L’accord de paix historique conclu le 13 août dernier entre Israël et les Émirats arabes unis (ÉAU) et présenté à Washington1 est une victoire massive pour Netanyahou. Cet accord n’apporte pas grand-chose au plan de paix de Trump, et, même s’il semble mettre l’extrême droite israélienne en colère, il reste une victoire tactique pour cette frange politique.

D’une certaine manière, l’« accord de paix » ne change presque rien : les relations entre les deux pays (Israël et les ÉAU) sont étroites et amicales depuis longtemps. Cela dit, le plan rend enfin explicite ce qui a longtemps été implicite et peut inciter et incitera d’autres pays à faire de même dans un avenir proche : si le plan de paix de Trump a fourni aux Émirats arabes unis une couverture officielle pour franchir ce pas, les tensions accrues entre les Émirats arabes unis et l’Iran sont un facteur clé dans sa décision de s’ouvrir à Israël.

Les ÉAU sont également proches de l’Arabie saoudite, profondément impliquée dans la lutte pour le pouvoir régional avec l’Iran. Le futur dirigeant saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS) a développé une politique beaucoup plus réaliste se rapprochant d’Israël2, ce qui doit sans aucun doute être considéré comme un autre facteur majeur dans la décision des ÉAU.

Mais qu’en est-il du « prix » majeur que Netanyahou a dû payer pour cela, la suspension de l’annexion de la Cisjordanie ? Premièrement, Netanyahou n’a jamais vraiment voulu l’annexion. Il est au fond un politicien du statu quo qui n’a fait qu’armer l’annexion pour éviter la prison, comme l’a souligné la journaliste d’Haaretz Anshel Pfeffer3. Mais l’annexion est devenue un casse-tête majeur, car elle aurait pu bouleverser un statu quo de plus en plus positif pour Israël au Moyen Orient, selon les vues de Netanyahou : Israël n’a jamais occupé une place de première importance dans les priorités du monde arabe, et les relations officieuses avec les pays de la région n’ont jamais été aussi bonnes. L’annexion de la Cisjordanie créerait également d’énormes problèmes de sécurité pour Israël, en divisant (des parties de) la droite nationaliste, laïque et religieuse. De plus, cela ne ferait que rendre les colons plus désireux. Benny Gantz et le Covid-19 avaient déjà sauvé Netanyahou auparavant –  Gantz en disant qu’il ne soutiendrait pas l’annexion (pour l’instant)4, et le Covid-19 en détournant l’attention  – mais l’accord avec les ÉAU donne à Netanyahou une raison positive de ne pas le poursuivre (encore une fois pour combien de temps ?).

Mais au moins, cet accord a-t-il mis en colère l’extrême droite ? Pas vraiment. Un seul parti d’extrême droite a rejoint le gouvernement de Netanyahou et a quelque peu soutenu le plan Trump (le Yamina de Naftali Bennet). La plupart des partis d’extrême droite se situent dans l’opposition et ont critiqué le plan Trump, l’annexion n’allant pas assez loin à leurs yeux, et le plan ouvrant la voie à un État palestinien (quelle que soit la forme faible qu’il suggérait). Bien sûr, des politiciens comme Ayelet Shaked de la Nouvelle Droite ont critiqué Netanyahou pour avoir cédé, mais ils seront heureux de voir le plan disparaître pour l’instant.

De même, le mouvement des colons était profondément divisé sur le plan de Trump, pour les mêmes raisons, et s’y opposait dans sa globalité. Ils veulent tout ou rien. Il n’est pas difficile d’imaginer que les colons ont négocié une belle «  compensation  » pour l’accord de Netanyahou avec les Émirats arabes unis. Ils le font toujours, même lorsqu’ils «  perdent  ».5

Alors, où cela laisse-t-il le « Plan de Trump pour la paix au Moyen-Orient » ? Il est mort. Il était mort-né de toute façon, mais ce nouvel accord ne l’a pas fait renaître de quelque façon que ce soit6. Il indique plutôt que Netanyahou se prépare à une période post-Trump (du moins essaye-t-il de l’anticiper) plus dure, dans laquelle les États-Unis ne le soutiendront plus aveuglément.

En fin de compte, globalement, l’accord avec les Émirats arabes unis est une bonne nouvelle pour l’extrême droite israélienne. Il renforce Netanyahou, qui, s’il peut rester hors de prison, n’a plus de concurrent sérieux, après la trahison et l’implosion embarrassante de Benny Gantz, ainsi que l’entrée de Naftali Bennett dans le gouvernement de coalition. Il semble que seul le tribunal israélien puisse arrêter «  Bibi  » désormais.

Incidemment, et finalement, l’annexion ne devrait pas être considérée comme étant hors de question pour toujours : Netanyahou lui-même a laissé entendre qu’elle est suspendue jusqu’après les élections américaines et qu’il pourrait la ressortir à nouveau comme une arme, si les conditions changent. 

Sources
  1. White House, Joint Statement of the United States, the State of Israel, and the United Arab Emirates, 13 août 2020.
  2. DENTICE Giuseppe, Nouvelle étape dans l’étrange alliance entre l’Arabie Saoudite et Israël, Le Grand Continent, 22 juillet 2020.
  3. PFEFFER Anshel, In UAE Deal, Netanyahu Trades Imaginary Annexation for Real Life Diplomacy Win, Haaretz, 14 août 2020.
  4. Netanyahu’s annexation plan in disarray as Gantz calls for delay, The Guardian, 29 juin 2020.
  5. Sur ce thème, Cas Mudde, en collaboration avec Sivan Hirsch-Hoefler (Interdisciplinary Center (IDC), Herzliya), a écrit un livre sur ce sujet qui sera publié prochainement : The Israeli Settler Movement : Assessing and Explaining Social Movement Success, Cambridge University Press, décembre 2020.
  6. COLLOT Giovanni, Cartographier les réactions internationales au Plan de Trump pour le Moyen-Orient, Le Grand Continent, 30 janvier 2020.
Crédits
Cet article est la reprise d'une analyse du Professeur Cas Mudde, publiée le 14 août dernier sur son compte Twitter : https://twitter.com/CasMudde/status/1294281459738521601