Nayib Bukele, président du Salvador depuis juin 2019, a été élu sur une seule promesse forte : mettre fin à la corruption en politique et à la violence dans le pays. Un an après l’arrivée au pouvoir du jeune président, le taux d’homicides quotidien n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la guerre civile en 1992. Présenté comme la principale réussite du début de son mandat, Nayib Bukele attribue ce succès à la seule mise en place de son « Plan Control Territorial » (« Plan de contrôle territorial ») qui est une politique de confrontation armée avec les principaux gangs du pays (la MS-13 et la 18). Or, dans les faits, nulle confrontation entre les forces de l’ordre et les gangs mais bien des négociations secrètes, comme le dévoile ce reportage du média El Faro.
Depuis la publication de ce reportage salué et repris par la presse internationale dans son ensemble, Bukele a déclaré une guerre ouverte aux principaux médias salvadoriens, dont El Faro.
Cet article illustre les rapports à l’oeuvre entre un gouvernement et le crime organisé à l’échelle étatique dans une des régions les plus violentes du monde. Nous l’avons traduit et le publierons en deux parties. La deuxième est ici.
Le gouvernement Bukele négocie depuis un an avec un des principaux gangs du Salvador, la MS-13, une réduction des homicides et un soutien électoral
Les preuves que le gouvernement Nayib Bukele négocie avec la Mara Salvatrucha 13 (MS-13) sont des documents gouvernementaux officiels.
El Faro a en sa possession des copies de centaines de rapports du système pénitentiaire confirmant des dizaines de réunions secrètes entre des fonctionnaires et des chefs de gangs depuis juin 2019, ainsi que des rapports des services de renseignement expliquant ce qui a été convenu lors de ces réunions. Les représentants de l’exécutif et de la MS-13 ont négocié la réduction des homicides, les privilèges dans les prisons et les promesses à long terme liées à l’issue des élections législatives de 2021.
Le gouvernement lui-même – par le biais du système pénitentiaire – a documenté de manière très détaillée certains des rouages de ses négociations avec cette organisation criminelle. Les preuves en possession d’El Faro font état de l’arrivée récurrente du directeur général des centres pénitentiaires, Osiris Luna, et du directeur du Tissu social, Carlos Marroquín, accompagnés d’hommes cagoulés, pour tenir des réunions avec les principaux chefs du gang à Zacatecoluca et Izalco Fase III.
Les registres de la prison, signés et scellés, regorgent de noms de fonctionnaires et de membres de gangs qui ont participé aux réunions, d’heures d’entrée et de sortie, de notes d’irrégularités à la limite de l’illégalité, de plaques d’immatriculation de véhicules, de détails sur l’emplacement des cellules ou des espaces où les réunions ont eu lieu. Ils comprennent également des rapports confidentiels de renseignements sur les prisons préparés par les directeurs de celles-ci et leurs adjoints sur la base des informations fournies par les détenus qui collaborent avec les autorités. Ces informations sont qualifiées de « fiables » par les agents de renseignement de cette administration dans des notes officielles.
Ces documents laissent une trace de ce qui a été négocié au fil des mois lors des visites dans les prisons, allant de petits profits quotidiens, comme l’autorisation de vendre du Pollo Campero 1, des pizzas, des pupusas 2 ou des sucreries, ou le transfert de certains gardiens que les membres du gang considèrent comme très agressifs, en comprenant aussi l’annulation de la décision prise en avril dernier de rassembler les membres de gangs adverses dans les mêmes cellules ; et va jusqu’à la promesse faite par les responsables de l’exécutif d’assouplir le régime de sécurité maximale, d’abroger des lois et de donner aux membres de gangs des « avantages » au cas où le gouvernement prenne le contrôle du pouvoir législatif après les élections de février 2021.
Des documents officiels confirment que certains de ces accords ont déjà commencé à se concrétiser : dans une note envoyée par le directeur adjoint de la prison de Zacatecoluca au directeur de ce même centre le 8 août, il est assuré que c’est Osiris Luna (directeur général des centres pénitentiaires) lui-même qui ordonne d’annuler la décision de mélanger les membres des gangs adverses dans les cellules, de revenir à la modalité des cellules exclusives pour chaque gang. Une source des centres pénitentiaires assure à ce journal que la mesure a été inversée dans toutes les prisons pour les gangs. La décision de mélanger les membres des gangs adverses dans les mêmes cellules a été annoncée en grande pompe par le gouvernement. Le 26 avril, Luna lui-même écrit sur son compte Twitter : « On en a fini aujourd’hui avec les cellules d’une même mara (gang), nous avons mélangé tous les groupes terroristes dans une même cellule, dans tous les centres pénitentiaires de haute sécurité. L’Etat, ça se respecte ! » Le président Bukele lui-même se vante de cette mesure sur son compte officiel sur Twitter, le lendemain : « Désormais, toutes les cellules de gangs de notre pays resteront scellées. Il ne sera plus possible de voir à l’extérieur de la cellule. Cela les empêchera de communiquer vers le couloir avec des signes. Ils seront à l’intérieur, dans le noir, avec leurs amis de l’autre gang ». En revanche, le retour à la situation antérieure n’a pas été rendu public.
En échange de ces concessions, le gang le plus nombreux du pays s’est engagé dès le début à fermer « les vannes » des assassinats et, plus récemment, à « soutenir », selon les documents des services de renseignement de la prison, Nuevas Ideas lors des prochaines élections. « L’année prochaine, il y aura des élections et ils viennent soutenir ce nouveau parti comme quartier (disent les chefs) », lit-on dans l’un des rapports.
Les documents parlent d’une négociation en cours, où les accords sont encore en train d’être perfectionnés et où certaines des promesses du gouvernement sont pour l’avenir. Parmi les communications interceptées figurent plusieurs Wilas 3 où des chefs emprisonnés ordonnent à plusieurs reprises aux membres libres du gang de rester « calmes » ; car il y a un dialogue avec le gouvernement. Les documents et les sources confirmant leur contenu décrivent un processus avec des hauts et des bas qui comprend des jours avec plus de meurtres ou des périodes avec des mesures plus sévères dans les centres pénitentiaires.
2020 s’avère être l’année la moins meurtrière depuis les accords de paix de 1992, et devrait remplacer 2019 comme l’année la plus pacifique. Entre janvier et mai de l’année dernière, 1 345 homicides ont été commis. À la même période cette année, le chiffre était de 519. Le gouvernement actuel a fait de la réduction des homicides l’une de ses principales réussites.
Ce n’est pas la première fois qu’un accord entre les gangs et le gouvernement permet de réduire considérablement les homicides. En 2012, El Faro a révélé comment le gouvernement de Mauricio Funes, du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN), a également tenté de négocier en secret et en différentes étapes, d’abord une diminution des homicides, puis un soutien électoral pour les élections présidentielles de 2014. À cette occasion, les meurtres ont été réduits de façon drastique en deux ans, mais l’échec de ces processus a fait de 2015 l’année la plus meurtrière de mémoire d’homme, avec un taux de 103 meurtres pour 100 000 habitants.
El Faro a interrogé deux sources qui connaissent le fonctionnement des centres pénitentiaires, et qui ont confirmé la véracité des documents qui sont maintenant publiés. Les deux sources ont demandé à ce journal de ne pas être identifiés de peur que leur vie ne soit en danger. Après avoir examiné les documents détenus par ce journal et reconnu les signatures et les notes des agents, l’une de ces sources a déclaré : « Ce sont des copies des registres, il s’agit là des signatures des gardiens qui enregistrent le début et la fin des services ».
De plus, nous avons parlé avec un chef de la MS-13 qui a confirmé à plusieurs reprises que des négociations avec le gouvernement actuel étaient en cours depuis ses premiers mois au pouvoir. El Faro n’a pas publié cette information plus tôt parce qu’il ne disposait pas des preuves documentaires pour la valider.
Les registres qu’El Faro a analysés et publiés avec cette enquête contiennent des informations sur les réunions tenues entre des fonctionnaires du gouvernement et des membres du gang MS-13 entre le 18 octobre 2019, quatre mois après l’investiture de Bukele, et le vendredi 7 août 2020. Un autre document intercepté par les services de renseignement de la prison parle de Wilas du gang qui rapportent ces négociations depuis juin 2019. Les documents font état des admissions anormales de personnes cagoulées qui refusent de s’identifier ou d’être enregistrées par les gardiens et dont l’entrée dans les centres les plus stricts du pays est autorisée personnellement par le directeur Luna, qui les accompagne ; et les documents confirment l’entrée d’au moins un ranflero libre, qui se fait passer pour un agent de renseignement pour entrer dans les prisons afin de donner des informations et de recevoir des ordres de ses patrons emprisonnés, le tout avec le consentement des directeurs Luna et Marroquín, qui l’accompagnent lors de son entrée enregistrée dans la prison d’Izalco, le 7 août 2020.
Les émissaires du « nouveau parti »
Le 7 août 2020, à 16 heures, à la prison de haute sécurité Izalco Fase III, à environ 60 kilomètres de San Salvador, l’agent Solis prend son service au Centre d’opérations et de surveillance, à partir duquel les caméras de sécurité du site sont contrôlées. Un registre des événements observés est également tenu. Quelques minutes plus tard, il écrit la note suivante à la page 10 du rapport : « Visite de la DGCP (Direction Générale des Centres Pénitentiaires) à 16h10. L’entrée du directeur général Osiris Luna, accompagné du directeur du Tissu social, Marroquín, est observée par la caméra, avec 6 personnes qui les accompagnent qui n’ont pas donné de papiers d’identité, dans des véhicules immatriculés P894-393, P844-339, P842-331 et le véhicule du directeur qui n’a pas de plaque. Ils sont partis à 18h40 ».
L’inscription dans le rapport du 7 août, faite par l’officier Solis, ne détaille pas les raisons pour lesquelles Luna, Marroquín et les six autres personnes non identifiées sont entrés dans cette prison, ni qui ils ont visité. Cependant, cinq jours plus tard, d’autres documents officiels des centres pénitentiaires révèlent que ce jour-là, ce groupe d’hommes cagoulés et de fonctionnaires ont rencontré deux puissants chefs de la MS-13 et que certains d’entre eux se sont présentés aux membres du gang comme les émissaires d’un « nouveau parti » qui veillerait à leur « bien-être ». Les rapports des services de renseignement de la prison montrent également que parmi les six mystérieux personnages, un chef national de la Mara est entré dans la prison.
White de Iberias 4
Le 12 août, le directeur de la prison de haute sécurité d’Izalco Fase III, Rafael Antonio Jiménez Ramos, envoie la lettre 202-DC-2020 au directeur Osiris Luna, rendant compte des informations qu’il a reçues de sources qu’il qualifie de « fiables ». Ce document est un rapport de renseignement compilé par l’inspecteur Jairo Humberto Solis, assistant de la sous-direction de la sécurité de cette prison. Le rapport signale, entre autres choses, que dans le groupe dirigé par Luna lui-même, le 7 août, se trouve un chef de gang que ses informateurs à l’intérieur de la prison ont identifié comme étant le « Ay » du clan Iberias Locos Salvatrucha. Ramos savait que son patron, Luna, faisait partie du groupe qui est entré avec les hommes cagoulés ce jour-là, mais il a quand même fait le rapport. Dans la lettre, il fait référence au rapport de l’inspecteur Solis, et assure qu’il y a « quelques Wilas reçues par des sources fiables ». « A cet effet, la transcription des Wilas et le rapport en question sont joints ».
El Faro a en sa possession la chaîne des documents : des rapports que les informateurs ont envoyés à l’inspecteur Jairo Solis, à la lettre que le directeur a envoyée à son supérieur, Osiris Luna, en passant par le rapport que Jairo Solis a envoyé au directeur de la prison.
Les rapports de renseignement sont basés sur les données fournies par les détenus qui ont décidé de collaborer avec les autorités pénitentiaires en échange de certains avantages. Les documents en possession d’El Faro détaillent les noms de ces informateurs, mais ils sont omis dans cet article afin de préserver leur sécurité. Nous avons vérifié que ces informateurs existent et sont détenus dans la prison mentionnée dans les rapports.
L’inspecteur Solis écrit : « Je vous informe respectueusement des informations qui sont données par des sources fiables et dans lesquelles elles font état d’une série d’anomalies (sic), selon elles, avec des membres de la ranfla de la structure criminelle MS-13 et des membres du gouvernement qui ont visité ce centre pénitentiaire les jours précédents. Il convient de mentionner que la visite la plus importante, selon la source, est celle du 7 de ce mois (août) où des membres du gouvernement sont venus de nouveau et avec eux, des personnes cagoulées qui sont des ranfleros de la rue… ».
Bien que les informateurs identifient le membre de gang par des noms différents, comme le « Ay » ou le « Guay » d’Iberias – probablement en raison de leur prononciation imparfaite des mots anglais – les agents des services de renseignements de la prison établissent le profil de Michael Estiban Hernández Estrada comme étant le membre de gang qui est entré dans la prison d’Izalco Fase III, le 7 août, avec des fonctionnaires du gouvernement. Hernández Estrada est un homme de 35 ans, identifié par les autorités comme un ranflero de la MS-13 au niveau national et, selon le profil figurant dans les documents obtenus, comme « responsable de la ligne politique » de la MS-13. Son taka, c’est-à-dire surnom, est White de Iberias. Il a purgé quatre ans de prison entre avril 2009 et avril 2013 dans ce qui est aujourd’hui la prison de Chalatenango, pour vol aggravé sur une base de tentative d’homicide, et ce n’est pas la première fois qu’il est lié à des fonctionnaires du gouvernement Bukele. Il y a plus de quatre ans, le lundi 21 décembre 2015, la police a documenté une rencontre entre deux fonctionnaires de la mairie de San Salvador, alors dirigée par Nayib Bukele, et des membres de la Mara Salvatrucha-13 au Pizza Hut du centre commercial Multiplaza, dans la partie haute de la capitale. L’un des membres du gang présent à cette réunion est un puissant chef nommé Edwin Ernesto Cedillos Rodriguez, connu sous le nom de Renuente, avec un long casier judiciaire comprenant l’achat illégal de dizaines d’armes pour son gang et la planification de l’assassinat de fonctionnaires. L’autre membre du gang présent à cette réunion est White de Iberias.
À l’époque, White n’est pas membre de la direction de la MS-13, mais il a apparemment réussi à établir les bons contacts. La police, grâce au système d’écoute, a réussi à intercepter les appels avec lesquels il a prévu cette rencontre au Pizza Hut. El Faro a une copie de ces audios et on peut y entendre White, un jour avant la réunion, dire à Renuente sur un ton sournois : « Je t’ai déjà dit : lundi à 10 heures, à Multiplaza, nous allons tous nous voir. Le maire est déjà au courant, mec, il a déjà dit que c’est ok. Tu ne sais pas qui je suis alors, mec ? ». Le lendemain, quelques minutes avant la réunion, Renuente le presse pour qu’il vienne à la réunion : « Je voulais que tu sois déjà là. Je ne veux pas qu’ils nous mettent un flic là-dedans ou qu’ils mettent des gens que tu connais pas toi », et White, vantard, a répondu : « Non gros, c’est seulement l’autre mec et mon contact qui seront là. Il n’y a pas d’embrouille là-bas. Ces gens ne font pas de sales coups. »
L’ « autre mec » auquel White fait référence est le conseiller municipal de l’époque, Mario Duran ; et le contact en qui il a confiance est Carlos Marroquín. La police les a pris en photo ce jour-là, et après la réunion, ils ont arrêté les fonctionnaires de la capitale pour les identifier. Cinq ans après cet épisode, révélé par El Faro en 2018, Renuente est enfermé à la prison de haute sécurité de Zacatecoluca, White de Iberias s’est hissé à la ranfla du gang, Durán est ministre de l’Intérieur et candidat à la mairie de la capitale pour le parti Nuevas Ideas, et Marroquín dirige Tissu social, qui est rattaché au bureau de l’Intérieur.
L’inspecteur Solis conclut son rapport au directeur d’Izalco Fase III en disant que les informateurs « leur ont dit que (White) était allé à Zacatecoluca et que là-bas ils vont bien et qu’il faut qu’ils soient patients car cela va changer très bientôt ». À la fin, Solis explique qu’il joint les Wilas originales et leurs transcriptions.
« Aux États-Unis, nous sommes la terreur »
Les trois informateurs de l’inspecteur Jairo Solis sont d’accord pour dire que le groupe qui est entré dans la prison d’Izalco Fase III le 7 août a rencontré deux des principaux chefs du centre pénitentiaire : Macaco de Stoner, nommé Walter Oswaldo Gomez Villalobos, membre du clan Stoner Locos Salvatrucha qui opère à Santa Ana ; et Baby de City, nommé José Luis Gonzalez, du clan City Paraiso qui contrôle le district Italia, un lotissement dans la municipalité de Tonacatepeque, près de San Salvador.
Les sources du rapport de renseignement ont écouté le contenu de la conversation et l’ont ensuite transmis par écrit à l’inspecteur. Selon eux, la voix principale de la discussion est celle de White de Iberias, qui est venu ce jour-là cagoulé en compagnie de Luna et Marroquín. Dans la conversation rapportée par les informateurs, il est clair qu’il ne s’agit pas du début d’une négociation avec le gang, mais de la poursuite d’un processus qui a commencé bien avant dans la prison de Zacatecoluca, avec deux des leaders historiques de la Mara Salvatrucha 13 au niveau national : Borromeo Enrique Henríquez, Diablo de Hollywood, et Carlos Tiberio Valladares, Snyder de Pasadena.
Diablo de Hollywood et Snyder de Pasadena ont tous deux été parmi les leaders les plus visibles pendant la trêve que le gouvernement de Mauricio Funes (2009-2014) a conclue avec les gangs en 2012.
Selon les renseignements de la prison, White a informé Macaco et Baby à Izalco qu’il avait déjà rencontré les deux chefs à Zacatecoluca.
Les rapports indiquent que White de Iberias s’est également vanté auprès de Macaco et Baby d’avoir rencontré les ranfleros dans une troisième prison, celle de San Francisco Gotera : Guanaco et Mafioso, tous deux du clan City Paraíso. El Faro n’a aucune trace de ces réunions. Dans la transcription officielle de l’une des Wilas, envoyée au directeur de la prison par l’inspecteur Solis, on peut lire : « Il a également dit (le délégué du gouvernement) que nous ne devons pas attendre la visite maintenant, parce que tout allait se passer étape par étape, parce qu’ils (les fonctionnaires) étaient sur le devant de la scène et qu’ils ne veulent pas être associés à un accord de trêve parce que nous, gang MS-13, on dit de nous là-bas aux Etats-Unis, que nous sommes la terreur. Et ces transactions ne sont qu’une couverture, et ils voient que l’année prochaine, c’est le vote, et ils sont d’un nouveau parti et ils voient notre bien-être à nous, les homies 5 ».
Ce que le délégué du gouvernement salvadorien dit aux membres du gang emprisonnés à Izalco n’est pas faux. Le président des États-Unis lui-même, Donald Trump, a fait référence à la Mara Salvatrucha 13 avec grandiloquence. Il les a appelés le « cartel MS-13 » et aussi « animaux ». « Ce sont les gens les plus durs que vous rencontrerez jamais. Ils tuent et violent tout le monde là-bas. Ils sont illégaux », a-t-il déclaré en décembre 2016.
Le gouvernement Bukele a montré à plusieurs reprises ses bonnes relations avec le gouvernement étatsunien. En fait, près de quatre mois après l’entrée en fonction de Bukele, Trump le reçoit à Washington fin septembre 2019 et fait son éloge : « Le Salvador est formidable pour les États-Unis, nous travaillons très bien pour le peuple et nous avons du respect pour vous, et nous apprécions ce que fait le président (Bukele). Il fait un travail incroyable contre la MS-13 et nous reconnaissons que c’est quelque chose de très précieux », déclare M. Trump alors qu’il est assis à côté de Bukele devant plusieurs médias.
C’est ce que dit Trump le 25 septembre. Trois semaines plus tard, le 18 octobre, le directeur des centres pénitentiaires Osiris Luna entre à Zacatecoluca, selon des documents détenus par El Faro, avec des personnes qui ne s’identifient pas. Quelques mois plus tôt, depuis juin 2019, les services de renseignement de la prison du gouvernement Bukele ont intercepté des Wilas qui mentionnent explicitement une « négociation avec le gouvernement ».
Lors de la réunion du 7 août, White remet aux deux membres du gang un message que les informateurs ont transcrit comme suit : « …C’est fait, il a déjà parlé, et Diablo et Snyder ont dit que comme les élections arrivent, ils vont soutenir en tant que gang ce nouveau parti car ils vont nous aider à enlever l’article pour obtenir des privilèges et avec Diable et Snyder ils vont s’entendre avec la somme d’argent… (sic) ».
Au cours de cette réunion, les membres du gang se plaignent également aux fonctionnaires qu’ils ne reçoivent pas de programmes de formation, que les magasins des institutions ne sont pas bien approvisionnés et que certains gardiens les battent. Un des représentants de l’exécutif, qui est appelé dans les wilas « le vieux du gouvernement », prend note de l’identité des gardiens et s’engage à les déplacer. Les informateurs relatent cette demande dans le document qu’ils ont envoyé à l’inspecteur : « Les homeboys lui ont fait voir qu’ici les flics sont toujours en train de les frapper et le vieux leur a demandé si nous avions des surnoms des flics qui les frappaient et les homies leur ont donné ceux-ci : Seco, Pelón, Marino, Corcel, Cafú, Coyote, Dómino et le vieux leur a dit qu’il allait les chasser un par un de cet endroit parce qu’il a dit qu’il était interdit de les maltraiter (sic) ».
Le lendemain de la rencontre avec Baby et Macaco, le samedi 8 août, l’inspecteur Isabel Martinez Sanchez, directeur adjoint de la prison de haute sécurité de Zacatecoluca, envoie un mémorandum officiel – signé et scellé – au directeur de cette même prison, Rogelio Belarmino Garcia, pour l’informer de la visite du directeur général adjoint des centres pénitentiaires, Carlos Aparicio, qui a été nommé à ce poste onze jours plus tôt. Dans le mémorandum, il note qu’Aparicio est arrivé à la prison à 8h50 du matin avec une mission : inverser la mesure consistant à mélanger des membres de gangs ennemis dans les mêmes cellules et remettre dans les cellules seuls des détenus membres de la même organisation criminelle.
La note de service indique ensuite : « Je vous informe respectueusement qu’à 8h50 ce jour (8 août), M. Carlos Aparicio, directeur général adjoint des centres pénitentiaires, est entré dans ce centre pénal à bord du véhicule P125717, qu’il a eu un entretien avec le souscrit, qui a consisté à lui demander s’il avait connaissance d’un agent qui maltraite les privés de liberté (PDL) ou qui soit en difficulté. Il a également déclaré que la mission de la direction générale est de soutenir les programmes et aussi de leur vendre du Pollo Campero, Campestre, de la pizza, des pupusas et de la nourriture faite maison par le biais du magasin institutionnel. Plus tard, nous nous sommes déplacés à l’intérieur du centre pour déplacer les PDL dans les secteurs 3 haut, 3 bas, secteur 1 bas, 4 bas, secteur 5, secteur 6 niveau 1, 2 et 3. Je n’omets pas de préciser que cet ordre a été donné verbalement par le directeur général des centres pénitentiaires au directeur-adjoint général ; cette activité a consisté à laisser les cellules avec des PDL d’un seul gang. Ils ont quitté ces installations pénitentiaires à 17h17. (sic) ».
Une mesure qui avait été annoncée en grande pompe par le président Bukele et d’autres fonctionnaires a été annulée en secret et à la demande des mêmes mareros.
Ces récits, documentés dans des rapports officiels, décrivent une négociation lente et progressive, et coïncident avec ce qu’une source de la MS-13 – un membre du gang de l’ouest du pays, âgé de 38 ans, qui était un informateur des unités de renseignement de la police et qui a accepté de se rendre dans la capitale pour parler de la relation entre la MS-13 et le gouvernement Bukele – avait déjà dit à deux journalistes d’El Faro le 27 août 2019. Dans cette interview, le membre du gang a assuré qu’un accord était en cours d’élaboration avec le gouvernement au moment même où le commandement du gang se réorganisait dans les rues, compte tenu des complications de communication avec la ranfla histórica, comme sont appelés les membres directifs à la tête du processus de trêve de 2012 qui ont été envoyés en prison de haute sécurité lorsque celui-ci s’est estompé.
Ce membre du gang a déclaré lors de cette réunion qu’ils étaient attentifs à l’évolution des négociations et que celles-ci étaient sujettes au maintien du nombre de meurtres bas, tel que c’était le cas les mois précédents. Il a refusé de donner plus de détails et a déclaré que ceci se ferait progressivement lors de discussions ultérieures. El Faro a décidé à l’époque de ne pas publier les affirmations de cette source, faute d’éléments permettant de les confirmer.
Une des pages du rapport de Zacatecoluca auxquelles El Faro a eu accès fait allusion à l’entrée d’un autre cortège anonyme pour discuter avec trois dirigeants du Barrio 18 Sureños. Or le document n’inclut pas la date. Le reste des documents en possession de El Faro se réfèrent exclusivement aux négociations entre des fonctionnaires et la MS-13.
L’après-midi du 3 septembre, El Faro a passé plusieurs appels et envoyé des messages à diverses institutions gouvernementales et aux numéros de téléphone personnels des personnes figurant dans ce rapport. On a appelé et laissé un message sur le téléphone d’Osiris Luna et on a également parlé à son attaché de presse pour lui permettre de réagir. Il a promis de rappeler, mais quelques heures plus tard, il ne l’a pas fait. Des messages privés sur Twitter ont été envoyés à Carlos Marroquín et il n’y a pas eu de réponse même si l’application confirme qu’il a vu les messages. Des appels ont également été passés sur son téléphone personnel, où un message vocal a été laissé.
El Faro a également appelé la Secrétaire d’État aux Communications, Sofia Medina, mais celle-ci n’a pas répondu aux appels. Un appel a été passé à l’attaché de presse de l’organe qui contrôle la Direction du Tissu social, et il n’y a pas eu de réponse. Il n’y a pas eu non plus de réponse de la part de Carlos Aparicio bien qu’il ait reçu et ouvert les messages sur Whatsapp. Enfin, un appel a été passé au téléphone personnel de Xavier Zablah, président du parti Nuevas Ideas, dont deux candidats sont mentionnés dans ce document. Un message sur le compte officiel de Nuevas Ideas a été laissé sur Twitter. Il n’y a pas eu de réponse…