Bucarest. Adopté dans les années 2004-2005 dans l’optique de l’adhésion à l’UE, l’actuel système judiciaire roumain connaît une modification en profondeur par des textes qui s’enchaînent de façon régulière depuis juillet 2018. Procédant jusqu’alors par voie législative ordinaire, la coalition gouvernementale a accéléré le mouvement de réforme des « lois de la justice » en adoptant le 19 février 2019 une « ordonnance d’urgence », l’OUG 7 1. Après que le gouvernement a créé une instance disciplinaire pour les magistrats dépendante du ministre de la Justice, c’est aujourd’hui la séparation des carrières entre Parquet et Magistrats du siège qui a été supprimée, malgré les manifestations de la société civile et des magistrats qui se soulèvent contre ce qu’ils considèrent comme une attaque sans précédent envers l’indépendance de la justice. Le Conseil Supérieur de la magistrature appuie officiellement les manifestants en demandant l’abrogation pure et simple de la réforme.

Parallèlement, le gouvernement a mis en place toute une série de mesures destinées à procéder à l’amnistie ou à la grâce de personnes reconnues coupables d’infractions liées à la corruption. L’argument du Ministre roumain des Affaires étrangères, Teodor Melescanu, pour justifier cela est entre autres « la lutte contre la surpopulation carcérale » dans le pays 2. L’opposition dénonce quant à elle des manœuvres destinées à permettre au leader du Parti Social-Démocrate, Liviu Dragnea, de prendre la tête du gouvernement, ce qui est incompatible avec la condamnation à ce type d’infractions. Une des mesures les plus médiatiques allant dans ce sens fut le limogeage de la procureure en chef de la direction nationale anticorruption, Laura Kövesi, aujourd’hui soutenue par le Parlement européen qui voudrait la voir prendre la tête du Parquet européen.

Dans un contexte d’élections européennes en mai prochain mais également de lancement de la campagne des élections présidentielles qui auront lieu en décembre, le Président Klaus Iohannis a annoncé jeudi 4 avril 2019 la tenue d’un référendum le 26 mai, le même jour que les élections européennes. Les questions porteront sur la prohibition des mesures de grâce et d’amnistie pour les infractions relevant de la corruption, et sur l’introduction d’une interdiction de faire adopter par ordonnance des dispositions de droit pénal.

Le calendrier est soigneusement choisi. Le mercredi 3 avril, les ambassades de 12 pays occidentaux (dont la France, l’Allemagne, les États-Unis ou les Pays-Bas) ont publié un communiqué officiel appelant le gouvernement PSD-ALDE à renoncer à ses réformes des « lois de la justice » 3. Aussi le PNL (PPE), parti dont est issu le président Iohannis, est actuellement concurrencé par une autre force d’opposition, l’alliance USR-PLUS (alliée à LREM, refusant de rejoindre le parti européen ALDE tant que l’ALDE Roumanie n’en est pas exclue), qui a mené l’année dernière une campagne massive de mobilisation « Fara Penali » destinée à rendre incompatible le mandat de parlementaire avec une condamnation pour corruption. Le président Iohannis, candidat à sa réélection, entend donc reprendre la main dans la lutte contre la politique du gouvernement social-libéral, lequel est notamment accusé par la Commission européenne de saper l’État de droit en Roumanie4.

Perspectives :

  • La Commission européenne a annoncé qu’elle communiquera dans les jours à venir, en complément de la lettre ouverte des ambassades occidentales, pour dénoncer les réformes de la justice portées par le gouvernement PSD-ALDE.
  • La droite et le centre entendent bénéficier des déboires du gouvernement, dans un contexte de triple campagne : européennes, référendum et présidentielles.
  • Des voix s’élèvent dans les institutions pour déclencher la procédure de l’Art. 7 TUE contre la Roumanie, au même titre que la Hongrie et la Pologne. Ce serait une première contre un gouvernement social-démocrate/libéral.
Sources
  1. Romanian minister challenged on amnesty for corrupt politicians, BBC, 8 janvier 2019.
  2. Gouvernement roumain, OUG n° 7/2019 du 19 février 2019 .
  3. GURZU Anca, Romania gets international warning over legal change, Politico Europe, 4 avril 2019.
  4. ALEXE Dan, Comisia Europeană o laudă pe Kövesi, lansează o dezbatere despre statul de drept în UE, Radio Europa Libera România, 3 avril 2019.