En bref – Le gouvernement italien se tourne vers la Chine pour financer son programme ambitieux de dépenses publiques unies à une massive réduction des impôts : on voit mal comment cette négociation pourrait aboutir, mais on peut apprécier l’ouverture d’esprit de ces forces souverainistes prêtes à vendre leur pays au plus offrant.

Rome. Lorsque la Lega et Movimento Cinque Stelle ont annoncé leur accord de gouvernement entre avril et mai 2018, la plupart des commentateurs ont attiré l’attention sur l’incompatibilité entre leurs deux mesures-phare respectives : la « flat tax » des premiers (qui aurait réduit les impôts) et le « revenu de citoyenneté » des seconds (qui aurait creusé les dépenses publiques). Au contraire l’économiste Michele Geraci, déjà proche de la Lega mais dont les analyses étaient ponctuellement publiées sur le blog de Beppe Grillo, expliquait que les deux mesures allaient naturellement ensemble. Ce professeur de Finance dans trois universités chinoises, expatrié depuis dix ans, avait en tête la quadrature du cercle : puisque l’Italie n’est plus en mesure de concurrencer la Chine sur le terrain de la production industrielle, il ne lui reste qu’à devenir son partenaire privilégié. Baisser les impôts pour attirer les capitaux étrangers donc, et investir massivement en capital humain afin d’exporter des services et des compétences à haute valeur ajoutée. Mais surtout, convaincre les chinois d’acheter une partie de la dette italienne. En juin, alors qu’il vient d’être nommé sous-secrétaire au ministère du développement économique, Geraci publie (toujours sur le blog de Beppe Grillo) un article-manifeste sur « La Chine et le gouvernement du changement » (1). Il affirme notamment que face à la fin du Quantitative Easing de la Banque Centrale Européenne, l’Italie pourrait faire des emprunts auprès des fonds souverains chinois.

L’espoir qu’une puissance étrangère – la Chine voire la Russie de Poutine ou l’Amérique de Trump – pourrait sauver l’Italie est devenue un leitmotiv ces dernières semaines, et rappelle l’époque où l’on parlait d’un sauvetage russe pour Alexis Tsipras. Le observateurs voient dans cette stratégie un simple bluff : si c’est le cas, on le saura très vite. La presse a annoncé que le ministre de l’économie Giovanni Tria prépare un voyage en Chine fin août justement dans le but de trouver des financements publics et privés pour l’ambitieuse politique des deux partis au gouvernement. Mais quelle serait donc la contrepartie que le pays compte mettre sur la table ? On parle d’une intégration active de l’Italie dans la Belt and Road Initiative, la nouvelle route de la soie. En ce sens la catastrophe du pont de Gênes, une des portes d’entrée vers l’Europe, tombe à pic et ressemble à un de ces grands événements capables d’infléchir la direction de l’histoire : il justifierait auprès de l’opinion publique une politique massive d’investissements en infrastructures. Un accord avec la Chine pourrait par ailleurs rassurer les observateurs, qui craignent un sortie italienne de l’euro. On imagine bien qu’une telle décision serait loin des objectifs stratégiques d’éventuels « actionnaires » chinois. Le plan Geraci ne prévoit pas seulement l’achat de la dette mais aussi d’attirer des investissements privés, qu’une fiscalité légère ne peut que stimuler, citant en modèle l’Irlande et le Portugal. L’idée serait-t-elle de transformer le pays en un havre fiscal ? Le ministère du développement économique a lancé le 20 août une « Task Force China », chargée de coordonner une stratégie nationale de rapports avec le pays du Milieu. Le communiqué de presse exprime clairement et de façon officielle cette stratégie.

Début septembre, à l’issue des négociations entre les représentants politiques des deux pays, nous saurons si ce programme est viable ou s’il ne s’agit que de « wishful thinking ». Si le plan Geraci devait marcher, cela donnerait finalement un aspect concret au programme d’un gouvernement encore difficile à cerner, avec cependant des conséquences dramatiques sur la souveraineté italienne. Ainsi l’expérience de ce gouvernement que l’on croyait aventuriste et sans direction pourrait se prolonger considérablement. Si, au contraire, la Chine montrait une réticence à « sauver » l’Italie – c’est à dire à investir à la hauteur, exceptionnelle, espérée par les italiens – alors le gouvernement n’aurait plus beaucoup de cordes à son arc et risquerait de subir de plein fouet la réaction des marchés.

Perspectives  :

  • 27 août – 2 septembre : Visite du Ministre de l’Économie Giovanni Tria en Chine.
  • La loi de finances 2019, la première du nouveau gouvernement, est attendue en octobre. Elle indiquera les intentions de dépenses pour les années à venir.

Sources :

  1. GERACI Michele, La Cina e il governo del cambiamento, Il Blog di Beppe Grillo, 11 giugno 2018.
  2. Ministero dello sviluppo economico, Il MISE lancia la Task Force Cina, Governo Italiano, 20 agosto 2018.

Raffaele Alberto Ventura