Berlin. Malgré certains indicateurs économiques plutôt favorables, le PIB allemand a décru de 0,1 % au deuxième trimestre 2019.  Derrière ce chiffre se cache une réalité dure à accepter. L’Allemagne souffre depuis plusieurs années d’un manque d’investissements qui a engendré de lourds problèmes structurels.1

Elle accuse un retard technologique conséquent dans l’industrie automobile, souffre d’un système éducatif sous-financé et d’un manque d’enseignants, est retardé par infrastructures routières et ferroviaires obsolètes, un réseau internet lent et non fiable ainsi qu’une armée dans un état qui laisse désirer.    

À ces faiblesses structurelles s’ajoute la possibilité d’une imminente récession mondiale. En effet, la récente inversion de la courbe des taux américains ainsi que l’enfermement des économies dans un cercle vicieux des taux d’intérêts bas vont dans cette direction. La récession allemande semble donc faire son chemin.

Pourtant, l’Allemagne bénéficie du plein-emploi, d’une dette publique bientôt inférieure à 60 % du PIB, d’une confiance des consommateurs imperturbable et de 58 milliards d’euros d’excédents en 2018. Il y a seulement quelques semaines, le Ministre des Finances Olaf Scholz exprimait la possibilité d’utiliser 50 milliards d’euros pour redynamiser l’économie.2

Pourquoi l’Allemagne n’a-t-elle pas agit avant ?

Avant l’apparition récente d’une croissance négative du PIB, l’Etat fédéral n’avait en réalité pas la capacité d’intervenir pour soutenir l’économie. Cette incapacité résulte directement des règles budgétaires constitutionnelles allemande. Pour comprendre cela, il est nécessaire d’analyser séparément les principales recettes de l’Etat fédéral, que sont l’impôt, l’emprunt sur les marchés financiers et l’excédent commercial. 

Les recettes fiscales, suivants la courbe de croissance du PIB, ne faisaient que croître. Sous la règle budgétaire (Schuldenbremse, « frein à l’endettement »)3, inscrite dans la constitution, interdisant le financement de l’Etat, par émission de bons du Trésor, sur les marchés financiers à un montant supérieur à 0,35 % du PIB, l’endettement allemand augmentait tout atteignant son maximum légal. Enfin, l’exceptionnel excédent allemand ne montrait aucun signe de faiblesse.

Toutefois, le ralentissement de la croissance depuis avril dernier a mécaniquement freiné l’augmentation des recettes fiscales. D’une manière similaire, il a  mathématiquement diminué le montant d’endettement légal. Enfin, les pulsions protectionnistes de Donald Trump, la guerre commerciale sino-américaine et le ralentissement de la croissance du commerce mondial qui en a résulté sont venus menacer l’excédent allemand.

Ces inversement de tendances ont eu pour conséquence, par l’intermédiaire de la règle budgétaire allemande, la diminution du budget fédéral et des programmes d’investissements nationaux. Ainsi, la volonté récente du gouvernement Merkel de lutter enfin contre la récession, quelques mois après le début de ces déséquilibres macroéconomiques, arrive amplement à temps dans le sens des règles budgétaires allemandes.

On pourrait de plus reprocher le manque de soutien apporté par l’Etat au secteur privé. Or, en raison d’une grande séparation entre le privé et le public, l’Etat allemand ne peut et n’interviendra jamais dans la sphère privée. Les plans sociaux de Deutsche Bank, du leader mondial de la chimie BASF ou l’annonce de diminution des bénéfices de BMW ne mobilisera en rien l’Etat fédéral. À titre d’exemple, lorsqu’Opel frôlait le dépôt de bilan et suppliait l’Etat de l’aider, ce dernier lui répondait de se débrouiller seul.

En revanche, à défaut d’intervenir dans le secteur privé, l’Etat reste en capacité d’orienter la production. En cela, le gouvernement aurait pu, bien avant les faiblesses de la croissance, combler les retards technologiques et augmenter la compétitivité de l’industrie automobile via un crédit d’impôt sous condition d’investissement dans la conception de véhicules électriques. Les retombées sur la croissance comme la technologie auraient été importantes. Il ne faut toutefois pas voir directement en la personne d’Angela Merkel un bouc-émissaire, puisque ses volontés d’accroître les investissements ont en réalité, la plupart du temps, été bloquées par l’opposition gouvernementale.

C’est donc l’ensemble du ciblage sectoriel de la politique du gouvernement qui s’est avéré insuffisant, tant dans l’éducation, l’armée, les infrastructures routières et ferroviaires que dans le déploiement d’internet.

Maintenant que le gouvernement allemand s’est décidé à agir, les solutions de relance de la croissance et des réponses aux problèmes structurels doivent être au centre des réflexions.

Quels seraient alors les actions envisagées par le gouvernement pour relancer l’économie allemande ?

La Schuldenbremse est vue aujourd’hui comme un frein majeur à l’investissement4. L’auteur même de cette règle, Christian Kastrop, en souhaite le retrait5. Toutefois, cette issue semble plus probable en théorie qu’en pratique. Sauf coup politique majeur, il serait en effet compliqué de voir la fin de cette règle avant au moins deux ans. Nécessitant une modification constitutionnelle, les deux tiers du parlement doivent être en faveur de cet amendement. Or, la fragile coalition actuelle, les élections régionales en cours ainsi que l’élection d’un nouveau chancelier d’ici deux ans compliquent ce scénario. 

Une autre solution semble en revanche rassembler de nombreux experts : la création d’une Banque d’Investissement. En plus de la Schuldenbremse, la règle constitutionnelle obligeant l’équilibre entre les recettes et dépenses de l’Etat (Schwarze Null, « zéro noir ») 6 empêche l’Etat de dépenser plus qu’il ne le souhaiterait, voire devrait. Couplé aux apports des Länder, des marchés financiers et de la sphère privée, l’Etat pourrait alors confier son excédent commercial tout en gardant un budget équilibré et un endettement à 0,35 % du PIB à la nouvelle Banque d’Investissement, l’excédent étant extérieur à ces règles. De plus, l’Etat ne pouvant décider d’investir dans un Land plutôt qu’un autre, l’indépendance de cette banque lui permettrait, via l’argent public et privé, d’orienter ses investissements où elle le souhaite. Cette hypothèse allierait donc investissements massifs et respect des règles budgétaires actuelles.

Divisée entre l’abandon des règles budgétaire strictes et la création d’un mécanisme d’investissements massifs contournant ces règles, l’Allemagne semble s’orienter vers la seconde hypothèse. Plus rapide et politiquement moins risquée, elle conserverait l’exemplarité budgétaire allemande.

Les souhaits de relance budgétaire dans son économie valent toutefois à l’Allemagne le reproche d’une absence de solidarité et coordination au sein de l’Europe7. Il serait à ce titre non négligeable, dans l’idéal d’une union monétaire, qu’à l’avenir, la zone euro puisse se voir équipée d’un système de contribution économique des pays prospères vers les plus défaillants.