut-Karabakh n’est pas uniquement une conséquence de la disparition de l’URSS, mais plonge ses racines dans les bouleversements régionaux provoqués par la Première Guerre mondiale. Un point sur ses origines et ses évolutions peut permettre de le mieux le situer dans sa profondeur historique. 

1. Les héritages de la Première Guerre mondiale

Le Caucase au début du XXe siècle  : une mosaïque ethnique 

Avant la Première Guerre mondiale, le Caucase forme une mosaïque ethnique divisée entre les empires ottoman et russe et principalement habitée par des Géorgiens, des Arméniens, des Azéris (alors appelés «  Tatars  » en Français), des Kurdes, des Russes et des Grecs. Ces populations sont dispersées en communautés qui vivent les une à côté des autres, ce qui avait pour conséquence un véritable morcellement de l’espace à toutes les échelles. Selon les témoignages et les statistiques du début du XXe siècle, le Caucase sud est ponctué de villages arméniens, azéris, kurdes et russes, dont certains sont mixtes et divisés en quartiers communautaires. Dans les montagnes du Karabakh, les Arméniens sont majoritaires, mais à l’échelle de la province d’Elisabetpol, où ces montagnes se trouvent, ils sont minoritaires par rapport aux Azéris, qui sont davantage présents dans les plaines.

Trois États caucasiens construits sur les ruines des empires ottoman et russe en 1918

La Première Guerre mondiale et l’effondrement des empires ottoman et russe contraint les trois principaux peuples du Caucase, Arméniens, Géorgiens et Azéris, à déclarer leur indépendance au sein d’États-nations. Au début de l’année 1917, les troupes russes occupent l’Est anatolien et protègent le Caucase des armées ottomanes, mais la Révolution bolchévique d’Octobre affaiblit durablement la Russie et le front s’effondre. Géorgiens et Azéris proclament en premier leur indépendance dans l’espoir de signer une paix séparée à leur avantage, avant les Arméniens. Les délégués jeunes-turcs, dont les armées occupent le Caucase, décident alors de la délimitation des frontières de chaque État. Le territoire du premier État arménien, défini par le traité de Batoum du 4 juin 1918, est limité à une petite zone de 11 000 km2 (soit un tiers de la superficie de l’actuelle Belgique) dans l’ancienne Transcaucasie, autour du lac Sevan et d’Erevan. 

Les premiers conflits territoriaux au Haut-Karabah (1919 – 1920)

La défaite de l’Empire ottoman ayant rendu les arbitrages des Jeunes-Turcs caducs, des délégations de chaque État caucasien se rendent à la Conférence de la Paix de Paris de 1919 afin de faire entendre leurs différentes revendications. En même temps, chaque État cherche à occuper de facto les espaces qu’il convoite, dont le Haut-Karabakh. Malgré la demande des Arméniens du Karabakh d’être rattachés à la jeune République d’Arménie, les autorités militaires britanniques, qui occupent la région, décident de placer temporairement le Karabakh sous la juridiction de l’Azerbaïdjan. Leur objectif est de former un Azerbaïdjan fort, capable de s’opposer au projet panturquiste des Jeunes-Turcs, qui aurait pu menacer les Indes. Toutefois, avec l’appui de la République arménienne, les Arméniens décident de résister, ce qui entraîne de premiers épisodes de violence. 

Les autorités militaires britanniques, qui occupent la région, décident de placer temporairement le Karabakh sous la juridiction de l’Azerbaïdjan. Leur objectif est de former un Azerbaïdjan fort, capable de s’opposer au projet panturquiste des Jeunes-Turcs, qui aurait pu menacer les Indes.

Ainsi, selon l’historien Richard Hovannisian, en mai 1919, le refus des Arméniens de Chouchi de laisser les troupes azéries prendre possession de la citadelle de la ville engendre un massacre de six cents arméniens dans les villages alentours. Un an plus tard, en mars-avril 1920, une insurrection arménienne ratée débouche sur une nouvelle vague de répression, au cours de laquelle 2 000 maisons arméniennes sont brûlées, et l’évêque de Chouchi décapité. 

Le retour du grand frère russe (1920)

Ce premier épisode de conflit est stoppé net par la Russie, où les bolchéviques triomphent de la guerre civile contre les armées blanches. Dans la nuit du 27 au 28 avril, l’Azerbaïdjan est soviétisé. Le nouveau «  Gouvernement ouvrier et paysan de la République socialiste d’Azerbaïdjan  » somme la République d’Arménie d’évacuer ses hommes du Karabakh. Incapables de rivaliser avec l’armée rouge, le gouvernement arménien donne alors l’ordre à ses hommes de se retirer de la région, avant d’être lui aussi soviétisé en décembre. Les autorités russes négocient alors la délimitation de la frontière ouest avec les Turcs et décident, en 1923, de rattacher le Karabakh à l’Azerbaïdjan. 

2. Les héritages du soviétisme  : de la glasnost à la guerre du Karabakh

La résurgence des tensions dans les années 1980

Entre les années 1920 et les années 1980, Moscou fait peser une chape de plomb sur les sentiments nationaux et les revendications qui les accompagnent. Celles-ci réapparaissent dans le contexte de la glasnost, qui rend possible une résurgence des sentiments nationaux au Caucase et une exacerbation des tensions entre Arméniens et Azéris à propos du Karabakh. Ainsi, le 20 février 1988, le Parlement régional du Haut-Karabakh vote pour son rattachement à l’Arménie. Le 26 février, une foule d’un million d’Arméniens se réunit à Erevan pour soutenir cette décision. La montée des tensions provoque de nouveaux épisodes de violence en Azerbaïdjan : le 27 février, un pogrom contre des Arméniens fait des dizaines de mort à Sumgaït, au Nord de Bakou. Deux ans plus tard, le 20 janvier 1990, a lieu le massacre de Bakou, qui se solde aussi par des dizaines de morts. Les deux épisodes provoquent le déplacement de dizaines de milliers d’Arméniens d’Azerbaïdjan vers l’Arménie, et d’Azéris d’Arménie vers l’Azerbaïdjan. 

La guerre du Karabakh (1991 – 1994)

La guerre éclate peu avant la chute officielle de l’URSS. Le 29 août 1991, le Parlement d’Azerbaïdjan déclare sa sortie du bloc soviétique et rétablit son indépendance en affirmant sa filiation avec la République de 1918 – 1920. Dans la foulée, le 2 septembre, le Haut-Karabakh proclame son indépendance. L’Azerbaïdjan décide immédiatement d’engager des opérations militaires pour affirmer son contrôle sur la région, lançant ainsi le début de la guerre du Haut-Karabakh. Avec le soutien de la République d’Arménie, qui déclare son indépendance le 22 septembre, les séparatistes du Karabakh parviennent à s’assurer progressivement du contrôle de la région. En 1992, elles s’emparent de plusieurs points stratégiques du Karabakh et en 1993, avancent plus en amont au sein du territoire azerbaïdjanais pour créer une zone tampon à l’Est du Karabakh. De ce fait, au moment de la signature du cessez-le-feu du 16 mai 1994, les forces arméniennes contrôlent non seulement le Karabakh, mais aussi les espaces qui l’entourent à l’Ouest et à l’Est. De nombreux Azéris habitant ces régions sont alors chassés de chez eux. 

Depuis 1994, le conflit du Haut-Karabakh est un conflit gelé, c’est-à-dire qu’aucun traité qui satisfasse les différentes parties n’a pu être signé. Dans le même temps, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont conforté leur alliance avec les grandes puissances de la région  : l’Arménie est liée à la Russie par son appartenance à la CEI  (Communauté des États Indépendants) et l’Azerbaïdjan est soutenu par la Turquie, qui a fermé sa frontière avec l’Arménie en 1993.

Ainsi, le conflit du Haut-Karabakh est bien le conflit d’un long vingtième siècle initié par la Première Guerre mondiale. Il est la conséquence de l’adoption d’un cadre d’organisation nationale dans cet espace autrefois très hétérogène sur le plan ethnique et qui n’avait pas connu d’organisation étatique avant 1918. Consubstantiel aux aspirations nationales des peuples du Caucase, il est alimenté par les souvenirs tragiques de massacres et de déplacements de population forcés dans les les deux camps, et s’appuie désormais sur les puissances régionales que sont la Turquie et la Russie.