Belgrade. Le ministre française aux Affaires européens, Nathalie Loiseau, était fin février à Belgrade avec un message clair : la France, qui « n’est pas assez présente » dans l’Europe du sud-est, se réintéresse à la région1. La ministre, très discrète sur la question de l’État de droit ou de l’indépendance de la justice en Serbie, a au contraire insisté sur les futurs investissements français dans la capitale serbe.

Après une décennie 2000 peu féconde du point de vue des relations bilatérales, l’intérêt de Paris pour la région a connu un regain durant la présidence de François Hollande. La France s’est impliquée dans l’incontournable Processus de Berlin, accueillant notamment à Paris un sommet dédié aux Balkans en 2016, après les sommets de Berlin en 2014 et de Vienne en 2015. Elle s’y était félicitée d’avoir présidé à la création d’un Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux (RYCO), inspiré de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse.

Si la France se montre favorable à l’accroissement de la coopération UE-Balkans et intra-régionale, elle demeure ambigüe sur le dossier de l’élargissement, très sensible dans l’hexagone. La première déclaration d’Emmanuel Macron au Parlement européen le 17 avril 2018, frileuse sur la question, avait suscité embarras et réprobation, tant à Bruxelles et Strasbourg que dans la région2. À l’été 2018, la France avait fait partie des trois seuls États membres opposés à l’ouverture de négociations d’adhésion avec l’ancienne République yougoslave de Macédoine – désormais Macédoine du Nord – et l’Albanie, aux côtés des Pays-Bas et du Danemark.

Paris répète souvent que ce sont les problèmes internes à l’Union qui rendent impossible l’adhésion de nouveaux États : « ouvrir un nouveau processus d’élargissement aujourd’hui sans condition aucune ne serait pas sérieux […], ce processus ne peut et ne doit aboutir, en termes d’accession à l’adhésion à l’Union européenne pour les uns ou d’élargissement pour les autres, que si l’Union européenne se réforme au préalable », expliquait le président français lors du précédent sommet UE-Balkans à Sofia, en mai 20183.

L’Union n’est pas sans ambiguïtés : elle soutient le rapprochement des États des Balkans occidentaux des standards européens, avertit des dangers d’une perte de perspective européenne pour la région, tout en temporisant sur la date envisageable d’adhésion de chaque État. Une nouvelle stratégie publiée par la Commission européenne en février 2018 avait semblé remettre à plat un certain nombre d’idées reçues sur le processus d’élargissement, avant que les différends entre Commission, Parlement et États membres ne soient révélés au grand jour4.

Il faudra encore attendre pour noter une prise de leadership du président français sur les enjeux liés à l’Europe du Sud-Est : ni l’élargissement, ni les Balkans occidentaux n’ont été mentionnés dans la tribune « Pour une Renaissance européenne », publiée par Emmanuel Macron le 4 mars dernier. Peut-être la rencontre avec les dirigeants de la région d’aujourd’hui, lundi 29 avril, à Berlin, co-organisée par Allemagne et France avec le but de « trouver un moyen pour relancer le dialogue entre la Serbie et le Kosovo », sera l’occasion pour une telle évolution ?5

GEG – Pole cartographe pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • Les élections européennes de mai prochain, et la composition ultérieure du Parlement européen, donneront le ton des cinq ans à venir. La campagne électorale risque de reléguer cette question très impopulaire au second plan : la politique d’élargissement est la seule politique suscitant un rejet majoritaire des Européens, avec 43 % en faveur, contre 45 % en défaveur6. Signe de prudence, la Commission européenne a accepté de reporter la publication des « rapports de suivi » des États des Balkans occidentaux au lendemain des élections européennes.
  • Parmi les grands rendez-vous de l’année, la rencontre des chefs d’État et de gouvernement à Sibiu, en Roumanie, le 9 mai 2019, sera l’occasion de suivre de près les évolutions de la position française quant à l’ouverture de négociations d’adhésion avec Macédoine du Nord et Albanie, et de faire le point sur les progrès des deux États actuellement en négociation, la Serbie et le Monténégro.
Sources
  1. TUHINA Gjeraqina traduite par Milica Čubrilo, Intégration européenne des Balkans : La France fait obstacle, Le Courrier des Balkans / Radio Slobodna Evropa, 2019.
  2. TRIVIĆ Branka traduite par Jovana Papović, Avec Macron, la France contre l’intégration des Balkans dans l’UE ? Le Courrier des Balkans / Radio Slobodna Evropa, 2018.
  3. Élysée, Transcription de la conférence de presse du président de la République Emmanuel Macron à Sofia en Bulgarie, 2018.
  4. DIMITROV Martin, Enlargement Stays off Agenda at Sofia Summit, Balkan Insight, 2018.
  5. Sommet sur les Balkans. Emmanuel Macron à Berlin pour une rencontre autour de la relation Serbie – Kosovo, AFP, 29 avril 2019.
  6. Commission européenne, Eurobaromètre Standard 90, 2018