Le Caire. Depuis la découverte en 2009 et 2010 par Israël des champs gaziers offshore de Leviathan – approximativement 500 milliards de mètres cubes (bcm) – et Tamar (275 Bcm), Chypre, l’Égypte et le Liban se sont lancés dans une véritable course à l’exploration gazière aboutissant à la mise au jour de nouveaux gisements dans la Méditerranée orientale (Aphrodite en 2011 et Zor en 2015) (4). Dans une région rendue instable par de multiples conflits (Israël – Palestine, Israël – Liban, Turquie – Chypre, révolution égyptienne, guerre civile syrienne), l’exploitation de ces nouveaux gisements a entraîné l’apparition de tension et laisse encore craindre leur accroissement (2).

L’annonce de la création d’un Forum du Gaz de la Méditerranée orientale apparaît donc comme un pas bienvenu vers une coopération régionale accrue, au moins dans le domaine énergétique. Ces découvertes procurent en effet aux pays de la région une incitation concrète à résoudre les différends qui les opposent. Jusque là dépourvus de ressources énergétiques, ils ont maintenant tout intérêt à coopérer pour profiter de la manne tant financière que stratégique que représentent ces nouvelles ressources gazières (2). De fait, des accords bilatéraux portant sur les frontières maritimes entre Israël et le Liban, puis entre Israël et Chypre ont vu le jour en 2010 (4), suivis en 2018 d’un accord entre Israël et l’Égypte pour des livraisons de gaz naturel vers l’Égypte (7).

La transition vers une coopération multilatérale croissante, bien qu’à ses prémices, s’inscrit donc dans la continuité d’un processus entamé il y a 8 ans. S’il convient de rester très mesuré, d’autant que la Turquie ne s’est pas impliquée dans cette démarche, le rôle qu’a pu jouer l’énergie dans la fondation même de l’Union Européenne (issue de la Communauté Européenne du Charbon et le l’Acier) peut pousser à un prudent optimisme. Quoiqu’il en soit, une telle démarche pourrait encourager à une résolution progressive des conflits existants et soutenir une interdépendance économique croissante de la région.

Une telle coopération est d’autant plus cruciale pour l’exploitation de champs gaziers que leur viabilité économique n’est pas assurée. Les investissements requis sont en effet très importants du fait de la profondeur des gisements (d’environ 3.5 milliards de dollars pour Aphrodite à 15 milliards pour Leviathan) et du développement des nécessaires infrastructures de transport et de transformation (pipelines et usines de liquéfaction). La volatilité des prix du gaz, l’instabilité politique de certains pays et les tensions entre États rendent de plus ces investissements particulièrement risqués (6, 4). En outre, la taille des marchés gaziers nationaux n’offre pas toujours la garantie d’une demande suffisante, et nécessite de s’appuyer sur des exportations.

Le nouveau Forum s’est donc donné pour objectif de “créer un marché gazier régional servant les intérêts de ses membres par une offre et une demande en gaz assurées, l’optimisation des investissements, la rationalisation des infrastructures, (et) l’offre de prix compétitifs” (5). La route reste cependant longue avant que le gaz méditerranéen ne concurrence efficacement le gaz russe (3). Cela sera d’autant plus complexe que Gazprom pourrait jouer de ses surcapacités de production pour assurer ses parts de marché et que le GNL américain continuera d’exercer une pression à la baisse sur les prix du gaz européen (1). S’il n’était pas exporté, ce gaz pourrait toutefois soutenir le développement économique de la région en réduisant le coût de son énergie et en la détournant du charbon et du pétrole (3).

L’Union Européenne a donc tout intérêt à soutenir cette initiative régionale inédite, que ce soit pour encourager l’apaisement des tensions régionales, encourager la stabilité de ces États ou profiter de l’émergence d’un nouvel acteur sur le marché du gaz naturel.

Perspectives :

  • Rencontre prévue entre les partenaires du forum en avril 2019.
  • Stabilisation régionale par le développement d’une plateforme de discussion régionale et de relations accrues d’interdépendance économique.
  • Développement d’un nouveau bassin gazier à la frontière européenne susceptible de permettre une diversification des approvisionnements européens.

Sources :

  1. CORNOT-GANDOLPHE Sylvie, Les exportations américaines de gaz naturel, de nouvelles règles du jeu sur l’échiquier européen, IFRI, juin 2016.
  2. DARBOUCHE Hakim, EL-KATIRI Laura et FATTOUH Bassam, East Mediterranean Gas : what kind of a game-changer ?, Oxford Institute for Energy studies, décembre 2012.
  3. JOHNSON Keith, Club Med : Israel, Egypt, and Others Form New Natural Gas Group, Keith Johnson, Foreign Policy, 15 janvier 2019.
  4. LO Chris, Timeline : game-changing gas discoveries in the eastern Mediterranean, Offshore Technology, 13 décembre 2017.
  5. Eastern Mediterranean countries to form regional gas market, Reuters, 14 janvier 2019.
  6. SUKKARIEH Mona, Oil and gas in the Eastern Mediterranean, Executive magazine, 17 décembre 2018.
  7. Le ministre israélien de l’Energie en rare visite en Egypte, Times of Israel, 14 janvier 2019.

Tristan Metz