Le 3 juin 2020 entrera dans l’histoire des États-Unis d’Amérique qui, plus que jamais, se trouvent à un carrefour existentiel. À cette date, l’ancien secrétaire à la Défense et ancien général mythique des Marines, James Mattis, a rompu le silence.

Beaucoup se souviendront de l’avalanche de critiques que l’officier supérieur a suscité après avoir publié, quelques mois après sa retraite plutôt audacieuse, son livre Call Sign Chaos, basé sur l’importance du leadership, cependant ne comportant aucune référence à ses deux années mouvementées au Pentagone.

La relation avec le président Trump avait suivi le cours classique expérimenté avec d’autres généraux de renom qui avaient décidé de participer à cette administration dramatique, peut-être dans l’espoir de sauver la fortune du pays – de H.R. McMaster à John Kelly – s’effilochant encore trop lentement. Après la démission publique de Mattis, due à de lourds désaccords sur la gestion des alliés, Trump, avec son savoir faire habituel, lui avait aboyé quelques tweets, ravalant toutes les belles paroles des mois précédents.

Mattis n’avait pas répondu, sauf lors d’un discours en comité restreint, en s’exclamant impitoyablement, mais toujours avec le sourire, à l’égard du locataire de la Maison Blanche, son accusateur. Le thème de l’attitude et du silence, pour l’ancien général, était lié au serment devant la Constitution, qu’il a prêté comme tout soldat américain, lequel serment présuppose une séparation claire entre les sphères politique et militaire.

En substance, quiconque a prêté serment doit garder le silence et se limiter à le respecter. C’est précisément ce que lui reprochent ses détracteurs, à savoir que l’armée est au service du peuple américain et non de son président, alors qu’il est le commandant suprême des forces armées. La différence est subtile, mais extraordinairement profonde et, inévitablement, sujette à des interprétations différentes.

Penchons-nous, entre toutes ces interprétations, sur celle de John R. Allen, un autre Marine quatre étoiles, ainsi que président de la Brookings Institution, le plus célèbre think tank du monde, né de l’esprit du secrétaire d’État américain George Marshall après la Seconde Guerre mondiale, et toujours un phare pour ceux qui s’occupent de géopolitique.

Contrairement à la plupart de ses collègues, Allen a, depuis les primaires démocratiques de 2016, ouvertement protesté contre Trump, s’attirant ainsi de vives critiques de son propre monde. Malgré ses décennies d’amitié, Mattis lui-même s’est déclaré éloigné de la position d’Allen, ce qui a provoqué une certaine étincelle.

Le geste du 3 juin, à la lumière de ces coulisses, apparaît encore plus sensationnel et révélateur d’une situation absolument sans précédent et d’une évolution imprévisible.

Mattis, avouant sa colère, décide de publier dans un magazine qui lui est cher, The Atlantic1, un article résolu contre un président présenté comme immature, dont le but est seulement de fomenter des divisions parmi les citoyens américains, en ne regardant pas le bien de la Nation, mais son propre petit compte. Et, le même jour, dans le sillage de Mattis, Allen est également apparu, dans un autre grand magazine – Foreign Policy2 – avec un style nettement plus passionné, mais proposant involontairement la même cible identique. Ils ne se sont pas entendus, ils ne se sont pas coordonnés sur la date de publication de leurs articles, ni sur les sujets à l’ordre du jour.

Il est pourtant surprenant de constater à quel point le message est le même, et il convient de mentionner ici deux extraits : le premier de Mattis qui a écrit, en référence à Trump : « nous pouvons nous unir sans lui, en tirant parti des forces inhérentes à notre société civile. Ce ne sera pas facile, comme ces derniers jours l’ont montré, mais nous le devons à nos concitoyens, aux générations passées qui se sont sacrifiées pour défendre notre promesse, et à nos enfants ».

En même temps, Allen concluait par ces mots d’espoir un article dont le début était profondément pessimiste : « marquez-le sur le calendrier : ce pourrait être le début du changement de la démocratie américaine, non pas vers un régime illibéral mais vers la lumière. Mais elle devra être générée de la base vers le sommet. Parce qu’il n’y a personne à la Maison Blanche ».

Pas d’adultes au moins. Rien de plus dangereux après près de 110 000 décès de Covid-19 et 40 millions de chômeurs, pour 308 millions de citoyens américains.

Sources
  1. GOLDBERG Jeffrey, James Mattis Denounces President Trump, Describes Him as a Threat to the Constitution, The Atlantic, 3 juin 2020
  2. ALLEN John, A Moment of National Shame and Peril—and Hope, Foreign Policy, 3 juin 2020
Crédits
Cet article a été originellement publié en italien sur Formiche.net, et est ici reproduit dans sa traduction français : https://formiche.net/2020/06/generali-mattis-allen-trump-saini-fasanotti-brookings/