Berlin. À en croire la maxime de Victor Hugo dans Le Rhin, « La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. L’Allemagne est le cœur ; la France est la tête ». À la grande surprise de la tête, le cœur européen aurait un souffle, laissant l’Europe inquiète et perplexe.

En effet, les prévisions de la croissance du PIB allemand n’ont cessé d’être revues à la baisse. À l’automne 2018, un accroissement de 1,8 % du PIB était attendue pour 2019. Le Ministre allemand de l’Économie Peter Altmaier avait par la suite réduit les anticipations à 1 % en fin d’année puis à 0,5 % ce mois d’avril.

Pierre Rousseaux | Le Grand Continent

Le taux de croissance de 2019 n’est toutefois pas gravé dans le marbre. La fin de l’année est encore loin et les Cinq Sages du Conseil d’Analyse Économique Allemand, plus optimistes que le gouvernement, prévoient une croissance avoisinant les 0,8 % du PIB.

Ainsi, après une croissance du PIB1 de 2,2 % en 2016 et 2017 puis de 1,4 % en 2018, l’année 2019 marque une rupture inédite — même si les prévisions pour 2020 sont meilleures.

Cyprien Batut | Le Grand Continent. Source  : Eurostat

Au-delà de la bataille du chiffre, la chute de sa croissance ferait baisser la contribution allemande dans la croissance européenne de 0,8 % à 0,2 % en 2019 selon l’OFCE2.

Faut-il prendre ces signes de faiblesse au sérieux ?

Selon le Ministre allemand de l’Économie Peter Altmaier, « la croissance ralentit mais le développement économique est solide ». En effet, les indicateurs macroéconomiques internes n’en sont pas pour autant affectés et affichent au contraire d’excellents résultats. Entre autres, le taux de chômage demeure toujours au plein-emploi avec 3,1 % en 2019.

Drainés par une croissance des revenus dans le secteur public de 8 %, et comprise entre 4 et 7 % selon les secteurs du privé, les salaires allemands ont en moyenne augmenté de 3,2 % en 2019. Souvent reproché à l’Allemagne, son taux d’épargne élevé n’est toutefois pas un frein à la croissance de 1,2 % en 2019 des dépenses de consommation des ménages, avec une prévision s’élevant à +1,6 % en 2020.

Affichant une hausse de 2,2 % en 2019 et une prévision à 2,8 % en 2020, l’investissement tire également profit du cycle globalement favorable. De leurs côtés, la marque de fabrique allemande que sont les exportations, augmentent à leurs tours de 2 % en 2019 et sont projetées à 3 % en 20203.

De quoi ces quelques faiblesses dans une économie solide sont-elles le signe  ?

La principale explication se trouve dans la dépendance allemande au commerce international. Avec un excédent commercial de 227,8 milliards d’euros en 2018, l’Allemagne exporte une part importante de ses ventes vers les Etats-Unis, la France, les pays de l’Est et la Chine, l’Allemagne est très dépendante de la conjoncture mondiale. Ce qui, dans un contexte où le protectionnisme américain grandit, la Chine se recentre sur son marché intérieur et où Brexit rime encore avec incertitude, la rend très vulnérable. Le secteur manufacturier, principal secteur d’exportation allemand, a ainsi subit les conséquences de l’altération de la conjoncture mondiale et de l’accroissement des tensions commerciales.

Les progrès technologiques américains et chinois constituent également un facteur explicatif du ralentissement allemand. L’hégémonie des équipements industriels d’outre-Rhin a favorisé son retard technologique, tout relatif. Le vieillissement de la population couplé à un modèle éducatif peut-être trop faiblement centré vers l’innovation jouent dans le même sens. En effet, le Mittelstand (PME) allemand est bien moins armé que les grands groupes en matière d’innovation et y réaliser des économies d’échelles n’est pas chose simple. Une croissance du Mittelstand va de pair avec des infrastructure et une technologie adaptée. Le Ministère Fédéral de l’Économie (BMWi) a par conséquent mis en place un programme d’innovation axé sur l’ouverture technologique des entreprises. Pour cela, 62 milliards ont été attribués à la recherche et développement des entreprises allemandes4.

Enfin, l’industrie automobile s’avère elle aussi au centre de l’essoufflement conjoncturel allemand. Alors que le secteur est soumis à la nouvelle norme WLTP (Worldwide Harmonised Light Vehicle Test Procedure), la sortie du Dieselgate se montre pénalisante pour l’industrie automobile. Suite à l’évolution des comportements vers un modèle de transport plus écologique, l’industrie de l’hybride ou de l’électrique peinent à s’imposer.

Le Purchasing Managers Index (PMI, Indice des directeurs d’achat) rend compte des commandes, productions, emplois, livraisons et stocks de l’activité manufacturière d’un pays. Un PMI inférieur à 50 % correspond à une contraction du secteur d’activité. Avec 44,5 % en avril 2019, jamais le PMI du secteur manufacturier allemand n’avait été aussi bas depuis juillet 20125.

Selon certains membres du gouvernement, ce ralentissement conjoncturel cache une faiblesse structurelle dans les coûts de production. Peter Altmaier souhaite de ce fait un « moratoire sur les mesures de l’accord de coalition » qui correspondent selon lui à une réelle charge pour les entreprises. Ayant jusqu’alors œuvré à alléger les charges envers les ménages, réussissant enfin à booster la maigre consommation allemande, le gouvernement souhaite faire de même pour les obstacles administratifs et fiscaux subis par les entreprises.

Cependant, ces perspectives de réformes partagent le Ministre de l’Économie Peter Altmaier et le Ministre des Finances Olaf Scholz quant à l’utilisation de l’excédent commercial : Altmaier souhaite investir dans l’industrie et l’éducation, Scholz préférerait constituer des réserves nationales pour pallier un éventuel choc.

Le Ministre des Finances souhaite entre autres conserver une ligne de restriction budgétaire en concordance avec le programme de stabilité adopté par le gouvernement. La dette allemande devrait effectivement passer cette année sous les sacro-saints 60 % imposés par Maastricht.
Le ralentissement de la croissance du PIB allemand semble donc passager au vue de l’actuelle dynamique économique allemande. Cependant, la dépendance face au commerce international et à ses pulsions, l’insuffisance de la compétitivité technologique et faiblesse de la production manufacturière sont des signaux qui inciteront sans doute l’Allemagne à consolider vigoureusement ses politiques structurelles en matière d’industrie, d’infrastructures publiques, de soutien des entreprises ainsi qu’en recherche et développement.

Perspectives :

  • Après la publication récente et décevante de l’indice IFO (Indicateur du climat des affaires allemand), l’indice de confiance des consommateurs allemands couplé aux très prochaines annonces des politiques monétaires américaines et britanniques vont être décisives pour la conjoncture allemande.
  • Le Ministre de l’Économie Peter Altmaier souhaite réunir un groupe de travail composé de la coalition gouvernementale CDU-CSU-SPD afin de revoir les mesures de l’accord de coalition sur les entreprises.
Sources
  1. Données du Produit Intérieur Brut (PIB) Allemand, Trésor Français, 19 avril 2019.
  2. HEYER Éric, TIMBEAU Xavier, Perspectives économiques 2019-2021, OFCE, 16 avril 2019.
  3. Balance commerciale, Eurostat, 15 février 2019.
  4. Programme du BMWi pour les Mittelstand, Bundesministerium für Wirtschaft und Energie.
  5. Purchasing Managers Index (PMI), Trading Economics, avril 2019.