Tirana, Podgorica, Belgrade. C’était l’autre crise des « gilets jaunes » : dès le mois de juin 2018, des routes étaient bloquées à Belgrade comme à Banja Luka par des automobilistes mécontents de la flambée des prix du carburant. Huit mois plus tard, c’est cette fois dans les rues des capitales que des dizaines de milliers de manifestants se sont rendus, et protestent encore.

En Serbie, les manifestations entrent dans leur 19ème semaine. Scandant le slogan « 1 sur 5 millions » [d’habitants], les manifestants ne décolèrent pas et exigent notamment la démission du président Aleksandar Vučić, au bilan très contesté sur le plan de la démocratie et de la protection de la liberté des médias. Nombreux sont dans la rue, entre indépendants, partisans de gauches et figures de droite, dont le très radical Boško Obradović. Le mouvement n’a pas seulement pris à Belgrade, mais dans de nombreuses autres villes de Serbie. Le 16 mars, les protestataires occupaient brièvement le siège de la télévision nationale, la RTS. Le 4 avril, ils bloquaient la mairie de Belgrade1. La réponse du président : « la Serbie est un pays démocratique, un pays de droit et d’ordre, et la Serbie saura comment réagir. »

Au Monténégro, c’est également la figure du président Milo Đukanović qui fédère contre lui, après avoir été Premier ministre et Président de la République presque sans discontinuer depuis 1991. L’une des étincelles du mouvement « 97 000 Résistance ! » fut la révélation d’une vidéo où l’on voit un magnat local de la construction remettre une enveloppe à l’un des caciques du parti au pouvoir, le Parti démocratique socialiste du Monténégro2. Dans une interview à Associated Press, le président a dénoncé l’influence supposée de grandes puissances comme la Russie, mettant en garde contre une « bataille politique et culturelle stratégique se déroulant actuellement dans les Balkans ». Pendant ce temps, partis d’opposition et collectifs participant aux protestations conçu une plateforme politique de transition.

Quant à l’Albanie, c’est un mouvement piloté par les partis de l’opposition, en boycott du Parlement, qui a été déclenché en février, contre le gouvernement socialiste d’Edi Rama, au pouvoir depuis 20133. Si des violences ont émaillé, par exemple lorsque des protestants ont tenté de pénétrer dans le Parlement le 28 mars dernier, l’opposition est divisée et certains de ses députés ont accepté de coopérer avec le gouvernement en retournant au Parlement[/note]Rédaction du Courrier des Balkans, Crise politique en Albanie : Edi Rama peut compter sur des députés « renégats », Le Courrier des Balkans, 2019.[/note].

Ces mouvements sont d’autant plus notables que la Serbie et le Monténégro sont en tête de la région dans les négociations d’adhésion à l’Union, et que l’Albanie tente bon an mal an de décrocher l’ouverture de ces négociations à Bruxelles. Or, les dirigeants de ces pays sont des interlocuteurs connus de longue date par l’Union. Par ailleurs, les manifestations se produisent à un moment où l’Europe se prépare à une campagne difficile pour les élections européennes, alors que l’élargissement est l’un des sujets les moins populaires.

Le 25 février dernier, la porte-parole de la Commission européenne Maja Kocjančič réfutait l’idée d’un printemps balkanique, indiquant que « les manifestations dans chaque pays ont leurs propres spécificités et qu[’elle] ne comparerai[t] ces situations. »

Perspectives

  • Les mouvements ont déjà commencé à se doter de figures de proue, comme la jeune activiste Jelena Krković au Monténégro. Les semaines à venir en diront cependant beaucoup sur la dynamique de ces mouvements et leur capacité à s’unir et à fédérer sur le long terme4. Les réactions et déclarations des dirigeants concernés est à également à surveiller : pour l’heure, aucun d’entre eux n’a émis de gestes en faveur des protestataires. En Albanie, le Parti socialiste au pouvoir continue de gouverner, en partie grâce à la présence de certains députés de l’opposition.
  • Ce samedi 13 avril, suivant l’appel des principaux organisateurs du mouvement « 1 sur 5 millions », un rassemblement monstre a réuni des dizaines de milliers de manifestants devant le Parlement serbe, à Belgrade, sous la bannière « tous pour un ». Il faudra attendre les futurs développements, et notamment les réactions du pouvoir en place, pour déterminer si cette manifestation était un succès ou un échec.
  • La plupart des pays de la région sont confrontés à de mêmes difficultés : fuite des cerveaux, difficile prévention de la corruption, inquiétudes quant à l’état de droit et la démocratie, croissance économique insuffisante, nombreuses controverses environnementales. La situation dans les autres pays de la région, comme le Kosovo, la Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine, pourrait également conduire à de nouveaux mouvements. La perspective d’un « printemps balkanique » demeure cependant très lointaine.
Sources
  1. ZIVANOVIC Maja, Serbian Protesters Surprise Authorities With Flash Action, Balkan Insight, 2019.
  2. MURIĆ Darvin traduit par Persa Aligrudić, Jelena Krković, citoyenne insoumise, icône de la révolte au Monténégro, Le Courrier des Balkans / Vijesti, 2019.
  3. EREBARA Gjergj, Albania Opposition Stages Sixth Anti-Rama Protest, Balkan Insight, 2019.
  4. VUČKOVIĆ Branko, Zastrašivanja i ucene demonstranata ?, Radio Slobodna Evropa, 2019.