Istanbul. Les élections municipales de 2019 à Istanbul, premier événement politique depuis la large victoire de Recep Tayıp Erdoğan et de l’AKP aux élections présidentielles et législatives de 2018, ont jeté un froid en Turquie. Elles ont d’abord signifié la perte pour Erdoğan de la plus grande ville du pays et de celle qui l’a vu exercer son premier mandat politique en tant que maire. L’annulation des élections du 31 mars, expliquée par Le Grand Continent le 11 mai dernier1, a inquiété l’opposition et les observateurs quant au respect de l’État de droit en Turquie et les arguments avancés par le YSK n’ont pas convaincu.

Cette seconde campagne a été marquée par un retournement stratégique de l’AKP. Recep Tayıp Erdoğan, figure de plus en plus clivante surtout depuis l’annonce de l’invalidation de la première élection, a totalement disparu du débat alors qu’il était le principal intervenant de plusieurs meetings électoraux en mars. L’AKP est également revenu à ce qui a fait son succès lors des années précédentes : les promesses électorales et la poursuite des méga projets, poussant Ekrem Imamoğlu à une surenchère qu’il aura du mal à appliquer. L’organisation d’un débat télévisé une semaine avant l’élection (une première depuis 17 ans), n’a pas permis à Binali Yıldırım de rattraper son retard. Recep Tayyıp Erdoğan avait pourtant autorisé son candidat à y participer mais ce dernier n’est pas parvenu à tenir la comparaison avec Ekrem Imamoğlu, bien plus à l’aise et dynamique. Plus que ce débat, le tournant de cette élection semble avoir eu lieu au lendemain de l’annulation des résultats2. L’écart de 13 000 voix se serait creusé avec le soutien des indécis qui auraient soutenu la rhétorique du CHP qui dénonçait dans cette annulation une attaque contre les urnes et la démocratie. Ces ex-indécis ont fait pencher la balance dans plusieurs districts généralement dévolus à l’AKP et qui ont vu Ekrem İmamoğlu arriver en tête comme Eyüp Sultan, Fatih ou Üsküdar.

La double défaite de l’AKP affaiblit Recep Tayyıp Erdoğan et redonne de l’espoir à une opposition qui a du mal à faire émerger un opposant crédible. La défaite de l’AKP est également symbolique. « Qui contrôle Istanbul contrôle la Turquie » avait coutume de dire le Président de la République. Si Imamoğlu n’est pas encore un cador de la vie politique turque, il sort grandi de cette élection et la municipalité d’Istanbul peut lui servir de tremplin pour viser plus haut. Il devra cependant passer outre plusieurs défis, à commencer par la poursuite des méga-projets lancés par la mairie précédente et auxquels le CHP s’est opposé. Il devra également composer avec un pouvoir central hostile et peu enclin à débloquer fonds ou autorisations pour ses propres projets. Son dernier défi, le principal, sera de poursuivre l’amélioration des conditions de vie des habitants et le développement de la ville malgré l’endettement de la municipalité.

Perspectives :

  • Contrairement à l’élection du 31 mars, celle-ci devrait être acceptée sans difficulté. Outre l’écart de près de dix points entre les candidats, Binali Yıldırım a féliciter son adversaire avant l’annonce des résultats officiels.
  • Les relations entre la municipalité d’Istanbul, vitrine du pays à l’étranger, et l’administration centrale pourraient se tendre selon l’avancée des méga projets de l’AKP et les projets de la nouvelle mairie.
  • Ekrem Imamoğlu ne jouit pas uniquement du statut de maire d’Istanbul. Il devient un des principaux hommes politiques du pays. Ces futurs prises de positions donneront un aperçu plus clair de ses ambitions.