Pékin. Renâclant à formuler dans le droit le principe de non-assistance à personne en danger qui serait faire d’une question morale une contrainte pénale, le gouvernement chinois affectionne la pédagogie pour améliorer le sens moral des citoyens. Cependant, l’État de droit visé, où chacun suit règles et lois, amène le Parti communiste à faire entrer le droit dans l’éducation citoyenne.

La valorisation de l’exemplarité par la récompense des bonnes actions se double d’une sensibilisation qui favorise la bonne conduite par des activités d’intérêt public – telles que le « Mois pour l’intégrité des entreprises » ou la « Journée nationale de la publicité juridique »1 – et de manière plus incitative, par la sanction des comportements frauduleux et l’imposition de restrictions aux infracteurs irresponsables (les « lai lao », ceux qui « ne respectent pas leur engagement »), avec pour mot d’ordre « confiance violée, partout limité »2. C’est le rôle dévolu au système de crédit social (社会信用体系), une initiative encore composite entrée dans le plan législatif de l’Assemblée populaire nationale en octobre 2018 et qui fait déjà l’objet de lois et règlements, d’abord pour limiter la consommation de luxe des transgresseurs.3 

Le terme trompeur « crédit » renvoie à la fiabilité et la créance. L’article premier des Dispositions relatives à la violation d’un engagement4 stipule que, lorsqu’un individu a la capacité mais refuse d’exécuter une décision judiciaire, le tribunal populaire l’ajoute sur la liste des personnes qui manquent de « crédit » (non dignes de confiance) et lui applique la sanction prévue par la loi en fonction de l’infraction commise. L’effet des restrictions dure entre deux ans et cinq ans selon la gravité du comportement. Un système de listes rouges et noires établi en 2013-14 permet à chacun de s’informer en ligne sur les infracteurs pour se prémunir.5.

Outil de gouvernance sociale, le système ne cible pas les seuls individus. Il vise surtout la résolution publique du problème d’intégrité non seulement des personnes physiques mais aussi des entreprises et administrations publiques. Il s’agit, dans le contexte d’un volume critique de dettes privées et d’une crise de la crédibilité, de réduire les fraudes (évitement de dettes bancaires, contrefaçon, collecte illégale de fonds, évasion fiscale…), restaurer la confiance dans les échanges pour une meilleure économie et un environnement social honnête.6 Le gouvernement entend ainsi « mieux s’acquitter des fonctions de régulation économique, de contrôle des marchés, de gestion sociale et de service publics » et atteindre une économie de marché mature pour « un pays de crédit (征信国家) ».7

Afin de punir la tricherie et mise en danger d’autrui, le SCS veut assainir quatorze domaines concernant l’entreprise (production, taxation, commerce électronique…) et dix domaines sociétaux (santé, propriété intellectuelle, environnement, sécurité sociale…). Les personnes physiques sont évaluées sur leur comportement économique, social voire professionnel (fonctionnaires, avocats, assureurs, personnel médical…) et onze catégories de mesures disciplinaires pénalisent les infractions aux niveaux administratif, commercial et industriel, avec des effets sociaux dissuasifs pour qui ne s’acquitte pas des obligations légales.8

À ce jour les citoyens chinois ne sont pas « crédités » ou « débités » d’un nombre de points par action, si ce n’est dans quelques lieux test, où l’expérimentation s’applique aussi aux membres du Parti communiste. Par contre, les banques et établissements de crédit en ligne utilisent des systèmes de notation du type de ceux existants en Occident pour évaluer les risques des emprunteurs, comme Alipay et son « crédit Sésame », qui repose sur les informations de consommation.

On parle souvent de l’humiliante publicité faite aux fautifs mais on sait moins qu’en cohérence avec le développement du droit à la protection des données personnelles et à la vie privée sont prévus des mécanismes pour traiter les objections, plaintes et litiges relatifs à l’information sur le crédit et à l’inscription sur les listes.9 Sachant que pour faire autorité, il faut assurer l’authenticité des faits, une attention est portée au processus de collecte des données, de sorte à assurer l’objectivité et l’équité.10 Il n’en demeure pas moins d’importants défis juridiques pour parachever un système qui doit rester limité et cadré pour se légitimer.

Perspectives :

  • Dès 2012, le 18e Congrès national du PCC évoque la nécessité de « renforcer l’intégrité du gouvernement, l’intégrité des entreprises, l’intégrité sociale et de construire la confiance publique dans le judiciaire ». C’est le Plan de planification pour la construction d’un système de crédit social (2014-2020) du 14 juin 2014 qui créé formellement le SCS (prise d’effet le 1er mai 2018).
  • Son uniformisation ne sera pas effective avant 2020. Jusqu’ici, une série de projets pilotes au niveau des autorités locales et des ministères ont permis d’instruire le gouvernement en matière de gouvernance sociale : les initiatives approuvées ou rejetées par la population l’informent sur les limites de l’acceptable par les citoyens chinois. Il reste à voir si, à terme, le code unifié de crédit social qui sert à identifier les citoyens (numéro de carte d’identité), les personnes morales et autres organisations (un numéro équivalent pour chaque unité) et qui fera office de compte de crédit unique, sera ou non associé à une notation quantitative, à une sorte de permis de conduire à points.
  • Les tribunaux chinois ont indiqué avoir limité au cours des cinq dernières années l’achat de billets d’avion à près de 10 millions de personnes ayant manqué à leurs obligations. De même, près de 4 millions d’individus n’ont pas pu réserver une place dans les trains à grande vitesse.
Sources
  1. Qu’est-ce exactement que le “système de crédit social” ?, 社会信用体系”究竟是什么, Nanfang Zhoumo 《南方周末》, 20 septembre 2018
  2. Notification du Conseil d’État sur la publication des grandes lignes du Plan pour la construction d’un système de crédit social (2014-2020)《国务院关于印发社会信用体系建设规划纲要(2014—2020年)的通知》, 14 juin 2014
  3. Avis directeurs du Conseil d’État sur la mise en place et mise au point d’une incitation commune à tenir ses engagements et le système paritaire de discipline en cas de violation du crédit afin d’accélérer la construction de l’intégrité sociale 《国务院关于建立完善守信联合激励和失信联合惩戒制度加快推进社会诚信建设的指导意见》, 30 mai 2016
  4. Décision de la Cour populaire suprême concernant la modification des « Dispositions de la Cour suprême relatives à la publication d’informations sur la liste des personnes sanctionnées pour avoir manqué à leur engagement »《最高人民法院关于修改 « 最高人民法院关于公布失信被执行人名单信息的若干规定 » 的决定》, 28 février 2017
  5. Avis directeurs du Conseil d’État sur la mise en place et mise au point d’une incitation commune à tenir ses engagements et le système paritaire de discipline en cas de violation du crédit afin d’accélérer la construction de l’intégrité sociale 《国务院关于建立完善守信联合激励和失信联合惩戒制度加快推进社会诚信建设的指导意见》, 30 mai 2016
  6. Notification du Conseil d’État sur la publication des grandes lignes du Plan pour la construction d’un système de crédit social (2014-2020)《国务院关于印发社会信用体系建设规划纲要(2014—2020年)的通知》, 14 juin 2014
  7. De l’importance de l’information sur le crédit dans la construction du système de crédit social 浅谈征信在社会信用体系建设中的意义, Zhonghong wang中宏网, 10 décembre 2018.
  8. Notification du Conseil d’État sur la publication des grandes lignes du Plan pour la construction d’un système de crédit social (2014-2020)《国务院关于印发社会信用体系建设规划纲要(2014—2020年)的通知, 14 juin 2014.
  9. Décision de la Cour populaire suprême concernant la modification des « Dispositions de la Cour suprême relatives à la publication d’informations sur la liste des personnes sanctionnées pour avoir manqué à leur engagement »《最高人民法院关于修改 « 最高人民法院关于公布失信被执行人名单信息的若干规定 » 的决定》, 28 février 2017.
  10. Avis directeurs du Conseil d’État sur la mise en place et mise au point d’une incitation commune à tenir ses engagements et le système paritaire de discipline en cas de violation du crédit afin d’accélérer la construction de l’intégrité sociale 《国务院关于建立完善守信联合激励和失信联合惩戒制度加快推进社会诚信建设的指导意见》, 30 mai 2016