Culiacán. Dans la capitale de l’État mexicain du Sinaloa, la capture d’Ovidio Guzman López, un des chefs du puissant cartel de Sinaloa et fils du narcotrafiquant El Chapo, a conduit à une explosion immédiate de violence, puis à la relaxe du criminel par les autorités. Cette décision a été justifiée par le président mexicain López Obrador en ces termes : « La capture d’un délinquant ne peut pas avoir plus de valeur que des vies de citoyens ».1

Le cycle de ces événements pourrait en effet se résumer ainsi. Tout d’abord, au nom de la protection des citoyens et du maintien de l’ordre, l’armée fait le travail de la police pour arrêter une quarantaine de criminels fortement armés. Puis, la capture inattendue d’un chef du cartel au milieu de ces criminels conduit à un surcroît de violence auquel l’armée n’est pas préparée. Le siège de la ville par les troupes du cartel sème la terreur auprès des habitants, invités par les autorités de l’État de Sinaloa elles-mêmes à rester terrés chez eux pendant les combats. Incapable de réguler par des moyens militaires cette effusion de violence, l’armée est contrainte de libérer son prisonnier et une quarantaine d’autres narcotrafiquants. Enfin, après coup, le président mexicain justifie cette décision… au nom de la protection des citoyens.

Le retour à un calme relatif depuis dimanche matin et le bilan — 8 morts, 16 blessés, 49 prisonniers évadés ou libérés2 — justifient cette décision de privilégier la protection des habitants contre la capture à tout prix des narcos, en même temps qu’ils révèlent les dangers d’une telle politique et les faiblesses profondes de l’État. Ceux-ci sont principalement illustrés par l’échec des troupes fédérales à réaliser une mission qui a déjà été retirée des mains des troupes de polices à l’échelle des communes ou des États. Cet aveu de faiblesse de l’État dans les moments de confrontation directe et armée avec les cartels de la drogue aggrave en retour la perte de confiance de la population vis-à-vis des instances chargées de la protéger3.

Perspectives :

  • L’État mexicain est actuellement dans une posture intenable qui consiste à ne pas parvenir à s’extirper de la guerre à outrance déclarée contre les narcotrafiquants depuis l’élection du président Felipe Calderón en 2006, tout en tentant de contenir la hausse de la violence et l’ultra-militarisation du pays, comme l’a promis le président López Obrador, et comme il l’annonçait lui-même aux habitants de Culiacán le 26 janvier dernier4.
  • Près d’un an après sa prise de fonction le 1er décembre 2018, les contradictions profondes et non-résolues de cette stratégie aveugle se font jour, et l’incident de Culiacán en offre une version condensée.
  • Dans la perspective des cinq prochaines années de son mandat, c’est toute sa politique en matière de lutte contre la violence et le narcotrafic que le président López Obrador va devoir repenser s’il veut réduire les incohérences qui mettent au jour l’état de crise du pouvoir.