Trieste. La récente visite de Xi Jinping en Italie a débouché sur la signature de l’Italie d’un accord marquant son adhésion à l’Initiative de la Ceinture et de la Route (BRI). Cet événement diplomatique majeur a également été l’occasion de signer un accord directement avec le port de Trieste, ce qui donne à réfléchir sur une stratégie chinoise d’acquisition de ports méditerranéens de plus en plus agressive.

Des acquisitions massives de ports en Méditerranée…

Le retour de la Chine à une position naturelle de pouvoir après un
« siècle d’humiliation » est un leitmotiv dans la rhétorique de Pékin. Au XIXème siècle, au terme des guerres de l’Opium, les puissances occidentales forçaient la Chine à ouvrir ses ports au commerce dans le cadre des « Traités Inégaux ». Aujourd’hui, les entreprises d’État chinoises contrôlent 10 % des capacités des terminaux à conteneurs en Europe, contre 1 % au début des années 20101. Ces sociétés ont investi dans 13 ports européens et ont fait des ports méditerranéens l’une des priorités du volet maritime de l’initiative « la Ceinture et la Route », appellation officielle de la stratégie cadre de la politique étrangère chinoise. Officiellement, l’objectif de la 21st Century Maritime Silk Road est de faire des principaux ports des « points de connexion afin de construire conjointement des voies de transports sans obstacles, sûres et efficaces  ». Cependant, le géographe Michel Foucher compare la politique mise en place par Pékin à la stratégie de la Royal Navy au XIXème siècle, à savoir la recherche de points d’appuis stratégiques.2. Cette fois-ci, la route va d’Est en Ouest.

La stratégie d’acquisition de ports par les compagnies d’État chinoises s’effectue de manière différente : prise de contrôle de l’autorité portuaire (Le Pirée) propriété majoritaire d’un terminal (Valence, Espagne — Kumport, Turquie), ou propriété partielle (Malta Freeport, Malte — Port Said, Égypte — Eurogate Tanger et Somaport, Maroc, Gênes — Italie) construction de terminaux (Haifa et Aschdod, Israel — Ain Sokhna, Égypte — El Hamdania, Algérie) ou encore accords de coopération signé entre les autorités respectives des pays (Sinès, Portugal — Trieste, Italie) ou entre les ports (Algeciras, Espagne et Ningbo — Marseille et Shanghai).

… qui s’inscrivent dans une stratégie plus large ?

Selon l’analyste Keith Johnson3, « les accords dans les ports sont l’une des manifestations les plus claires des ambitions de Pékin de lier physiquement la Chine à l’Europe ». La stratégie maritime de la Chine compte pour la moitié de la BRI et les compagnies d’État chinoises ont investi dans la construction ou l’opération de 42 ports dans 34 pays4. Si ces investissement sont certes rentables pour les entreprises chinoises, il semble cependant que les préoccupations principales de la Chine dans ces achats soient plutôt d’ordre géostratégiques — réduire la dépendance de la Chine, augmenter son influence globale. La Méditerranée jouit en effet d’une position stratégique, porte d’entrée potentielle vers l’Europe aussi bien que vers l’Afrique. Par ailleurs, on peut voir dans cette ces acquisitions massives une stratégie visant à augmenter l’influence politique de la Chine en Europe. Avec la création de l’Initiative 16+1 – maintenant devenue 17 + 1 avec l’addition de la Grèce au dernier sommet de Dubrovnik5 – rassemblant des pays d’Europe centrale et de l’Est et la Chine dans un mécanisme de dialogue direct contournant l’Union, Pékin a déjà manifesté son intérêt pour des régions qui se sentent négligées par Bruxelles.

En effet, la stratégie chinoise ne se limite pas seulement au contrôle des ports, mais au contrôle de l’ensemble de la chaîne de distribution. Dans cette perspective, la Chine a proposé de financer un projet de chemin de fer visant à faciliter le flux de produits chinois en direction du marché Européen, en reliant le Pirée à l’Europe Centrale. Cette liaison permettrait de réduire les coups et les temps de trajet. Pékin a par ailleurs appelé à une plus grande coopération dans le domaine des ports, notamment en Europe du Sud, dont les pays ont fait l’objet de propositions répétées à rejoindre la BRI. Cependant, l’enthousiasme soulevé par les promesses d’investissements chinois et les bons résultats économiques obtenus par la gestion de Cosco du Pirée continue d’être freiné par Bruxelles malgré la difficulté d’obtenir une position commune entre les différents membres.

GEG – Cartographie pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • On peut en effet se demander si ces acquisitions massives de ports font partie d’une stratégie chinoise visant à accroître l’influence politique de la Chine en Europe. Avec la création de l’Initiative 16+1, la Chine a déjà manifesté son intérêt pour des régions qui se sentent négligées par Bruxelles.
  • L’attitude de la Chine peut dès lors représenter un sérieux défi pour la cohésion de l’Union Européenne. En effet, comme le remarque Ronald H. Linden pour le IAI, « quand la Chine traite avec l’Europe, il n’y a pas de bloc fort des 28. Il y a la Grèce, dont le PIB est tombé de près de 25 % sous les mesures d’austérité imposées par l’Union. Il y a l’Italie, qui se classe vingt-septième sur vingt-huit en terme de croissance dans les pays de l’Union.  »6. Dans des pays qui se sentent « laissés pour compte » par l’UE et dans laquelle la Chine a beaucoup investi pendant la crise, on se demande pourquoi devrait-on se priver d’une telle manne financière.
  • Dès lors, le poids économique des investissements chinois peut se convertir en influence politique, comme le montre le veto grec mis sur une déclaration de l’Union Européenne critiquant la Chine au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en 2016. Les tentatives de la Grèce et de la Hongrie d’adoucir la dénonciation des prétentions chinoises en Mer de Chine du Sud par l’Union en 2017 en représentent également un bon exemple. Plus récemment, plusieurs pays, notamment l’Italie, ont émis des réserves quant à un projet de la Commission Européenne visant à renforcer le contrôle des investissements chinois dans des domaines stratégiques — technologie et infrastructures.
Sources
  1. Chiffres de l’OECD International Transport Forum.
  2. SÉNAT, Comptes-rendus de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du 17 juillet 2018, Audition de M. Michel Foucher.
  3. JOHNSON Keith, Why Is China Buying Up Europe’s Ports ?, Foreign Policy, 2 février 2018.
  4. China on port shopping spree in Europe and globally,
    PortsEurope, 24 janvier 2019.
  5. COUDRIN Cécile, Du 16+1 au 17+1 : la Grèce intensifie sa coopération avec la Chine dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie, Le Grand Continent, 28 avril 2019
  6. LINDEN Ronald H., The New Sea People : China in the Mediterranean, Istituto Affari Internazionali Papers (18|14) 21p., 2018