Téhéran. « Ce n’était qu’une gifle », c’est par ces termes que le guide suprême iranien Sayed Ali Khamenei a qualifié les frappes contre les bases américaines en Irak à Ain – al -Assad et Erbil en pleine nuit de mercredi 8 janvier 2020. Une réaction iranienne était attendue à la fois par l’administration Trump, mais également par les principaux acteurs internationaux. En effet, comme le fait remarquer l’analyste Alex Vatanka, il était nécessaire pour les autorités iraniennes face aux pressions internes d’apporter immédiatement une réponse à cette attaque sans se permettre de « tester les limites de l’imprévisibilité » de Donald Trump.1 Dès lors, plusieurs formes de contre – offensive furent pressenti, le secrétaire iranien du Conseil suprême de sécurité nationale, Ali Shamkhani ayant d’ailleurs affirmé : « les Américains doivent savoir que pour l’heure treize scénarios de vengeance ont étaient débattus au sein du conseil et même si le consensus se forme autour du scénario le plus faible, sa mise en œuvre pourra être un cauchemar historique pour tous les Américains »2 Toutefois, c’est l’option de frappes contre des bases militaires qui fut retenue. 

Le comportement actuel des autorités iraniennes présuppose alors la conjugaison de deux contextes, celui d’un temps court et d’un temps long. Dans un temps court tout d’abord, il était nécessaire pour l’Iran de procéder à une contre – offensive graduelle, mais non proportionnelle. Graduelle, car il n’est pas question pour l’Iran d’entrer dans une logique de guerre. Il lui était pourtant possible de procéder à des opérations beaucoup plus percutantes. Il aurait en effet pu être question de frapper plus durement d’autres sites proches et accessibles, tel que la base aérienne de Balad dans le nord de Bagdad, mais également la base d’Al – Udeid au Qatar, abritant beaucoup plus de personnel militaire américain. 

D’autre part, dès l’annonce de l’assassinat du général Soleimani, les autorités avaient annoncé par la voie de l’actuel commandant de la marine du Corps des Gardiens de la Révolution Alireza Tangsiri un accroissement de la présence navale dans le golfe persique, se traduisant par une augmentation des patrouilles. Le commandant de la marine, l’amiral Habibollah Sayyari avait également annoncé une intensification de la présence iranienne dans les eaux internationales.3 Toutefois, il ne s’agissait que de déclarations puisqu’une présence trop accrue et potentiellement non maitrisée du Corps des Gardiens de la Révolution dans un climat de tensions risquerait de provoquait un accident beaucoup plus important que les frappes qui ont eu lieu en Irak. Ainsi, en plus d’une escalade de tensions, le risque de voir réapparaitre un énième conflit dans le détroit d’Ormuz et au sein de ce que l’Iran considère être ses espaces stratégiques maritimes ne peut être négligé.

De plus, il apparaît aujourd’hui que par l’intermédiaire de l’Irak, les autorités américaines ont pu être tenues au courant à l’avance d’une attaque ciblée contre leurs bases. Cette opération iranienne démontre alors la volonté de s’inscrire dans une logique non proportionnelle et graduelle. Non proportionnelle, car comme le rappel l’analyste Ali Vaez, ces frappes n’ont causé aucun décès du côté américain4 même si le ministre iranien des Affaires étrangères déclara le contraire : « Iran took & concluded proportionate measures in self – defense[…] »5

Dans un temps plus long cette fois – ci, le commandant de l’armée de l’air des Gardiens de la Révolution, le brigadier Ali Haji Zadeh avait déclaré que les frappes de missiles sur les bases américaines n’étaient que le début d’une opération plus longue se poursuivant dans toute la région.6 Une opération qui aurait pu être perturbée s’ils s’étaient inscrits dans une logique de proportionnalité. Pour Paul Salem, directeur du Middle East Institute, il s’agit alors de réévaluer plus largement ce que les autorités appellent elles-mêmes « l’axe de la résistance ». Cette réévaluation peut se traduire par le fait d’appréhender une pression régionale iranienne constante sur certains théâtres d’opérations afin d’inverser les rapports de forces dans une perspective de réduction des sanctions américaines. Cette stratégie paraît toutefois dangereuse dans la mesure où le risque d’accident n’est pas a à exclure.

C’est donc dans ce contexte que l’Iran se retrouve en capacité de mobiliser des forces asymétriques, notamment en Irak où les milices pro-iraniennes semblent pour le moment avoir l’avantage du terrain et de l’opinion.7

La situation pourrait toutefois évoluer rapidement, néanmoins il paraît important de noter que dans ce « temps court », les frappes contre les deux bases américaines en Irak ont étaient perçu par les autorités iraniennes comme une victoire. Elles permettent en effet à la fois d’apporter une réponse attendue à sa propre opinion publique, mais également d’accentuer sa rhétorique auprès de milices régionale.

Il est également important de noter que cette « victoire » n’est pas due à une réussite tactique, puisque l’action militaire n’a eu que très peu d’impact, mais plutôt par le fait qu’à travers une opération graduée, l’Iran a tenté de démontrer son pragmatisme dans un contexte de forte pression. De cette manière, l’un de ses objectifs n’était pas militaire, mais consistait à renverser les représentations généralement admises en se présentant comme un acteur fiable respectant les normes stratégiques face à une administration américaine trop souvent qualifiait d’imprévisible.

Il paraît donc pour le moment improbable d’entrevoir des discussions indirectes tant qu’une partie des sanctions liées à l’exportation du pétrole iranien n’aura pas été levée comme l’a déclaré le vice-ministre iranien des Affaires étrangères au ministre des Affaires étrangères Omanais qui a voulu se placer comme médiateur. Le risque d’une escalade non maîtrisé n’est donc pas à écarter.

Sources
  1. The killing of Qassem Soleimani : Analysis from MEI experts, Washington, 3 janvier 2020
  2. ZAGDOUN Benoît, Attaque iranienne contre des bases américaines en Irak : « On est dans une sorte de riposte graduée », 8 janvier 2020
  3. Commander : Iran protecting security of shipping line in Indian Ocean, Gulf of Aden, Téhéran, 2 janvier 2020
  4. VAEZ Ali, tweet du 8 janvier 2020
  5. ZARIF Javad, tweet du 8 janvier 2020
  6. الحرس الثوري يكشف تفاصيل الهجوم على « عين الأسد » ويلوح بخطوات قادمة, Al – Jazeera, Doha, 9 janvier 2020
  7. Ali Mamouri, Has the time come for US – Iran negotiations ? Washington, 9 janvier 2020