Berlin. Elle est, aux yeux de nombre d’observateurs, la seule candidate capable de faire l’unanimité. La seule dont la candidature serait incontestée à la fois à la Commission et au Conseil. La seule susceptible de réunir autour de son nom le centre-gauche, les Verts et les libéraux, sans pour autant courir le risque de faire exploser son propre groupe, celui du Parti populaire européen. Elle aurait l’expérience, la crédibilité, la carrure. Elle connaît le Conseil européen aussi bien que les enjeux géopolitiques mondiaux. Emmanuel Macron lui-même l’a dit il y a dix jours : « si elle le souhaitait, je la soutiendrais »1 ; quant à l’ancien vice-chancelier Sigmar Gabriel, figure des sociaux-démocrates allemands, il a affirmé jeudi son soutien à celle qu’il considère comme « la meilleure » pour assurer la présidence du Conseil2.

Oui mais voilà. Angela Merkel l’a dit et répété depuis le mois de mai3 : si elle entend bien se maintenir à la chancellerie fédérale jusqu’en 2021, elle n’a plus l’intention d’occuper aucune autre fonction politique que celle-là ; au-delà, celle qui gouverne l’Allemagne depuis 2005 souhaite prendre sa retraite politique, et, dans l’intervalle, n’est disposée à exercer aucun autre mandat, ni national ni européen.

Avant même les élections européennes, les signes que Mme Merkel était courtisée par les principaux dirigeants européens pour occuper une position de premier plan, de préférence au Conseil, s’étaient accumulés. Des suggestions allant en ce sens avaient semble-t-il déjà émergé lors du sommet de Sibiu4. Mais alors que les négociations pour la présidence de la Commission lors du Conseil européen de jeudi 20 juin ont tourné court, conduisant à l’élimination de facto des trois Spitzenkandidaten de droit ou de fait qui semblaient pouvoir y prétendre (Manfred Weber, Frans Timmermans, Margrete Verstager), le débat est relancé. C’est en tous cas ce que suggèrent les messages appuyés du président français et de l’ancien vice-chancelier allemand : alors que Mme Merkel a finalement dû accepter d’abandonner l’option Weber5, qu’elle avait pourtant défendue jusque là avec constance, les chefs d’État et de gouvernement européens pourraient être tenter de croire qu’un revirement de la chancelière n’est pas impossible, s’il apparaît comme la seule solution pour sortir de la crise. Ce d’autant plus que la réponse de Mme Merkel au blocage rencontré ce jeudi s’est exprimée en des termes très pragmatiques : « Il n’y a pas de majorité pour les candidats présentés par les partis politiques. […] Nous devons maintenant voir comment nous traiterons la situation. » Une telle attitude semble cependant sous-estimer la patience de Mme Merkel elle-même, qu’on a vue, au niveau national, mener des négociations de coalition également complexes sans que sa propre crédibilité soit significativement remise en cause.

Si l’on met de côté la question de la compétence – qui joue clairement en faveur de la chancelière –, les raisons qui poussent une partie de la classe politique européenne à soutenir cette candidature des plus hypothétiques sont de deux sortes. D’une part, la nomination de Merkel à la tête de l’une des deux institutions dissiperait aussitôt l’essentiel de l’incertitude au Conseil autour de la répartition des postes à pourvoir entre les différents États-membres et groupes politiques : l’Allemagne serait (bien) représentée, Weber écarté, le PPE aurait son président de la Commission ou du Conseil, les trois autres groupes centristes un interlocuteur consensuel et rompu aux coalitions larges ; on peut aussi imaginer que cette nomination ouvrirait la porte à un président français à la Commission (Barnier) ou au directoire de la BCE (Villeroy de Galhau, Cœuré), qu’elle laisserait la présidence du Parlement à Renew Europe, l’ex-ALDE (Verhofstadt) et le Haut-Commissariat aux S&D (Timmermans). D’autre part, la situation nationale allemande pourrait décider Merkel à se retirer prématurément. Alors que la Grande coalition fédérale est en difficulté et que les rumeurs sur sa fin prématurée vont bon train (les sociaux-démocrates, en déroute dans les sondages, ont annoncé une consultation en décembre 6, alors que les Verts deviennent le premier parti du pays), nombreux sont les observateurs qui doutent de la capacité de la chancelière, affaiblie par une ambiance de fin de règne qu’elle a elle-même installée en cédant sa place à la présidence de la CDU, à tenir bon jusqu’au bout. Dans le même temps, l’opinion publique allemande, du fait de sa culture parlementaire, tend à ressentir l’abandon du principe des Spitzenkandidaten comme un déni de démocratie. Un départ précipité pour un poste européen, présenté à l’électorat allemand comme la seule manière de résoudre une crise institutionnelle grave, pourrait être pour Merkel l’occasion d’envisager une sortie par le haut.Une telle décision ne semble pas à l’ordre du jour.

Toutefois, le débat autour d’une accession d’Angela Merkel à un poste majeur au sein de l’Union met en lumière les différences majeures entre le processus en cours et celui en vigueur dans les régimes parlementaires. Car c’est d’abord le consensus intergouvernemental, et dans un second temps seulement des intérêts partisans – souvent identifiés, du reste, aux intérêts de certains partis nationaux – qui influent sur les négociations. Le programme d’une hypothétique présidence Merkel, quant à lui, n’est jamais évoqué. Pourtant, l’action européenne de la CDU/CSU s’est maintenue ces derniers temps sur des positions très conservatrices, tant sur la question de la défense que sur celle du budget, très loin de la volonté affichée par les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux de faire bouger les lignes.

Interrogé sur ce sujet par Politico début juin, Jean-Claude Juncker avait semble-t-il identifié le fond du problème : il appréciait Mme Merkel, disait-il, « [m]ais parce que je l’apprécie, je ne souhaite pas qu’elle subisse ça »7.

Perspectives :

  • 28-29 juin : réunion du G20 à Osaka, en présence d’Emmanuel Macron, Angela Merkel, Giuseppe Conte, Theresa May, Donald Tusk et Jean-Claude Juncker. La réunion devrait être une plate-forme pour des discussions informelles entre les membres les plus influents du Conseil.
  • 1er novembre 2019 : fin du mandat de la Commission Juncker ; fin du mandat de Mario Draghi à la présidence du Directoire de la BCE.
  • Décembre 2019 : « bilan » de la SPD sur l’état de la Grande coalition.
  • Octobre 2021 : fin du mandat d’Angela Merkel à la chancellerie fédérale.