Washington, DC. En abaissant une nouvelle fois son taux d’intérêt de référence, la Federal Reserve, la banque centrale américaine, ou Fed, est entrée un peu plus dans une logique nouvelle. Sa politique monétaire évolue désormais indépendamment de la conjoncture américaine. La banque centrale conditionne sa stratégie aux incertitudes mondiales qui pourraient peser sur la conjoncture américaine et dévier celle-ci de sa trajectoire robuste. Les incertitudes sur les échanges mondiaux, les conséquences de la politique commerciale de la Maison Blanche et les inquiétudes sur la croissance mondiale sont autant d’éléments qui poussent la banque centrale américaine à adapter cette stratégie.

Par le passé, le changement vers une politique plus accommodante s’observait généralement quand l’économie ralentissait franchement. En 2007-2008, un manque de liquidité sur le marché monétaire avait été le déclencheur de la nouvelle politique de la Fed. Mais c’était l’exception plutôt que la règle. Dit autrement, la Fed ne réagissait qu’aux aléas de l’économie américaine et était peu soucieuse du reste du monde. C’était à juste titre d’ailleurs puisque la dynamique mondiale était conditionnée par celle des États-Unis.

La Fed fait machine arrière par rapport aux options haussières de 2018

Plusieurs remarques sur ce changement dans les priorités :

La Fed fait machine arrière par rapport aux options haussières de 2018. Elle avait alors remonté son taux de référence à 4 reprises. C’était, à l’époque, le bon choix en raison de la politique budgétaire très volontariste de la Maison Blanche alors que l’économie était déjà au voisinage du plein emploi. Il fallait éviter un excès de tensions qui aurait été pénalisant pour l’économie.

Ce rééquilibrage des politiques économiques n’avait rien de choquant au regard de la conjoncture.

Cependant, la politique budgétaire n’a pas été aussi efficace qu’anticipée. L’effet d’entraînement sur l’économie a été plus limité. La Fed n’avait alors plus l’obligation de continuer sa stratégie de durcissement monétaire.

Ce changement d’appréciation est arrivé au moment où l’environnement international est devenu à risque notamment en raison de la politique commerciale de la Maison Blanche.

La combinaison de ses deux éléments a incité la Fed d’abord au statu quo puis à la détente. Le calendrier a été très clair. Le 30 janvier 2019 la banque centrale se met en pause avant d’assouplir sa stratégie le 31 juillet puis le 18 septembre. Elle a désormais une stratégie très accommodante puisque le taux des fed funds réel est juste très légèrement positif.

Le policy-mix américain est désormais très accommodant alors que l’économie est toujours au pic du cycle

Restons un instant sur la mesure de la politique économique. Le policy-mix américain est désormais très accommodant alors que l’économie est toujours au pic du cycle. Le déficit public est de 1 000 milliards de dollars (presque 5 % du PIB) et le taux réel des fed funds est juste légèrement positif. Quel sera alors la politique économique en cas de choc négatif sur la croissance ? Doit-on imaginer un déficit public encore plus large et peut-on s’attendre à des taux d’intérêt négatifs de la Fed ?

C’est pour cette combinaison pas très heureuse que l’on peut penser que la Fed s’est hâtée dans le changement de sa stratégie accommodante. L’économie est encore robuste et ne nécessite pas de stimulus monétaire. En outre l’économie est toujours très fermée. Son activité et sa dynamique sont franchement conditionnées par son marché intérieur. Cela veut dire que les facteurs externes sont trop importants dans la gestion de la politique monétaire. En 2018, le taux d’ouverture1 de l’économie américaine est un peu inférieur à 14 % soit un niveau à peine supérieur à la moyenne constatée depuis 2000 (13,7 % contre 13,4 % en moyenne depuis 2000). L’économie n’est pas plus dépendante du monde externe qu’elle ne l’était il y a 10 ou 15 ans. Pourquoi alors changer les déterminants de la politique monétaire en gommant les aspects internes et en ne prenant en compte que les facteurs externes ?

Des interrogations toujours sur les déterminants de la politique monétaire

C’est ce point qu’il faudrait éclairer dans les questions posées à Jay Powell lors de ses conférences de presse. Est-ce que ce changement reflète une pression des investisseurs pour avoir des valorisations financières toujours plus élevées ? Est-ce la pression de la Maison Blanche qui voudrait que la Fed adopte des taux d’intérêt toujours plus bas ? Est-ce parce que Powell n’a pas la capacité à avoir une doctrine claire sur ce que doit être la politique monétaire dans ce monde confus ? Les trois éléments peuvent être pris en compte. Mais cette précipitation se traduit par une erreur de politique économique.

On peut trouver une autre explication à la stratégie de la banque centrale américaine

La croissance mondiale est moins vive que celle que chacun souhaiterait. Le monde apparait plus morcelé que par le passé et n’a plus ces caractéristiques de coordination et de coopération que l’on pouvait constater il y a encore quelques années durant la phase de globalisation. En d’autres termes, les dynamiques sont plus hétérogènes, provoquant de l’incertitude et pénalisant ainsi la croissance.

Dans le même temps, on ne perçoit pas de capacité à mener des politiques budgétaires coordonnées à l’échelle globale. La relance de 2009 semble bien loin. Américains, chinois et européens ont sur ce point des visions peu cohérentes les unes avec les autres. On ne peut pas s’attendre à disposer d’une relance globale de l’activité alors que ce serait probablement un facteur de soutien fort et durable à l’activité.

Les banques centrales mettent en œuvre collectivement des politiques très accommodantes afin de ne pas contraindre l’économie globale

Fortes de ce constat, les banques centrales mettent en œuvre collectivement des politiques très accommodantes afin de ne pas contraindre l’économie. L’objectif n’est alors pas de relancer la croissance à tout prix. Les prévisions de croissance publiées par la BCE ou la Fed ne vont clairement pas dans ce sens. L’objectif est de limiter le risque sur la croissance mondiale. La BCE, la Fed, la Banque du Brésil et de nombreuses banques centrales émergentes ont adopté cette stratégie. Cela expliquerait le biais extérieur dans les déterminants de la politique monétaire américaine.

Dans l’attente d’une impulsion budgétaire ou technologique

Le seul problème est que si une telle cohérence est souhaitable, cette dynamique coordonnée apparaît un peu comme la stratégie de la dernière chance en attendant qu’une impulsion budgétaire ou technologique vienne changer la donne de façon durable. Dès lors, les taux d’intérêt des banques centrales vont rester très bas pour encore très longtemps. La BCE a sur ce point indiqué que son taux de référence resterait au niveau actuel tant que l’inflation ne convergerait pas structurellement vers 2 %. Cela peut être très long et beaucoup plus long qu’on ne l’imagine. La Fed a encore un peu de marge par rapport à la zone euro mais celle-ci pourrait se réduire très vite. Les banquiers centraux donnent du temps aux gouvernements pour trouver une solution mais ils ne tiendront pas forcément aussi longtemps que souhaité.

Sources
  1. Le degré d’ouverture est le rapport entre la demi-somme des importations et des exportations sur le PIB