Francfort-sur-le-Main. Comment rendre plus supportable le poids d’une dette publique écrasante tout en réduisant son exposition au sentiment des marchés, sans pour autant s’engager dans davantage de solidarité budgétaire européenne ? Alors que l’endettement public italien atteint plus de 130 pour cent du PIB, que la Commission a rejeté la proposition de budget du gouvernement Conte et que le spread oscille autour des 300 points, c’est à ce problème épineux qu’entendait s’attaquer Karsten Wendorff, chef de la division des finances publiques à la Deutsche Bundesbank, dans un article publié samedi dernier dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (1).

La solution qu’il propose a tout pour surprendre : il s’agit de créer un fonds de solidarité, strictement national, financé par les ménages italiens via une souscription obligatoire à proportion de 20 pour cent de leur patrimoine net ; ce fond acquérrait de l’ordre de la moitié de la dette publique italienne, divisant ainsi par deux le volume des obligations d’État en circulation. L’objectif affiché : mettre à profit la richesse des contribuables pour réduire le spread, tout en responsabilisant les citoyens vis-à-vis des décisions budgétaires de leur gouvernement. La mise en place d’une telle mesure éviterait ainsi durablement toute intervention du Mécanisme européen de stabilité ou de la BCE pour venir en aide à l’Italie et à son système bancaire, fragilisé par la hausse du spread et la dégradation de la note des obligations italiennes (6).

Il est tentant de penser qu’avec des garanties solides et une dette en partie déplacée vers le marché domestique, l’Italie pourrait repousser le spectre d’une crise bancaire. Après tout, le Japon et son endettement à hauteur de 245 pour cent du PIB profitent bien d’un spread à -30 bp (2) sur le Bund, tirant parti d’une détention à plus de 90 pour cent par des investisseurs japonais et de la force de l’épargne nationale (4). Mais la recette miracle pourrait bien être tout à fait inapplicable. D’abord parce qu’une telle souscription obligatoire, si elle n’est certes pas un impôt (puisqu’elle rapporte des intérêts), pourrait fort bien être jugée anticonstitutionnelle, et surtout – a fortiori venant de la Bundesbank – politiquement inacceptable. Ensuite parce que le principe, proposé par Wendorff (3), d’un taux fixe sur le patrimoine des contribuables italiens au-delà de 50 000€ risque de se heurter à des réalités économiques inégales : que faire en particulier du patrimoine immobilier, dont les conditions de liquidité sont très diverses ? Comment ne pas prendre en compte les différences de revenus entre les ménages au moment de sa mise en place, alors que le taux envisagé est, à titre de comparaison, dix à vingt fois supérieur à celui de l’Impôt sur la fortune immobilière français ?

Karsten Wendorff dit parler en son nom, mais sa proposition apparaît naturellement de l’autre côté des Alpes comme une provocation. Même s’il faut lui reconnaître le mérite d’avoir pointé du doigt le manque de responsabilité – perçue par les marchés, et probablement bien réelle au-delà du seul cas italien – des citoyens face à une situation de dette structurelle, les effets de son plan seraient certainement bien moindres qu’escomptés une fois prise en compte la réalité du terrain. Interrogé sur ce sujet, l’ancien ministre de l’économie Giulio Tremonti (Forza Italia, PPE) s’est dit favorable à des coupes budgétaires et une exemption d’impôts sur les obligations nationales, tout en attaquant “un certain type de culture et de vision du monde” selon lui typiquement allemandes (5). Wendorff aurait-il simplement jeté de l’huile sur le feu ?

Sources :

  1. BUFACCHI Isabella, “Patrimoniale” al 20 %, il piano della Bundesbank per dimezzare il debito italiano, Il Sole 24 Ore, 27 octobre 2018.
  2. Ten year government bond spreads, Financial Times, chiffres du 2 novembre 2018.
  3. Bundesbank schlägt Regierung in Rom Zwangsanleihe vor, Handelsblatt, 27 octobre 2018.
  4. Pourquoi, malgré sa dette abyssale, le Japon n’est pas la Grèce, Le Point, 12 août 2015.
  5. ORIOLI Alberto, Tremonti : « Patrimoniale made in Germany ? Dannosa, via le imposte sui BoT », Il Sole 24 Ore, 30 octobre 2018.
  6. SPECIALE Alessandro, A Bundesbank Economist Has a Radical Plan to Halve Italy’s Debt, Bloomberg, 27 octobre 2018.

François Hublet