Ankara. Avant même que les élections anticipées du 24 juin n’aient lieu, le candidat du Parti républicain du peuple, Muharrem İnce, avait prédit que la livre turque aurait valu entre 8 et 10 pour un dollar si Erdoğan était réélu président (4). S’agissait-il d’une prophétie à la Nostradamus ? Pas vraiment. La dévaluation de la livre turque n’est pas un fait nouveau : elle a perdu 27.7 pour cent de sa valeur face au dollar au cours de l’année (7) et, tant que le gouvernement Akp ne change de tactique (mainmise sur la Banque centrale, refus d’augmenter les taux d’intérêts, endettement étranger), il n’est pas surprenant de voir la livre turque continuer à chuter.

Mais cette dévaluation n’est pas uniquement liée à la gestion maladroite de l’économie. Elle est aussi perçue comme le résultat d’une punition politique : les États-Unis avaient annoncé des taxes douanières de 25 pour cent sur l’acier turc et de 10 pour cent sur l’aluminium turc au mois de mars et, suite aux tensions liées à la détention du pasteur américain Andrew Craig Brunson, ils ont augmenté ces taxes à respectivement 50 pour cent et à 20 pour cent (2). Recep Tayyip Erdoğan a signalé que la “guerre économique” lancée par les États-Unis ne diffère pas d’une attaque visant l’appel à la prière et le drapeau, deux images représentant la Turquie selon le président (12).

Quelles solutions ? Recep Tayyip Erdoğan a lancé un appel aux citoyens turcs, les invitant à échanger les devises qu’ils gardent sous leurs couettes afin de faire baisser la valeur du dollar et qualifiant cet acte de “lutte nationale” (6). Une demande concernant le boycottage des produits électroniques américains leur a aussi été adressée par le président, suite à laquelle des vidéos montrant la destruction des smartphones Apple ont été publiées sur les réseaux sociaux (3).

Suite à l’annonce des taxes douanières ciblant la Turquie, une réunion sur la “nouvelle approche économique” s’est tenue le 10 août au palais de Dolmabahçe (8). Berat Albayrak, ministre des Finances mais aussi gendre du président Erdoğan, s’est présenté sur la scène trempé de sueur. Sa présentation a fait l’objet de nombreuses critiques, certains comparant son diaporama à un devoir de lycéen et d’autres soulignant le caractère vague des “réformes structurelles” qu’il entend mettre en place. Mais, lors de la conférence téléphonique du 16 août, Albayrak a tenté de rassurer les investisseurs étrangers en affirmant que la Turquie restera une économie de marché (11).

La décision de Donald Trump d’augmenter les tarifs douaniers semble étonnamment rapprocher la Turquie de l’Europe. Alors que les relations étaient tumultueuses, l’imposition des tarifs ont créé un point de convergence entre les deux mondes pourtant perçus comme opposés. Après le soutien d’Emmanuel Macron, qui a eu un entretien téléphonique avec son homologue turc (5), c’est la secrétaire générale du Parti social-démocrate d’Allemagne, Andrea Nahles, qui a souligné que la Turquie est un allié non négligeable de l’Otan, puis le chef de l’agence de presse et d’information gouvernementale allemand, Steffen Seibert, qui a affirmé que la stabilité économique de la Turquie présente un intérêt tout aussi important pour son pays (9).

Perspectives :

  • Le taux de change défavorable touchera nécessairement les sociétés turques, qui doivent rembourser les dettes en devise. Le total estimé des dettes remonte à 335 milliards de dollars (10).
  • Le refus d’acheter les produits électroniques américains n’est pas une solution durable : l’éventail des produits à boycotter est très large et même si les produits locaux sont favorisés, le matériel informatique et les logiciels sont largement importés.
  • Selon Berat Albayrak, les objectifs à atteindre sont : arriver à un excédent hors intérêt de 5 milliards de livres turques, limiter le déficit budgétaire à 1,5 pour cent et ramener l’endettement du trésor en dessous des 100 pour cent (1).

Sources :

  1. Turquie : Le cadre du nouveau modèle économique dévoilé vendredi, Anadolu Ajansı, 9 Août 2018.
  2. La Turquie double les taxes douanières sur certains produits américains, Anadolu Ajansı, 15 Août 2018.
  3. Bazı ABD ürünlerine ek vergi getirildi, BBC Türkçe, 15 Août 2018.
  4. İnce : Erdoğan kazanırsa dolar 10 lira olur, HaberTürk Business, 19 Juin 2018.
  5. KODMANI, Hala, Des mots de des milliards au chevet de la crise financière turque, Libération, 16 Août 2018.
  6. Erdoğan’dan dolar bozdurun çağrısı, NTV, 10 Août 2018.
  7. O’BRIEN, Matt, Turkey is fighting an “economic war” against reality, The Washington Post, 8 Août 2018.
  8. PERRIGO, Billy, Turkish People Are Smashing Their iPhones to Protest President Trump’s Tariffs, Time, 17 Août 2018.
  9. Almanya’dan Türkiye’ye destek açıklaması !, Sabah, 19 Août 2018.
  10. SETSER, Brad W., Framing Turkey’s Financial Vulnerabilities : Some Rhymes with the Asian Crisis, but Not a Repeat, Council on Foreign Relations, 20 Août 2018.
  11. Albayrak 6 bin yabancı yatırımcıya seslendi, Sözcü, 17 Août 2018.
  12. Bu, ezana ve bayrağa saldırıdır, Star, 20 Août 2018.