Santiago. Alors que, pendant les dernières semaines de l’année 2019, une diminution de l’intensité des émeutes et des manifestation avait été observée, la nouvelle année a apporté dans son sillage une nouvelle poussée de violence au Chili. Depuis le début de la crise, une trentaine de personnes sont mortes et des milliers d’autres ont été blessées, en raison de la violente répression observée lors des manifestations. Début février, le Tribunal de Garantie de Puente Alto a décrété / ordonné la prison préventive pour cinq carabiniers impliqués dans des affaires de passages à tabac de jeunes à Santiago1, contribuant encore plus au discrédit dont souffre l’institution depuis le début de la crise, dû à ses actions violentes et répressives à l’encontre des manifestants.

L’exigence des Chiliens réclamant la rédaction d’une nouvelle Constitution a culminé avec l’organisation d’un plébiscite qui se tiendra le 26 avril 2020. Même si l’actuelle Constitution a été réformée à deux occasions, en 1989 et en 2005, une importante partie de la société chilienne pense qu’elle est illégitime puisqu’elle a été rédigée et promulguée durant la dictature militaire d’Augusto Pinochet. L’un des principaux défis de la Constitution concerne l’octroi de droits sociaux par l’État. En effet, le texte constitutionnel consacre le Chili comme un « État subsidiaire », laissant la fourniture des prestations relatives à la santé, à l’éducation ou à la sécurité sociale entre les mains du secteur privé. Ainsi, l’État chilien est un État qui se limite uniquement à superviser la manière dont le privés respecte ces droits, ce qui génère un nombre infini d’inégalités entre ses citoyens.

En raison de son origine, non seulement le rôle des partis politiques est minime dans la Constitution, mais aussi cette dernière est très rigide, puisqu’elle exige une majorité des deux tiers ou de trois cinquièmes des députés et des sénateurs en fonction pour être modifiée. Cela rend pratiquement impossible ou très difficile sa réforme, surtout en matière sociale, raisons qui ont précisément conduit les Chiliens à remplir les rues, depuis maintenant quatre mois. La privatisation a été un des piliers de l’expérience néolibérale menée par les Chicago Boys de Milton Friedman au Chili. Cela a conduit à une privatisation excessive, non seulement dans des domaines tels que l’éducation ou la santé mais aussi dans des services de base comme l’électricité ou l’eau potable2.

Il convient de souligner qu’une nouvelle Constitution ne résoudrait pas tous les problèmes structurels auxquels le pays est confronté, mais qu’elle constituerait un premier pas très important sur la voie de l’égalité des droits et des chances pour ses citoyens. Ceci, car le texte actuel ne serait pas compatible avec les exigences sociales3, et donc, un changement total est devenu nécessaire. Le 26 avril, les Chiliens devront voter, tant au niveau national qu’à l’étranger, pour ou contre l’élaboration d’une nouvelle constitution, et pour les modalités d’un éventuel processus constituant : par le biais d’une Assemblée constituante ou d’une Convention mixte composée de 50 % de parlementaires et de 50 % de citoyens élus.

Pour l’instant, deux créneaux électoraux ont été programmés et seront diffusés quotidiennement par les chaînes de télévision ouvertes entre le 27 mars et le 23 avril. La campagne « Que Chile Decida », qui rassemble des partis indépendants, le Frente Amplio, le mouvement politique Plataforma Socialista et l’organisation citoyenne Marca AC (Assemblée Constituante), est en pourparlers avec des organisations sociales dans le but de donner du temps à la présence de collectifs féministes et indigènes, de défenseurs de l’eau, de mouvements environnementaux et d’organisations d’étudiants et de travailleurs en faveur de « Apruebo » et de l’Assemblée constituante. De l’autre côté, la campagne de « rejet » de Chile Vamos, composée de Renovación Nacional, de l’UDI et d’Evópoli, assure qu’avec quelques réformes, le texte actuel pourrait satisfaire les demandes sociales, ce qui maintiendrait le statu quo constitutionnel.

Du côté du gouvernement, le président Sebastián Piñera a énuméré, dans le cadre de la Rencontre nationale des entreprises 2020 (ENADE), les 11 principes de base qui, selon lui, devraient être présents dans la Constitution4 :

  1. Liberté et démocratie
  2. Séparation, indépendance et transparence des pouvoirs de l’État
  3. Valeur de la vie et de la famille
  4. Égalité des droits entre les hommes et les femmes
  5. Droit à la santé, à l’éducation, à la sécurité sociale, au logement, à l’ordre public
  6. Liberté d’enseignement et droit préférentiel des parents dans l’éducation de leurs enfants
  7. Droit de la propriété et de la libre entreprise
  8. La liberté d’expression, de conscience et de culte.
  9. Reconnaissance des peuples autochtones.
  10. Responsabilité fiscale et macroéconomique.
  11. Autonomie et indépendance de l’Office du contrôleur, du Ministère Public, de la Cour constitutionnelle, du Conseil de la défense de l’État, du Service électoral et de la Banque centrale.

Pour sa part, dans le but de collaborer à la formation des citoyens, afin qu’ils acquièrent les connaissances nécessaires pour participer au plébiscite de manière informée, la Faculté de philosophie et des sciences humaines de l’Université du Chili offrira à partir du 15 mars un cours en ligne gratuit5.