Riyad. Dans un éditorial qui a fait beaucoup parler le monde arabe, un commentateur saoudien bien connu, Dahame al-Anzi, espérait « voir bientôt une ambassade israélienne à Riyad et une ambassade saoudienne à Jérusalem-Ouest » (1). Paru le 5 juillet dans le journal al-Khaleeg, mais repris quelques jours plus tard par de nombreux journaux en français et en anglais et notamment sur le compte Twitter du ministère des Affaires étrangères israélien, l’article souhaitait une paix totale en Palestine démasquant « les mensonges et les tromperies des forces qui utilisent la cause palestinienne » comme un leurre pour importer le terrorisme dans la région et frapper des innocents. Un aspect tout aussi intéressant du même éditorial était la référence à une responsabilité partagée entre l’Arabie saoudite et Israël, qui pourraient procéder à une normalisation complète des relations, brisant ainsi le énième tabou qui confirmerait l’existence d’une alliance tactique, pour beaucoup encore inconcevable, entre les deux ennemis historiques : des puissances régionales en plein essor et toutes deux alliées des États-Unis (3).

En réalité, les propos d’al-Anzi reflètent pleinement la pensée politique actuellement en vogue à Riyad et dans les cercles de pouvoir les plus proches de l’establishment lié au ministre de la Défense et au prince héritier, Mohammed bin Salman. En effet, à plusieurs reprises, l’héritier du trône aurait confié à un cercle de collaborateurs de confiance son opinion en faveur d’une alliance, certes particulière, avec Israël, pour faire face aux véritables causes de l’instabilité au Moyen-Orient : les projets de leadership régional de l’Iran et de la Turquie, qui représentent une réelle menace existentielle pour le royaume al-Saud lui-même (4).

Bien qu’il existe encore de profondes divergences politiques et stratégiques entre les deux pays sur diverses questions régionales, y compris sur la résolution de la crise avec la Palestine, les diplomaties d’Israël et de l’Arabie saoudite dialoguent de manière de plus en plus officieuse depuis 2015, poussées par un objectif commun : le confinement de l’Iran dans le Grand Moyen-Orient. C’est précisément la question iranienne et les menaces découlant d’une reconnaissance régionale et internationale de Téhéran qui ont conduit à réserver à ce dossier une nouvelle place centrale dans l’agenda politique des deux pays, conduisant à un rapprochement progressif et constant qui, ces derniers mois, s’est traduit par une convergence d’intérêts de plus en plus proche d’une alliance, visant quelques questions politiques communes, dont, précisément, la question iranienne (2).

Perspectives :

  • Cette nouvelle confirme la dynamique de rapprochement qui anime les relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Les deux pays sont fortement intéressés par l’envoi de signaux non officiels qui passent souvent par le biais des médias afin de conforter leur intérêt mutuel à créer une alliance d’intérêts contre ce qui est perçu par eux deux comme la menace réelle à leur existence, l’Iran. Cependant, pour donner toute son efficacité à cet étrange axe moyen-oriental, il est nécessaire que les parties affrontent définitivement le thème principal de la division bilatérale, à savoir le nœud palestinien, avec l’approbation des États-Unis qui voudraient trouver une banque régionale dans le soi-disant « front arabe pragmatique » contre l’Iran. En effet, si la signature de l’accord nucléaire iranien historique de juillet 2015 a accéléré ce processus de rapprochement diplomatique, la cause palestinienne et ses répercussions régionales représentent toujours un terrain glissant sur lequel une telle convergence pourrait rester instrumentale et limitée, en raison des intérêts individuels divergents poursuivis par trop d’acteurs aux prises avec le panorama du Moyen-Orient.
  • L’intérêt des deux parties vise à maximiser les positions de force réciproques dans les dossiers du Moyen-Orient, en sauvegardant les intérêts géopolitiques respectifs, sans toutefois éroder la tentative de normalisation des relations entre Saoudiens et Israéliens. Néanmoins, ce processus représente encore une inconnue aux contours presque indéfinis : Riyadh a certainement plus à perdre que Tel-Aviv, y compris en termes d’opinion publique arabe.
  • Enfin, l’alliance imparfaite entre l’Arabie saoudite et Israël pourrait dissimuler une tentative d’hégémonie régionale de la part de l’un ou des deux acteurs concernés, avec l’intention d’apparaître comme une puissance de référence dans la région.

Sources :

  1. AL-ANZI D., نعم لسفارة إسرائيلية في الرياض وعلاقات طبيعية ضمن المبادرة السعودية [Oui à une ambassade israélienne à Riyad et à la normalisation des relations par une initiative saoudienne], al-Khaleeg, juillet 5, 2018.
  2. CHAKRAVARTY, Pinak Ranjan, Saudi-Israeli rapprochement and the nuclear question, CatchNews, avril 17, 2018.
  3. L’Arabie saoudite, prête à accueillir une ambassade israélienne à Riyad ?, i24NEWS, 7 juillet 2018.
  4. Un média saoudien appelle à l’ouverture d’une ambassade israélienne à Riyad, Middle East Eye, 9 juillet 2018.