Bogotá. Ces derniers mois, de nombreuses manifestations pour la défense de l’éducation supérieure publique ont été organisées en Colombie. Le 10 octobre, une mobilisation historique a réuni plus d’un demi-million de personnes dans les principales villes du pays. Les manifestants ont dénoncé le grave déficit budgétaire qui plonge le système universitaire dans une crise aigüe : la dette des universités publiques, accumulée depuis un quart de siècle, s’élève à plus de 18 000 milliards de pesos – soit près de 5 milliards d’euros. Les recteurs et les professeurs d’université, ainsi que l’Union nationale des étudiants de l’éducation supérieure (UNEES), réclament donc une hausse du budget alloué aux universités pour 2019, la rénovation des infrastructures, l’augmentation du nombre de professeurs et un plus grand investissement pour la recherche.

En réponse aux manifestations, le gouvernement d’Ivan Duque s’est engagé à investir 1200 milliards de pesos supplémentaires pour l’éducation supérieure (alors qu’il a promis d’augmenter de plus de 3000 milliards le budget de la défense et de l’armement). Cet engagement est loin d’être suffisant pour enrayer le déficit des universités et démontre un refus politique de faire de la crise structurelle du système universitaire une priorité. La crise de financement des institutions publiques du pays ne doit pourtant pas occulter la nécessité d’une réforme intégrale de la politique nationale en matière d’éducation supérieure. Trois grandes carences du système universitaire colombien peuvent être soulignées (1) : l’absence de lignes directrices nationales régulant le développement des filières d’enseignement et la définition de grands thèmes de recherche ; un manque de moyens attribués au secteur des technologies modernes qui limite la capacité d’innovation du pays et génère une importante dépendance technologique et économique ; l’offre très réduite d’éducation technique et professionnelle en post-secondaire.

L’agitation estudiantine colombienne n’est pas un cas isolé. Cette année, étudiants et professeurs sont également descendus dans les rues au Chili, Pérou, Venezuela, Mexique et Argentine pour exiger – entre autres revendications – l’augmentation des budgets dédiés aux institutions publiques et dénoncer la crise de l’éducation supérieure. Cette crise est une conséquence des grandes réformes universitaires mises en place au cours des décennies 1980 et 1990 ; celles-ci ont en effet favorisé une expansion très inéquitable du système d’éducation supérieure (3), accompagnée d’une certaine “mercantilisation“ des universités (2).

Perspectives :

  • Le gouvernement colombien n’ayant proposé aucune réforme substantielle et durable du système universitaire, il est probable que les manifestations se poursuivent.
  • Sur tout le continent, les dialogues entre universités publiques et gouvernements devront être renoués afin de définir un agenda de réformes à plus long terme.
  • La crise des universités publiques contribue à perpétuer les inégalités sociales et affaiblit le système démocratique des pays. Faute d’investissement massif dans l’éducation supérieure, les pays d’Amérique latine ne parviendront pas à rattraper leur retard en matière de production scientifique et technologique.

Sources :

  1. GOMEZ Víctor Manuel, Educación superior : la crisis de la financiación oculta la crisis del sistema, UN Periódico, 26 octobre 2018
  2. MOLLIS Marcela, Las universidades en América Latina : ¿reformadas o alteradas ? La cosmética del poder financiero, CLACSO, 2010
  3. UNESCO, Situación Educativa de América Latina y el Caribe : Hacia la educación de calidad para todos al 2015, 2013.

Riwanon Gouez