La presse française découvre que le  président Trump a un candidat pour présider la Banque interaméricaine de développement. Mais Mauricio Claver-Carone (désigné comme MCC) a été élu par 30 des 48 gouverneurs représentant les États membres de cette institution régionale multilatérale de développement.1

Pour la presse latino-américaine, MCC est l’homme qui a refusé d’assister à l’intronisation du président Alberto Fernandez2. Un message lourd de menaces pour ceux qui seraient tentés de ne pas maintenir le blocus diplomatique du Venezuela, cause du départ de MCC lors de la cérémonie.

Certes MCC était le candidat unique, mais les grands États latino-américains et l’UE ont jugé qu’en temps de coronavirus le débat électoral était sans doute secondaire. Le choix de cet homme traduit, plus que sa proximité avec Trump, la reconnaissance aux États-Unis de compétence hors de la sphère administrative et la récompense de l’action politique. C’est en quelque sorte aux antipodes du modèle français d’échange de places dans les enceintes internationales entre le Trésor et la Banque de France.

L’arrivée à cette responsabilité d’un citoyen des États-Unis pour la première fois reflète aussi l’intérêt des administrations républicaines aux réponses économiques et sociales aux crises. Les initiales du nouveau président de la BID évoquent la Millenium Challenge Corporation (MCC) mise en place par Georges Bush dans le sillage de la conflagration du 11 septembre 2001, il y a 19 ans. La MCC avait pour but de gratifier les pays pauvres d’une aide destinée au secteur privé selon une batterie de critères les gouvernements méritants et d’orientation néo-libérale. Des pays comme Madagascar au temps de Marc Ravalomanana ou le Burkina Faso en ont bénéficié.

Le sentiment de Washington, où se trouve le siège de la BID, est que le Covid-19 représente un choc associant l’effet déstabilisateur du 11 septembre et la crise financière de 2008-2009. Celle-ci s’est traduite en Amérique latine par une diminution du capital fixe et l’accumulation de retards profonds dans les infrastructures, le domaine de la santé et la gestion de la démographie.

La BID bénéficie d’un rating satisfaisant, à la différence des banques privées américaines, et les pays sud-américains n’ont pas développé de véritables réseaux financiers nationaux ou régionaux. Pour l’instant, son portefeuille de prêts s’élève à 100 milliards USD, mais pourrait s’accroître de 100 %, offrant une marge de manœuvre à la reprise de l’investissement sur le continent. L’arrivée de MCC la BID annonce une recapitalisation par l’actionnaire nord-américain, et dont un regain d’activités. Le moment est d’autant plus critique que les Démocrates, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, sont assez réservés sur les aides ad hoc comme la MCC ou l’action des banques multilatérales. À New-York, on est plus acerbe qu’à Washington avec la Banque mondiale, dont le Wall Street Journal disait il y a peu « qu’elle a peu de résultats à montrer en 60 ans de financement et qu’elle est devenue une planque pour les copains de personnes influentes dans le monde »…3

MCC va aller en guerre contre de telles supputations en brisant la règle non écrite du partage des postes selon l’importance des États membres. Une banque associe des ressources humaines et des ressources financières. La nouvelle orientation sera de privilégier le cercle rapproché des États-Unis, des Caraïbes et les petits pays de l’Amérique centrale. C’est de là que vient l’immigration pauvre, et cette partie de l’isthme concentre la pauvreté et la criminalité. Nommer selon les mérites et retenir des candidatures hors des pays de la zone sud du continent aboutira à briser les fiefs et en particulier ceux constitués à partir des Trust Funds. Pour les néophytes, un Trust Fund est un crédit fourni par un État qui n’est pas un actionnaire régional et qui est orienté vers une affectation précise. En général cet instrument a des procédures allégées et repose sur une bureaucratie autonome. Il y a longtemps le Japon a inauguré cette formule à la Banque mondiale pour le Sahel et la pêche par exemple. À la BID ces dernières années, la Chine, tout en étant un actionnaire mineur, s’est imposée comme un poids lourd des Trust Funds, ridiculisant les EUA.

Une nouvelle donne s’annonce donc à la BID le 1er octobre réaffirmant un paradigme américain : d’un coté l’aide humanitaire comme au Yémen qui a reçu 5 milliards d’USD en 2019, et de l’autre la croissance par le marché. Mais que l’on se rassure, le département d’État garantit qu’il n’y aura pas de représailles contre ceux qui n’ont pas voté pour MCC.

Sources
  1. VALLEE Olivier, Mauricio Claver-Carone : endiguer la Chine dans l’arrière-cour des États-Unis, Le Grand Continent, 19 juin 2020.
  2. Exemple avec La Voz.
  3. Scheming at the Latin Development Bank”, Wall Street Journal, 4 septembre 2020.