Alger. En début de semaine dernière, le général Gaid Salah a accusé les millions d’Algériens qui, depuis six longs mois, exigent la nécessité d’une transition transparente pour permettre une élection présidentielle démocratique, de « répandre des idées noires » – c’est-à-dire la démocratie – et de travailler « dans l’intérêt du gang Bouteflika et de ses maîtres ». Il détenait la preuve de ces activités, a-t-il dit, qui « seront rendues publiques le moment venu »1. Le lundi 2 septembre il annonce que les Algériens retourneront voter avant la fin de l’année. Le combat se prépare.

Au fur et à mesure que le général durcit le ton, le haut commandement de l’armée semble de plus en plus isolé. De nombreux travailleurs des entreprises qui appartenaient ou qui subissaient la participation autrefois des tristement célèbres « complices » de Bouteflika ne sont pas payés. C’est le cas de Fertisal, par exemple, producteur d’engrais dont les comptes bancaires ont été gelés. D’autres sociétés dans lesquelles des investisseurs turcs et chinois détiennent des participations sont touchées par des enquêtes sur des affaires de corruption mais, étonnamment, les intérêts français restent indemnes. La réputation du général Gaid Salah comme anti-français est en totale contradiction avec la réalité.

Au-delà des secteurs industriels, les pourparlers entre le géant national pétrolier Sonatrach et des entreprises comme Exxon et Chevron sont en suspens depuis des mois. Le directeur par intérim de Sonatrach, Rachid Hachichi, n’a ni les capacités ni la volonté de prendre des engagements à long terme. Cette atmosphère d’attentisme est teintée de peur, car personne ne sait lesquelles des personnes arrêtées avant l’été seront traduites en justice, ni si les accusations seraient inventées de toutes pièces, ni si le droit à une procédure régulière serait respecté, ce qui n’a souvent pas été le cas.

Avec un prix du baril à $60 dollars, les recettes d’exportation de pétrole et de gaz algériens devraient s’élever à $36 milliards de dollars cette année. Ce qui suffit pour faire tourner l’économie, d’autant plus qu’un complément de $15 milliards peut être prélevé sur les réserves. Mais ces dernières ont diminué de plus de moitié au cours des quatre dernières années pour atteindre un montant de $75 milliards de dollars. Enfin, qu’arrivera-t-il si les prix du pétrole, qui n’ont jamais regagné leur plateau d’au-dessus de $100 des années 2012-2014, continuent de baisser ?

Trois pays étrangers jouent un rôle clé dans les relations économiques internationales de l’Algérie : la France, la Russie et les États-Unis. Ce dernier, présent à travers un certain nombre de compagnies pétrolières qui explorent en Algérie, n’a pas à s’inquiéter. Quiconque dirige le pays sait qu’il ne pourra pas promulguer de loi qui contrarierait ces opérateurs. L’intérêt de la Russie se concentre sur la vente d’armes, dont certaines sont totalement inutiles. La France exerce une influence majeure dans d’autres secteurs importants mais, depuis l’indépendance en 1962, elle n’a jamais souhaité voir l’Algérie acquérir une base industrielle solide. Lorsque l’Allemagne a construit une usine de tracteurs à Constantine dans les années 1970, comprenant des fonderies et une capacité de réalisation de moteurs, la France était loin d’être contente. Aux Allemands il fut conseillé de se mêler de leurs affaires : l’Algérie était une réserve française.

Le secteur pétrolier et gazier a été créé après 1962 avec l’assistance technique de sociétés américaines et britanniques, mais aussi de l’italienne ENI. Lors l’affaiblissement de l’industrie britannique dans les années 1970 conduit à la sortie de ses entreprises, les entreprises japonaises ont saisi leur chance. Lorsque des réformes économiques audacieuses ont été adoptées sous la direction du président Chadli Bendjedid et de son premier ministre Mouloud Hamrouche en 1989-1991, le président François Mitterrand n’a rien fait pour aider, bien au contraire. L’Union Européenne souhaitait apporter son aide, mais la France lui a également signalé de se mêler de ses propres affaires.

L’Algérie a souvent détruit la carrière de certains de ses plus brillants cadres et ingénieurs industriels, car son leadership a trop souvent préféré céder aux desiderata Français, plutôt que d’oser les affronter et défendre les intérêts réels du pays. La corruption et le mépris total que Bouteflika et ses acolytes ont manifestés à l’égard de leurs compatriotes au cours de deux décennies ont aggravé la situation. Les hommes politiques français sont enclins à voir l’Afrique du Nord à travers un prisme néocolonial. Ils souhaitent maintenir le contrôle des autochtones, pour ainsi dire, et non pas promouvoir des secteurs industriels intégrés dans toute la région. Pourtant, compte tenu des millions de Nord-Africains qui vivent et travaillent en Europe, ainsi que des enjeux croissants des entreprises chinoises et indiennes dans la région, l’Union serait plutôt inspirée de réexaminer le coût du Non Maghreb, question abordée dans un rapport du Peterson Institute de Washington en 2008. Non seulement les pays de la région gagneraient au moins 2 % de points de croissance si les barrières au commerce et à l’investissement étaient abaissées entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, mais les pays du sud de l’Europe pourraient également y participer.

L’Europe et les Etats-Unis restent obsédés par la menace de l’islam radical dans la région, mais c’est l’absence de toute responsabilité politique des dirigeants nord-africains vis-à-vis de leurs peuples, le manque d’emplois pour les jeunes et la corruption endémique qui menacent la stabilité future. En Tunisie, la mafia a retiré plus de bénéfice des élections libres depuis 2011 que le peuple.

La France a davantage à gagner de la démocratie en Algérie – en permettant par exemple à de véritables groupes du secteur privé tels que Cevital, qui opère déjà hors d’Algérie, d’évoluer vers des secteurs industriels intégrés – qu’elle ne le croit. Ce qui est vrai de l’Algérie l’est aussi de ses voisins, même si le Maroc semble mieux géré sur le plan économique que ses pairs.

Le président Emmanuel Macron mettra-t-il réellement en pratique l’appel qu’il vient de lancer à l’occasion de la rencontre annuelle des ambassadeurs de France ? « Ne pensez plus selon des lignes traditionnelles, mais investissez vos efforts plutôt dans la société civile de vos pays respectifs. » Il pourrait en effet tirer enseignement de la façon de laquelle l’Allemagne réunifiée, il y a une génération, avait favorisé l’émergence d’une sphère de coprospérité avec les anciens pays communistes d’Europe de l’Est. Ce faisant, il imprimerait un tournant stratégique à la diplomatie française et apporterait la preuve qu’il est le véritable Européen qu’il prétend être, plutôt qu’une version réduite du général de Gaulle.

Perspectives :

  • Une remise en jeu des politiques d’antan est plus que jamais nécessaire pour encourager des formes modernes et responsables de gouvernement en Algérie et dans la région. La démocratie – à construire comme chaque pays l’entend – sera le meilleur gage pour l’Afrique du Nord et pour l’Europe d’une plus grande stabilité dans une région où l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, la Russie et la Chine, ne sont que trop heureux de s’ingérer. Comme tous les acteurs l’ont appris du sort tragique de la Libye, plus on s’y immisce, plus le désordre est grand, et moins la région de la Méditerranée occidentale sera stable.

Cet article a été publié originellement le 31 aout sur Arab Weekly comme Algeria, caught between a rock and hard place. Il a été traduit en français par CP Communication, [email protected].

Sources
  1. Algéria, caught between a rock and hard place, The Arab Weekly,31 aout 2019