Santiago du Chili. Quiconque a eu l’occasion de se rendre au Chili a probablement remarqué la profonde division des classes sociales dans ce pays. L’oligarchie chilienne détermine (ce qui n’est pas la même chose que le conditionnement) l’accès aux droits sociaux, le coût de la vie et le montant de la dette privée dans un pays où l’on estime que 82 % des personnes âgées ont des dettes1.

Le vendredi 4 octobre, un groupe d’experts a annoncé que l’augmentation des tarifs des transports publics à Santiago entrerait en vigueur. Cette nouvelle a été suivie par des manifestations étudiantes qui ont appelé à ne pas payer le métro, et ont causé des dégâts matériels dans certaines stations de métro de la région métropolitaine. L’augmentation des tarifs des transports publics a été ajoutée à l’augmentation des factures d’électricité (de 9,2 %), également annoncée au début du mois par le Contrôleur général de la République2.

A partir du vendredi 18 octobre, les manifestations sont devenues massives et se sont intensifiées dans les rues de Santiago, atteignant des niveaux élevés de violence. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses scènes montraient la répression policière, ainsi que les incendies volontaires des lignes de bus et de métro et du bâtiment de l’entreprise d’électricité ENEL.

Jusqu’à présent, le bilan de ces manifestations fait état de 50 événements violents graves dans la capitale, sept morts, des blessés par balles ainsi que des forces de police blessées, plus de 600 personnes arrêtées, et un total de 7941 militaires et policiers déployés pour assurer la sécurité à Santiago3. L’ampleur des manifestations a conduit le gouvernement à retirer la mesure sur les transports, à déclarer l’état d’urgence et le couvre-feu. Cet ordre n’a pas empêché la sortie des habitants de la capitale dans les rues, action qui s’est étendue à d’autres régions telles que Coquimbo, Valparaiso, O’Higgins et Biobío, également déclarées en état d’exception.

Dans son dernier discours, le président a justifié l’invocation de l’état d’urgence comme un moyen d’assurer l’ordre public, la tranquillité et la protection des biens publics et privés, ainsi que de garantir les droits des citoyens4. Toutefois, comme l’affirment les membres de la Chaire des droits de l’homme de l’Université du Chili, la déclaration de l’état d’urgence constitutionnel doit être une mesure exceptionnelle qui ne peut être justifiée, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que lorsque « la vie de la nation est en danger », ce qui ne correspond pas à la situation actuelle5. Dans un État démocratique, la population a le droit de manifester et une telle mesure viole les droits civils des citoyens.

Dans le même temps, l’opposition politique chilienne s’accorde à analyser ces protestations comme la pointe de l’iceberg d’un problème structurel plus profond dans le débat de ces dernières années6. Il s’agit de la précarité du système de retraite, du prix des médicaments, des préoccupations concernant la sécheresse prolongée et le refus du gouvernement d’approfondir le code de l’eau, de l’impossibilité d’intégrer le concept de changement climatique dans la nouvelle législation environnementale, de la décision de Piñera de ne pas signer l’accord d’Escazú, des systèmes sanitaires et éducatifs, des bas salaires et des inégalités.

L’administration montre des signes d’une réponse insuffisante face au concert des casseroles des citoyens et, en définitive, au soi-disant « réveil » d’une classe sociale humble et inaudible.

 Perspectives :

  • Les activités scolaires ont été suspendues dans la plupart des établissements de la région métropolitaine et dans d’autres régions du pays afin de prévenir de futures altercations et d’essayer de prévenir un nouvel effondrement de la ville dû au manque de transport.
  • Les politiciens de l’opposition ont demandé la démission de certains ministres en raison de la mauvaise gestion de la crise. Pour sa part, l’exécutif a confirmé la tenue de réunions avec les présidents du Congrès et de la Cour suprême afin de coordonner les actions visant à trouver des solutions de rechange qui répondent aux priorités des citoyens.
  • Jusqu’à présent, la réponse du gouvernement a été la militarisation de la ville et la répression. L’administration Piñera n’a pas été capable de mesurer l’exaspération des citoyens, ce qui peut signifier la poursuite des manifestations à Santiago et dans le reste du pays.