Santiago. Ces derniers jours, l’attention s’est concentrée sur le rencontre entre Piñera et Bolsonaro. Bien que le premier eût déjà exprimé ouvertement son soutien au deuxième lors de sa participation au Forum organisé par le journal El País en Espagne, en affirmant que “son message économique (…) est approprié pour un pays comme le Brésil qui est en récession depuis des années”, certains événements contribuent à confirmer ce rapprochement depuis le second tour. Lundi 29 octobre, le chef d’État du Chili et l’ancien militaire et député brésilien ont eu un appel téléphonique pour discuter de l’approbation éventuelle d’un accord de libre-échange entre les deux pays ainsi que d’un deuxième enjeu stratégique : donner la priorité à la construction d’un corridor biocéanique entre le port brésilien de Santos, dans l’Atlantique, et les côtes chiliennes dans le Pacifique. Également, le futur chef de cabinet de Bolsonaro, Onyx Lorenzoni, a confirmé qu’il effectuera son premier voyage international au Chili, lequel pourrait également inclure un voyage aux États-Unis pour rencontrer Donald Trump. En revanche, Piñera a confirmé qu’il se rendrait au Brésil le 1er janvier pour la passation de pouvoir.

Les éloges de Piñera ont suscité de nombreuses critiques de la part de l’opposition au Chili et ont contrasté avec la prudence adoptée par une majorité des pays latino-américains. Dans une région marquée par les dictatures militaires au XXe siècle, le triomphe de Bolsonaro et l’influence du Brésil font craindre le retour des gouvernements autoritaires et de nouvelles ruptures qui s’ajouteraient à l’instabilité existant actuellement au Venezuela et au Nicaragua.

Mais ce rapprochement cause des inquiétudes plus larges. L’accord de libre-échange mentionné par Piñera et Bolsonaro s’inscrit dans la volonté de ce dernier de minimiser l’importance accordée au Mercosur en vue de la multiplication des traités bilatéraux lui permettant d’établir des relations commerciales directement avec le reste du monde. S’il était établi, l’ALE entre le Chili et le Brésil ouvrirait la voie à la conclusion d’autres accords défavorisant le Mercosur et ses vingt années de négociation avec l’Union afin de conclure un accord commercial. Bolsonaro a mentionné la création d’un “nouveau bloc libéral” avec certains pays de la région. Pour Pablo Guedes, futur responsable des portefeuilles du Trésor, de la Planification, de l’Industrie et du Commerce, ainsi que du ministère chargé des concessions et des privatisations, “le Mercosur n’est pas une priorité”. En revanche, il a salué l’économie chilienne en reconnaissant qu’il s’agit d’un modèle à suivre, mettant en œuvre les réformes économiques néolibérales que le Chili avait menées sous la dictature d’Augusto Pinochet, telles que le système de retraites et les différentes privatisations. Bien que ces réformes aient conduit le Chili à devenir l’économie la plus développée d’Amérique latine, elles l’ont fait à un coût social et humain très élevé, qui le place aujourd’hui comme l’un des pays les plus inégaux au monde.

Perspectives :

  • Si Bolsonaro respecte ses promesses de campagne, il existe un risque de forte polarisation au Brésil et dans la région. De plus, le ferme soutien de Piñera à Bolsonaro normalise d’une part des comportements politiques qui, pour le reste du monde, semblent inacceptables et pourraient mener à des confrontations ; et d’autre part confirme le choix de politiques néoliberales pour le développement de la région.
  • Le Brésil, la plus grande démocratie d’Amérique latine, pourrait servir de modèle aux autres politiciens et aux partis populistes et xénophobes qui pourraient se présenter aux prochaines élections dans les différents pays de la région. En se présentant comme la solution aux problèmes du Brésil, Bolsonaro confère une certaine crédibilité aux politiques autoritaires et racistes de l’extrême droite qui ne cesse de gagner des adhérents dans certains secteurs, notamment les élites économiques.

Sources :

  1. CAPDEVILA Inés, ¿Puede haber otro Bolsonaro en América Latina ?, La Nación, 28 octobre 2018.
  2. “Le deseo un muy buen gobierno” : La llamada telefónica de Piñera a Bolsonaro, CNN Chile, 29 octobre 2018.
  3. LISSARDY Gerardo, Bolsonaro : el polémico elogio Piñera y la reacción de otros gobiernos de América Latina ante el ascenso del ultraderechista en Brasil, BBC Mundo, 10 octobre 2018.
  4. RIVAS Federico, Jair Bolsonaro pone entre paréntesis al Mercosur, El País, 30 octobre 2018.
  5. Jair Bolsonaro, Latin America’s latest menace, The Economist, 20 septembre 2018.

Francisca Corona Ravest