Rome. L’effondrement de la lire turque, instillant de nouvelles incertitudes sur les marchés, a eu des effets particulièrement forts sur un autre pays plus à l’ouest : l’Italie. Et les nuages sur l’économie italienne pourraient s’accumuler dans les semaines à venir, tandis que l’attention des marchés se concentre de plus en plus sur Rome. Tom Kinmonth d’Abn Amro a sonné l’alarme : « Les problèmes en Italie au cours des trois prochains mois détermineront le récit de l’ensemble du système bancaire européen au cours des trois à cinq prochaines années ». (1).

En effet, de nombreux signes indiquent qu’une tempête parfaite se prépare pour l’économie italienne : le 14 août, une enchère annuelle du Trésor pour les Bot dédiés aux banques a été abandonnée, tandis que le spread entre Btp et Bund est revenu à 280 points le vendredi 17 et que le taux à dix ans des Bot de référence est passé à 3,10 %, le plus élevé depuis la mi-juin environ (4). Seule une partie de cette agitation est due aux problèmes de la Turquie ; il s’agit d’un problème à long terme, lié aux craintes des marchés financiers de tenir des comptes en Italie, comme en témoigne un récent rapport de Jp Morgan qui appelle ses investisseurs à « fermer toutes les stratégies les plus risquées avant qu’ils ne reprennent le placement de titres et que le débat sur la loi budgétaire italienne n’atteigne un point critique » (3). Il s’agit d’une invitation qui a été prise au pied de la lettre, étant donné qu’il y a déjà eu la sortie de 30 milliards d’euros d’investisseurs étrangers.

La raison principale de ces chiffres est l’incertitude sur la dette publique de l’Italie : de nombreuses craintes sont liées à la prochaine loi budgétaire prévue pour octobre qui, si elle tient les promesses du contrat gouvernemental, menace de faire exploser le déficit. L’instabilité est accrue par le fait qu’avec la fin annoncée de l’assouplissement quantitatif de la Bce, le principal flux de financement de la dette, qui a maintenu le pays à flot ces dernières années, sera bientôt interrompu. Pour trouver un remède et obtenir les 250 milliards d’euros par an qui manqueront après le retrait de Francfort, le ministre de l’économie Giovanni Tria, un technicien, a confirmé qu’il se rendra à la fin du mois d’août en Chine à la recherche d’investisseurs, comme nous l’avions annoncé dans une précédente édition de la Lettre (5).

Pourtant, les efforts de Giovanni Tria pourraient ne pas suffire. Tout d’abord, pourquoi n’a-t-il pas encore clarifier la contrepartie que les Chinois pourraient demander pour acheter des Bots italiens : un rôle de leader dans l’infrastructure ? Surtout, le problème fondamental reste l’instabilité politique : face à l’absence de garanties de la part des partis politiques sur leurs intentions en termes de dépenses publiques, il est difficile pour les marchés de se stabiliser. La réponse du gouvernement à l’accident de Gênes, qui a trouvé en l’Union son bouc émissaire, démontrant ainsi que sa tendance à penser à des complots extérieurs perdure (2), n’a fait qu’accroître les craintes quant à la capacité du gouvernement à gérer les attentes de manière ordonnée et à rassurer les marchés. Pour le premier moment de vérité, il ne sera pas nécessaire d’attendre beaucoup : les notes attribuées par les agences de notation à l’Italie sont attendues entre fin août et début septembre. Elles seront susceptibles d’avoir de graves conséquences pour l’économie italienne. Ces derniers jours, Ankara a appris que « c’est la politique, et non l’intrigue, qui dicte la loi et que les spéculateurs le signalent » (6). Il ne semble pas que, pour l’instant, le gouvernement italien ait retenu la leçon.

Perspectives :

  • 27 août – 2 septembre : Visite de Giovanni Tria en Chine
  • Le 31 août, l’agence de notation Fitch émettra son avis sur la dette italienne, suivi de Moody’s le 7 septembre.
  • La loi de finances 2019 est attendue en octobre, la première du nouveau gouvernement, qui indiquera les intentions de dépenses pour les années à venir.

Sources :

  1. AMARO Silvia, Italy, not Turkey, is the biggest threat to European banks right now, strategist says, CNBC, 14 août 2018.
  2. BARTOLONI Marzio, Spread, Giorgetti teme l’estate del 2011 : « A fine agosto mi aspetto l’attacco dei mercati », Il Sole 24 Ore, 12 août 2018.
  3. CANCELLATO Francesco, Agli italiani piace lo sfascio : e questo è molto più preoccupante dello spread e dei mercati, Linkiesta, 14 août 2018.
  4. GEROSA Francesco, Tasso Btp decennale al 3,10 %, Piazza Affari maglia nera in Ue, Milano Finanza, 13 août 2018.
  5. La Chine pourrait-elle être la solution à la dette publique de l’Italie ?, La Lettre du lundi, 22 juillet 2018.
  6. TAINO Danilo, Mercati, perché quest’estate è diversa dal 2011, Corriere della Sera, 14 août 2018.
Giovanni Collot