Ankara. Suivre l’actualité turque du moment revêt un avantage certain : vous ne vous ennuierez jamais. Sur le sujet de la crise syrienne en particulier, les évolutions des débats se suivent à un rythme particulièrement soutenu, comme en témoigne le refus de Recep Tayyip Erdoğan (RTE) de recevoir John Bolton, conseiller de Donald Trump à la Sécurité nationale.

À la fin de l’année 2018, la Turquie semblait pourtant avoir récupéré son parrain américain, perdu de vue depuis quelques mois, alors que RTE avait « convaincu » Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie (5). Mais voilà, alors que le chef de l’État américain avait dépêché John Bolton à Ankara pour discuter des modalités du retrait, le président turc a refusé de le recevoir, invoquant des propos favorables aux YPG kurdes. Erdoğan reproche en effet à John Bolton d’avoir plaidé en faveur des miliciens kurdes alliés de Washington dans le nord de la Syrie, qu’Ankara considère comme des terroristes. « Bolton a commis une lourde erreur (…) Il n’est pas possible pour nous de faire des compromis sur cette question » a-t-il déclaré devant des parlementaires (2).

Comme nous vous en parlions dans la Lettre du Nouvel an, avec le retrait des forces américaines, la Turquie pourrait avoir une carte à jouer face aux milices du YPG qu’elle rêve de déloger de sa frontière. Le ministre de la Défense Hulusi Akar était ainsi vendredi en visite à la ville frontière de Jarabulus, où il a indiqué que les préparatifs de la Turquie pour une éventuelle opération en Syrie, à l’est de l’Euphrate, se poursuivaient « intensément » (3). Après quelques accrochages, c’est donc vers Manbij que devrait se concentrer l’offensive, la Turquie n’ayant « plus la patience d’attendre ne serait-ce qu’un jour de plus » (4).

Mais cette dernière offensive est un coup de poker-menteur pour Erdoğan, car l’état de grâce obtenu après l’affaire Khashoggi est lentement mais sûrement en train de partir en lambeaux. À Idleb, dont la Turquie avait indirectement pris le contrôle, son influence s’est réduite comme peau de chagrin. La province est en effet passée la semaine dernière sous contrôle total des jihadistes de Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, ex-branche d’el-Qaëda en Syrie), après une dizaine de jours de combats contre les autres groupes rebelles (2).

Une offensive au Nord permettrait de redorer le prestige d’Erdoğan sur la scène nationale, mais l’assombrirait considérablement au niveau international, alors que les YPG ont annoncé qu’ils retiraient des troupes du front de Deir ez-Zor (face à l’État Islamique donc) pour renforcer leurs positions du Nord. Qui plus est, Paris a déclaré vouloir conserver ses troupes dans la région, rendant pour l’instant toute opération impossible sans réaction européenne.

Perspectives :

  • Les prochains jours seront cruciaux pour l’avenir de la Syrie et pour la crédibilité de la Turquie en tant que puissance médiatrice au Moyen-Orient, et dans sa relation avec les Occidentaux.
  • Erdoğan réclame un contrôle tripartite par les forces du processus d’Astana sur le Nord-Est de la Syrie, mais le YPG ne laissera pas faire sans combattre.
  • Le maintien des forces françaises pourrait donner à Paris une carte pour revenir dans le jeu, mais la diplomatie française devra changer la stratégie adoptée jusqu’à aujourd’hui pour la jouer d’une manière efficiente.

Sources :

  1. À Ankara, John Bolton essuie la colère de Recep Tayyip Erdogan, France 24, 8 janvier 2019.
  2. HAYEK Caroline, Comment Ankara a perdu Idleb, L’Orient Le Jour¸ 11 janvier 2019.
  3. Turkey ‘intensely’ preparing for operations in N Syria : Defense minister, Hürriyet Daily News¸11 janvier 2019.
  4. JEGO MariE, Turquie : Erdogan prêt à lancer son armée à l’assaut des forces kurdes, Le Monde, 15 décembre 2018.
  5. Le président Erdogan a convaincu le président Trump, TRT.net, 22 décembre 2018.