Jérusalem. L’énième crise à Gaza semblait avoir récemment ouvert un horizon de guerre pour Israël, décrétant le début d’un quatrième conflit dans la bande de Gaza en un peu moins d’une décennie (2). Pourtant, en l’espace de quelques heures, une succession considérable de coups de théâtre ont risqué de faire imploser le gouvernement Netanyahou. D’abord, le 13 novembre, peu après la signature d’une trêve entre Israël et le Hamas – avec, encore une fois, la médiation de l’Égypte et des Nations Unies – la nouvelle de la démission de l’exécutif de la part du ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, est survenue par surprise ; celui-ci a donné naissance à un potentiel effet “boule de neige” avec les démissions envisagées, quoique finalement non réalisées, des alliés du gouvernement que sont Naftali Bennett et Ayelet Shaked. La décision de Lieberman se fondait sur le choix conscient de vouloir accompagner le ressentiment populaire et celui des médias israéliens qui, depuis plusieurs semaines, manifestent leur intolérance au sujet de l’escalade contrôlée lancée par le Hamas, alors que l’action difficile de Netanyahou est née de la crainte qu’une nouvelle guerre contre le Hamas et Gaza n’apporte aucun avantage stratégique mais entraîne en revanche des conséquences graves et de plus dangereuses opérations de représailles des deux parties (1).

Alors que tout poussait donc à supposer un retour aux urnes, les ministres du Habayit Hayehudi (Foyer juif) ont créé la surprise dans une décision complètement improvisée en expliquant, lors d’une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre, que malgré les âpres critiques adressées au gouvernement, ils resteraient fidèles à l’exécutif et aux politiques de défense à adopter, éloignant ainsi la perspective d’élections anticipées. À la source du possible retrait de Bennett et des ministres proches de lui, se trouvait l’échec de l’obtention du poste de ministre de la Défense, occupé par Netanyahou par intérim depuis le départ de Lieberman.

Le Premier ministre a lui-même ensuite expliqué avoir fait le choix de ne pas nommer Bennett à la Défense afin de ne pas aggraver ultérieurement les tensions déjà importantes à l’intérieur du gouvernement. En outre, Benyamin Netanyahou a exprimé son souhait de gouverner le pays pour encore une année, c’est-à-dire jusqu’au terme naturel de la législature, prévu en novembre 2019 (5).

À la lumière de cette reconstitution structurée des faits, il est possible de voir une double crise politique, intérieure et extérieure. Les deux dimensions apportent des situations nouvelles qui représentent un facteur inédit au regard de la dernière décennie, renforçant encore une fois l’étroite dépendance entre politique intérieure et politique extérieure en Israël.

De plus, en observant l’histoire d’Israël, ne fût-ce que schématiquement, on s’aperçoit tout de suite d’un fait : aucun exécutif n’a réussi à mener à terme son mandat de gouvernement prévu par la loi de quatre ans. C’est pourquoi la nouvelle d’une crise politique de l’exécutif aurait pu entrer dans une routine faite d’escarmouches et de jeux propres à la sphère de politique.

Cependant, l’événement mérite une réflexion plus profonde. En effet, la nouvelle tension met non seulement à nu les difficultés extrêmes des institutions israéliennes, mais elle lève le voile de la duplicité sur les exigences de plus en plus insistantes de la société israélienne. Une société qui s’est orientée vers des positions de la droite radicale d’un point de vue culturel et identitaire : Bennett et Lieberman répondent en effet à des électorats précis, aussi bien qu’aux demandes pressantes de la communauté des colonies de Cisjordanie. Une condition tout aussi flagrante est celle des oppositions, où Yesh Atid de Yair Lapid (un parti à tendance centriste) et le Bloc Sioniste de Tzipi Livni et Avi Gabbay (progressistes et libéraux) ont soutenu des positions très fortes en faveur d’un conflit armé à Gaza. Dans cette situation, tout le monde instrumentalise et exploite la frustration populaire dans les affrontements contre le Hamas pour attaquer le Premier ministre – et Bennett redouble de véhémence dans l’intention de succéder à Netanyahou en lui volant des soutiens et des sympathies (3).

La dimension extérieure n’est pas moins complexe et imprévisible. La crise de Gaza a en effet failli ouvrir une brèche profonde dans le rapport avec les différents interlocuteurs privilégiés de la région ; de l’Égypte à l’Arabie saoudite, en passant par les Émirats arabes unis et la Jordanie, sans considérer les acteurs purement internationaux ; il s’agit d’acteurs tous très attentifs à ne pas soutenir la stratégie du Hamas, mais qui ont en même temps réussi à faire pression sur Israël pour empêcher une nouvelle guerre. Ouvrir par conséquent un nouveau front d’hostilités au sud avec Gaza, en laissant dans le même temps celui du nord occupé par les initiatives souterraines contre la Syrie et le Hezbollah, ainsi que tous les dossiers dans lesquels Tel-Aviv se retrouve plus ou moins ouvertement en collaboration avec les forces arabo-sunnites sur des thèmes précis, serait un prix trop élevé à payer dans la perspective de Netanyahou. En effet, l’aspiration à consolider les rapports avec les autres États arabes prédomine largement sur le spectre d’une nouvelle guerre dans la bande de Gaza contre le Hamas (4).

Perspectives :

  • Netanyahou cherche à sauvegarder le statu quo aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan régional : il entrave les efforts de son gouvernement pour lancer des élections anticipées, dans l’objectif de remonter dans les sondages d’ici un an, alors que sur le front palestinien il poursuit sa stratégie consistant à diviser pour mieux régner, en maintenant séparés les fronts de Gaza et de Cisjordanie, avec la double volonté d’affaiblir le Hamas et l’Autorité palestinienne et d’empêcher une réconciliation intra-palestinienne, sacrifiant ainsi la relance du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens.
  • Dans la situation actuelle, aucun des acteurs engagés dans la crise de Gaza ne s’est montré disposé à s’embarquer dans une nouvelle aventure militaire. Les nombreux dossiers et les intérêts convergents entre Israël et ses alliés arabes ont poussé les deux parties à adopter des positions précautionneuses et modérées. Israël est, non par hasard, un acteur significatif du triangle formé avec l’Arabie saoudite et les États-Unis dans la lutte réciproque contre l’Iran et le fameux “accord du siècle” sur le processus de paix israélo-palestinien. Déclarer une guerre à ce moment de forte tension régionale aurait créé des incompréhensions profondes avec les autres alliés.

Sources :

  1. CASPIT Ben, Is Israel heading toward snap elections ?, al-Monitor, 16 novembre 2018.
  2. DENTICE Giuseppe, Israele-Hamas : tregua senza pace, ISPI Commentary, Istituto per gli Studi di Politica Internazionale, 13 novembre 2018.
  3. LEVY Gideon, We Must Give Credit to Netanyahu : He Prevented Another Gaza War, Haaretz, 15 novembre 2018.
  4. ONFRAY Maxime, Rapprochement entre Israël et les États arabes : le cas d’Oman, La Lettre du Lundi, édition 33, 19 novembre 2018.
  5. RABINOVICH Ari, Israel’s Netanyahu takes over defense job as coalition falters, Reuters, 16 novembre 2018.

Giuseppe Dentice

Trad. Olivier Lenoir