Le nouvel équilibre des forces au sein de gouvernement italien passe par Bruxelles

Rome. Dans la politique italienne, le temps semble passer plus vite que dans d’autres pays. Ainsi, les dernières élections européennes de 2014, au cours desquelles le Parti démocrate (PD) a remporté 40,8 % des suffrages en devenant le premier parti de la gauche européenne1, et qui ont lancé le roman politique de l’ancien Premier ministre Matteo Renzi, paraissent aujourd’hui très lointaines. Après les dernières élections législatives de mars 2018, la situation a encore considérablement changé : à l’époque, le Mouvement des Cinq étoiles était sorti des urnes en tant que premier parti du pays, le Parti démocrate se classait à la deuxième place, et la troisième revenait, avec 17 % des suffrages, à la Ligue de Matteo Salvini2.

Un peu plus d’un an et un gouvernement de coalition plus tard, les forces sur le terrain semblent être à nouveau complètement redistribuées. La montée de Salvini et son rôle de premier plan ont amené la Ligue à devenir de loin le premier parti dans les intentions de vote, avec des sondages qui la dépassent 31 %, tandis que le Mouvement Cinq-Étoiles est vu assez largement en baisse et se bat avec le parti démocrate pour la deuxième place3.

Dans cette situation, il n’est pas surprenant que ces élections européennes soient vécues par les acteurs avant tout dans une perspective nationale : leur résultats établiront un nouvel équilibre entre les forces politiques majeures, qui pourrait influencer profondément le sort du gouvernement Ligue-Cinq-Étoiles. D’un côté, Salvini, véritable protagoniste de cette campagne électorale : un résultat conforme aux prévisions (30 %) indiquerait une victoire écrasante. Un chiffre supérieur à 31 % pourrait même signifier l’hégémonie du parti de Salvini, qui serait non seulement renforcé au niveau national, mais devrait également avoir une influence considérable au niveau européen, où la Ligue serait en compétition avec la CDU pour devenir le premier parti au Parlement.

À l’inverse, les Cinq étoiles essayent surtout de ne pas perdre trop de terrain : un résultat inférieur à 25 % signifierait un affaiblissement significatif et l’échec de la ligne politique du chef et vice-Premier ministre, Luigi Di Maio. Cette situation s’est traduite, pendant la campagne électorale, par des tensions ravivées entre les des deux partis au pouvoir : les Cinq étoiles prenant de plus en plus de positions « de gauche » pour s’opposer aux dispositions de la Ligue ; la Ligue embrassant au contraire des thèmes de plus en plus controversés. Cette stratégie a provoqué une paralysie constante du gouvernement, qui est devenu entre-temps un véritable gouvernement zombie4.

Derrière les deux principaux partis, les autres formations tentent de se démarquer : c’est d’abord le cas des deux étoiles déchues, le Parti démocrate (S&D), donné par les sondages autour de 20 %, et déterminé à mettre fin à l’hémorragie en s’appuyant sur le mécontentement vis-à-vis du gouvernement, et Forza Italia (PPE), le parti de Silvio Berlusconi, qui pourrait contre toute attente obtenir plus de 10 % des voix.

La particularité des élections italiennes réside dans le risque paradoxal que les principaux partis, nonobstant toute leur force électorale, restent en dehors des cercles d’influence du prochain Parlement européen. Cela est particulièrement vrai pour les Cinq étoiles, qui sont isolées et ne semblent toujours pas avoir trouvé d’alliés pour former un groupe. En revanche, la proposition d’Alliance de Salvini, qui réunit les partis néonationalistes, semble plus avancée et capable d’obtenir un grand nombre de sièges5. Cependant, même si elle suffisait à créer une force de blocage au Parlement, elle serait très loin de mettre en œuvre des propositions constructives. C’est précisément pour cette raison qu’au-delà du nouvelle rôle dans le jeu politique national qu’il pourrait s’arroger, Salvini pourrait par un bon résultat augmenter ses chances d’influencer le processus de décision européen, grâce à la seule approche réaliste dont il dispose : compter suffisamment pour pousser le PPE à s’allier aux néo-nationalistes.

Sources
  1. La Repubblica, Risultati elezioni europee 2014, 26 mai 2014
  2. La Repubblica, Risultati Elezioni 2018, 6 mars 2018
  3. Poll of polls – Italy, Politico, 25 mai 2019
  4. COLLOT Giovanni, Le gouvernement zombie de Rome, Le Grand Continent, 24 avril 2019
  5. COLLOT Giovanni, À Milan, les néonationalistes européens lancent la révolution « du sens commun  », Le Grand Continent, 19 mai 2019