Ankara. Le 13 mai 2018, le Conseil électoral supérieur de Turquie (YSK : Yüksek Seçim Kurulu) a publié la liste des six candidats aux élections présidentielles (8).

Muharrem Ince sera le candidat du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP : Cumhuriyet Halk Partisi) (1). Ancien professeur de physique-chimie et proviseur de lycées, il fait son entrée réelle en politique en 2002, lorsqu’il est élu député (vekil) de Yalova, une ville sur la mer de Marmara, aux élections législatives. Le leader actuel du CHP demeure Kemal Kılıçdaroğlu, surnommé le « Gandhi turc », qui est souvent accusé de passivité malgré le succès de sa « marche pour la justice » (10) et moins populaire que Muharrem Ince (selon une enquête réalisée par Metropoll en mars 2018, 68,8 % des participants ont dit qu’il ne soutiendront pas Kemal Kılıçdaroğlu s’il est élu candidat) (9).

Contrairement à Erdoğan, qui avait mal vécu l’obligation imposée par la Constitution de couper ses liens avec l’AKP lorsqu’il a été élu président en 2014 et qui avait contourné cet obstacle par une réforme constitutionnelle pour réintégrer son parti en 2017, Ince souhaite devenir le « président des 80 millions de Turcs ». Il ôte ainsi l’épingle du CHP de sa veste – un geste symbolique (4).

Pour les adversaires, son parti représente une élite « occidentalisée » ultra-laïque qui marginalise des groupes ethniques et religieux. Néanmoins, Ince fait des apparitions publiques sans cravate, se faisant passer pour un candidat normal. Il promet qu’il ne s’opposera pas au port du voile et défend la libération de Selahattin Demirtaş, le candidat du parti pro-kurde Halkların Demokratik Partisi qui mène une campagne atypique depuis sa cellule de prison (5). Cet orateur talentueux n’hésite pas à défier Erdoğan, notamment en dévoilant son patrimoine personnel et en exigeant du président la transparence totale. Il propose que le palais présidentiel faramineux construit (1150 chambres pour un pris de plus de 500 millions d’euros) soit mis au service du peuple sous forme d’une université.

Temel Karamollaoğlu est de son côté le candidat du parti de tendance islamique Saadet Partisi, qui a été autrefois dirigé par Necmettin Erbakan, « père spirituel » d’Erdoğan, s’oppose lui aussi au régime ultra-présidentiel (7). Il n’est pas le seul : au total, cinq candidats s’affronteront contre Erdoğan. Mais, l’opposition est incapable de se réunir. Ince a promis de soutenir le ou la candidat(e) de l’opposition au second tour (6). Meral Akşener, la candidate du Bon Parti, s’était également engagée à soutenir le CHP (3). Le leader du Vatan Partisi Doğu Perinçek, a lui laissé entendre qu’il ne soutiendra personne, y compris Ince, qui l’avait aidé à récolter les 100 000 signatures requises pour être candidat (2).

Perspectives :

  • Les élections présidentielles auront lieu le 24 juin 2018. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier tour, un deuxième tour sera organisé le 8 juillet 2018.
  • À ce jour, les candidats qui sont susceptibles de rivaliser avec Erdoğan au premier tour semblent clairs – Ince et Akşener. Or, les alliances du second tour le sont beaucoup moins. Il est très difficile de prédire les résultats en raison d’une campagne électorale inéquitable – les rues étant dominées par les affiches de l’AKP – et des pratiques jugées douteuses, depuis que le YSK a rendu légitime les bulletins de vote non tamponnés introduits peu de temps avant le décompte des voix le 16 avril 2017, le jour du référendum constitutionnel.

Sources :

  1. « Muharrem İnce : Sosyal medya fenomenliğinden CHP’nin cumhurbaşkanı adaylığına », BBC Türkçe, 4 Mai 2018.
  2. « Perinçek : İkinci turda İnce’ye destek vermeyiz », Cumhuriyet, 10 Mai 2018.
  3. « Akşener : 2. turda CHP’ye destek veririz », Hürriyet, 29 Décembre 2017.
  4. « Muharrem İnce : Benim derdim Türkiye », Hürriyet, 9 Mai 2018.
  5. « Muharrem İnce : Türkiye’nin dört bir yanını kucaklamak istiyoruz », Hürriyet, 10 Mai 2018.
  6. « Muharrem İnce : Başka bir aday ikinci tura kalırsa desteklerim », Hürriyet, 12 Mai 2018.
  7. « Saadet Partisi’nin Cumhurbaşkanı adayı Temel Karamollaoğlu », NTV, 1 Mai 2018.
  8. Site officiel du YSK
  9. « MetroPOLL’un anketinde Erdoğan yüzde 50’yi geçemiyor, iki MHP’liden biri ittifaka karşı », Cumhuriyet, 6 Avril 2018
  10. « ‘March for Justice’ Ends in Istanbul With a Pointed Challenge to Erdoğan », The New York Times, 9 Juillet 2017