Vienne. Le tract rédigé à l’occasion des fêtes pascales par Christian Schilcher, maire adjoint de la petite ville de Braunau am Inn et membre du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, ENF), lui aura finalement valu une double démission de son poste municipal et de ses responsabilités partisanes1. Il faut dire que le tollé déclenché, au-delà même des frontières autrichiennes, par la diffusion de cet imprimé ouvertement xénophobe et raciste était à la hauteur de son contenu. Par la voix du chancelier fédéral Sebastian Kurz lui-même, le Parti populaire autrichien (ÖVP, PPE), partenaire de coalition du FPÖ au niveau fédéral, a aussitôt fait part de son indignation : « La formulation choisie est détestable, inhumaine et profondément raciste, et n’a pas sa place en Haute-Autriche ni dans le reste du pays », incitant aussitôt la section régionale du FPÖ a prendre ses distances. L’opposition de gauche a souligné les parallèles manifestes entre le texte de Schilcher et la rhétorique de l’époque national-socialiste2. Au plus haut sommet de l’État, le président Alexander Van der Bellen (Verts) a convoqué mardi le vice-chancelier Heinz-Christian Strache (FPÖ) et a adressé un avertissement clair à la formation néo-nationaliste, tout en louant la réaction ferme des autres partis3.

Le texte de Schilcher4, se présentant sous la forme d’un poème intitulé « Le rat des villes », est sous-titré « Rongeur issu des canalisations » (Nagetier mit Kanalisationshintergrund), dans un jeu de mot plus que douteux sur l’expression mit Migrationshintergrund – « issu de l’immigration ». Si la critique s’est à juste titre indignée de la comparaison opérée, de manière particulièrement flagrante dans le sous-titre, entre des animaux présentés comme nuisibles et la population d’origine étrangère, le caractère fondamentalement scandaleux de ce texte ne se résume pas au seul constat selon lequel l’extrême-droite autrichienne compare les étrangers à des rats. Car le reste du texte révèle, probablement mieux que les communiqués officiels de la direction fédérale du parti, les ressorts idéologiques et émotionnels sur lesquels repose la popularité d’un FPÖ qui convainc aujourd’hui près d’un quart de l’électorat autrichien, tout spécialement dans les zones rurales.

Le poème prend ainsi la forme d’une fable mettant en scène des rats autochtones confrontés à l’arrivée de nouveaux venus. Caution pseudo-littéraire ou façon de devancer la critique d’une animalisation des seuls étrangers ? En tous cas, le texte fourmille d’appels explicites à la défense du pays natal et de son terroir (Heimat) contre l’altérité issue d’autres cultures. Le lien ethnique y est décrit comme essentiel (« Le sang est plus épais que l’eau », formule reprise d’un vieux proverbe allemand) ; la différence de culture s’y inscrit nécessairement dans une hiérarchie, reflétant une différence de « nature » inhérente à l’ordre du monde : « Là où vivent les Bons, la loi de la nature prescrit que l’on trouve aussi leur contraire ! […] C’est ainsi qu’il y a des gens, (chez moi, on ne les aime guère !), qui font honte à la culture, à cette culture qui trouve dans la propre nature de chaque homme son origine première, et contribue à son éducation. » L’arrivée de l’étranger provoque aussitôt, selon l’auteur, « la mise au rebut de la culture et des traditions » ; car deux cultures, deux langues mélangées « se détruisent ». De même des religions, dont est fait une représentation grossière : « Les uns doivent se voiler, les autres aimer et affirmer [leur foi], d’autres encore croient aux esprits ». L’avant-dernière strophe à des allures de profession de foi électorale : « Ce sont ceux qui [vivent] ici depuis de nombreuses générations qui fixent les règles, les autres s’en accommoderont bien. »

GEG | Pole Cartographe pour Le Grand Continent

Sur le ton de la satire, l’élu municipal exalte à la fois le droit de la terre, celui de la culture (doublée de religion) et celui du sang, les deux premiers servant de paravent au troisième, mais finissant toujours par s’y ramener. Sous couvert de ses appels à une justice du premier arrivant et aux respects de la Heimat et des traditions, jugés politiquement acceptables puisque intégrés au discours conservateur traditionnel, il s’attache en réalité à faire prospérer la thèse d’une inégalité ethnique fondamentale et naturelle dont les différences de culture (vues comme des formes d’inculture) ne seraient que le reflet. L’« étranger » n’a plus d’autre vocation que de se conformer à la règle dominante, conçue exclusivement pour protéger la population déjà installée ; règle d’autant plus viciée qu’en se donnant l’air de ne pas affirmer une inégalité fondée sur le sang, elle proclamera l’immigrant inférieur dès lors qu’il exprimera son attachement à un autre fonds culturel. La théorie d’une inégalité des cultures, que la loi et l’éthique échouent souvent à condamner aussi durement que celle de l’inégalité des races, semble demeurer un outil politique puissant pour les forces nationalistes. Le procureur a cette fois annoncé avoir ouvert une enquête5. Rejeter l’étranger en raison sa culture et de son origine géographique, plutôt qu’en raison de son ascendance, permet de désigner exactement les mêmes boucs-émissaires tout en diminuant l’exposition juridique du discours. L’argumentaire est d’autant plus aisé à employer que le mot de Heimat est moins connoté que celui de patrie et que ce discours sur la terre se conçoit comme la retranscription, à l’échelle locale, d’un argumentaire de défense des valeurs souvent employé par les tenants d’un patriotisme libéral.

Pour le FPÖ, ce pourrait bien être la provocation de trop. Alors qu’un haut responsable du parti a récemment menacé une journaliste de l’ORF dont le questionnement critique lui déplaisait, et que la politique migratoire dirigée par le ministre de l’intérieur Herbert Kickl (FPÖ), qui entend limiter le salaire des demandeurs d’asile à 1,50€ de l’heure, est plus que jamais décriée, la coalition semble ébranlée. Sebastian Kurz, forcé d’apporter un ferme démenti au poème de Braunau am Inn, risque de devoir revoir une position jusque là (très) conciliante. Dans les enquêtes d’opinion, la majorité ÖVP-FPÖ ne bénéficie que d’une majorité très courte, autour de 51 % des voix.

Perspectives

  • 26 mai : Élections européennes en Autriche.
  • 22 septembre : Élections régionales dans le Vorarlberg.