Rome. La bataille entre le gouvernement italien et l’administration Européenne sur le front de la dette continue. On avait d’ailleurs déjà écrit sur le sujet en Novembre dernier 1 ; à l’époque, nous avions expliqué que d’éventuelles sanctions vis-à-vis de l’Italie pour non respect de la procédure en déficit excessif attendraient les prochaines élections européennes et dépendraient notamment des nouveaux équilibres politiques européens.
Nous y sommes aujourd’hui et, contrairement peut être aux paris du gouvernement de Luigi di Maio et Matteo Salvini, l’Italie est isolée : les populistes européens et le parti 5 étoiles sont loins de toute possibilité d’alliance au parlement.
Ce n’est pas si étonnant alors que la bataille ait changée de nature et devienne plus créative. Une nouvelle offensive italienne s’est partagée en deux vagues : l’épisode des mini-BOTS début juin 2 a permit d’établir la détermination de l’Italie à, si besoin, contourner les règles européennes. L’article d’opinion d’Alberto Bagnai dans le Financial Times 3 indique que la seconde vague se situe plutôt sur le terrain de la légitimité même de la procédure européenne.
Alberto Bagnai est l’une des éminences grises de Matteo Salvini sur les questions économiques et est un eurosceptique convaincu. Il a déjà écrit deux livres appelant à la fin de la monnaie européenne. Depuis qu’il est aux affaires, il a cependant grandement apaisé ses positions 4. Dans son article, Bagnai appelle à une refonte des règles de déficit excessif.
Selon lui, ces règles seraient arbitraires, dépendraient trop de mesures de production potentielle procycliques et difficilement estimables et enfin elles mèneraient à des politiques d’austérité mortifères pour les pays européens. C’est une critique justifiée mais qui n’est pas si originale. Alberto Bagnai suit en cela une foule d’autres économistes qui ont, depuis de nombreuses années, souligné les défauts des règles européennes. Olivier Blanchard lui-même à appelé à une refonte des règles européennes il y à quelques jours 5 et Adam Tooze mène depuis quelque temps une campagne contre l’utilisation des mesures de production potentielle dans les décisions politiques 6.
Rien de nouveau donc mais cette critique des règles européennes sert en réalité de justification à des propositions plutôt éloignées du « véritable esprit de solidarité européenne » que son auteur prétend défendre. Bagnai milite en effet dans cet article pour un retour aux règles de Maastricht (i.e. l’arrêt de la référence à la croissance potentielle) et la mise à l’écart des investissements en capital (humain et physique) des règles de déficit. Ces deux propositions profitent à l’Italie dans son différend avec les institutions européennes.
Les règles d’origines de Maastricht n’ont jamais été appliquées, comme le remarque Alberto Bagnai lui-même. La France a par exemple enregistré entre 2007 et 2017 des déficits systématiquement supérieurs à 3 % et c’est le cas de nombreux autres pays européens depuis 2003. De plus, l’Italie respecterait la règle du 3 % en 2019 : son déficit prévisionnel est de 2.4 %. C’est son déficit structurel (estimé grâce à la fameuse croissance potentielle) et surtout le niveau très élevé de sa dette (qui rend l’Italie très vulnérable aux investisseurs internationaux) qui sont mis en cause par l’Union.
Ensuite, l’exclusion des dépense d’investissement en capital des mesures de déficit offrirait, par un jeu comptable, une autre sortie de crise à l’Italie. Cette réforme symbolique de ce que l’on compte ou non dans le déficit sauverait peut être les apparences dans le jeu institutionnel mais ne changerait pas le fait que l’Italie doit financer ces dépenses. De plus, Alberto Bagnai semble suggérer que c’est la volonté d’investissement du gouvernement italien qui serait la véritable source de son problème de respect des règles européennes.
Or, dans son rapport de novembre 7, la Commission notait que les investissements publics italiens avaient atteint leur niveau le plus bas depuis 1990 en 2017 (2 % du PIB) et devaient atteindre 1,9 % du PIB en 2018. Compte tenu de son déclin général, l’investissement public ne semble pas constituer un facteur justifiant le non-respect par l’Italie du critère de réduction de la dette.
En définitive, la tribune d’Alberto Bagnai est le signe que le gouvernement italien est aux abois et que, face à l’imminence d’une potentielle sanction européenne, il cherche à changer les règles du jeu plutôt que de s’y plier. Pourquoi ? Se soumettre maintenant serait une défaite politique retentissante pour une coalition qui a fait de la lutte contre la « dictature » européenne une politique (et dont c’est le dernier ciment). De plus, cela l’obligerait à revenir sur ses deux projets phares : le revenu de citoyenneté et la réforme des retraites.
À ce stade, l’amende semble inévitable : l’Italie ne cédera pas et la Commission non plus. Quel sera la riposte italienne pour sauver les apparences ?
Perspectives :
- La probabilité que l’Italie soit finalement pénalisé par la Commission pour non-respects des règles concernant le déficit est très élevée.
- Dans ce cas, la riposte italienne, déjà annoncée avec l’affaire des mini-BOTS, sera de flirter vers la rupture avec l’Union et l’Euro. Au moins pour accentuer le rapport de force.
- Il n’est pas sûr que l’Italie ait les moyens des ses ambitions séparatistes. La BCE est son meilleur bouclier face à des investisseurs étrangers parfois versatiles.
Sources
- BATUT Cyprien, Le budget Italien au centre des craintes européennes, Le Grand Continent, 25 novembre 2018.
- SABATINI Fabio, Le premier pas de l’Italie vers la sortie de l’euro, Le Grand Continent, 2 Juin 2019.
- BAGNAI Alberto, The EU must rationalise its rules on national deficits, Financial Times, 6 Juin 2019.
- FOLAIN John et TOTARO Lorenzo, League-Led Italy Government Wouldn’t Ditch Euro, Lawmaker Says, Bloomberg, 3 Juin 2019.
- BLANCHARD Olivier, Europe Must Fix Its Fiscal Rules, Project Syndicate, 10 Juin 2019.
- TOOZE Adam, Output gap nonsense, Social Europe, 30 Avril 2019.
- Commission Européenne, Rapport de la Commission – Italie, 21 novembre 2018