San Salvador. Les sondages le donnaient largement vainqueur et ne se sont pas trompés. Nayib Bukele a réussi son pari : en se présentant comme le renouveau de la politique, il est parvenu à mettre fin au bipartisme qui régit le Salvador depuis vingt-sept ans. Après la signature des accords de paix de la guerre civile (1980-1992), deux partis se sont partagés le pouvoir ; d’un côté, le parti historique de droite, ARENA (Alianza Republicana Nacionalista), de l’autre, le parti de gauche constitué d’anciens guérilleros FMLN (Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional). Bukele, isolé sur la scène politique salvadorienne, a été dans l’obligation de se présenter sous les couleurs du parti de centre-droit GANA (Gran Alianza por la Unidad Nacional).

Le 10 octobre 2017, alors qu’il était maire (2015-2017) de San Salvador, Bukele avait été exclu du FMLN à cause des critiques publiques qu’il adressait au président Sánchez Cerén, élu du même parti. Le 25 octobre, il annonçait via une vidéo en direct sur Facebook la création de son parti politique, Nuevas Ideas, et sa candidature à la présidentielle. Cependant, alors qu’il dit avoir les signatures requises, Bukele est bloqué par les institutions salvadoriennes (Tribunal suprême électoral, Cour suprême) qui ne reconnaissent pas légalement son nouveau parti. Afin de pouvoir être candidat, il n’a d’autre choix que de se présenter avec la GANA, ce qu’il fait en juillet 2018. Avant son adhésion au parti de centre-droit, le Tribunal Suprême Électoral est parvenu à invalider l’alliance de Bukele avec le parti de centre-gauche Cambio Democrático.

Ce parcours et ces difficultés ont permis au jeune candidat de concentrer sa campagne sur une image, celle d’un homme contre le système, et sur un slogan : lutter contre « les mêmes de toujours » (« los mismos de siempre »). Bukele a profité du mécontentement général à l’égard des deux partis majoritaires pour les désigner comme les coupables des maux du pays. Un discours qui a beaucoup plu à la jeunesse salvadorienne. Sans jamais choisir une idéologie, sa campagne, qui s’est essentiellement déroulée sur les réseaux sociaux, a consisté à s’opposer au système politique traditionnel. Ce dernier est en effet le grand perdant de l’élection : Carlos Calleja (ARENA), deuxième, a reçu 31,72 % des voix et Hugo Martinez (FMLN) n’a obtenu que 14,41 % des voix contre les 53,10 % de Bukele. Calleja et Martinez ont souffert notamment du poids de leur parti respectif, chacun empêtré dans d’importantes affaires de corruption.

Si le parti, par défaut, de Bukele est lui aussi grandement accusé de corruption, le candidat a déjà été soupçonné de conflit d’intérêts durant son mandat de maire de San Salvador. La corruption reste un des problèmes centraux du Salvador qui est un des pays les plus pauvres et les plus violents du continent américain. Réduire le taux d’homicides et augmenter la richesse des Salvadoriens seront les grands défis qui attendent Nayib Bukele.

Perspectives :

  • Plus de 2,5 millions d’électeurs se sont abstenus d’aller voter dans un pays d’un peu plus de 6 millions de personnes, déçus par les partis historiques qui n’ont pas réussi à endiguer la violence des gangs. Bukele est très isolé ; les prochaines élections législatives auront lieu dans deux ans. Officiellement, à l’Assemblée, ses alliés ne sont que les dix députés GANA. Mais ce parti n’a été qu’un moyen de transport pour arriver à la fonction présidentielle ; lors de son discours de victoire, Bukele n’a fait que rappeler les chiffres de sa victoire en répétant qu’il avait bel et bien battu tout le monde.
  • Le bilan de Bukele en tant que maire de San Salvador a été plutôt positif, notamment au niveau de l’aménagement de la ville. Il a réussi à reprendre le contrôle du centre historique de la capitale, miné auparavant par les gangs, pour le moderniser et le rendre vivable. Si cette gestion et ses résultats sont prometteurs, les moyens mis en œuvre restent polémiques ; comme les hommes politiques qu’ils dénoncent, Bukele aurait lui aussi payé les gangs pour avoir leur soutien.
  • Le Salvador de Sánchez Cerén est un des rares pays à encore soutenir le Nicaragua d’Ortega et le Venezuela de Maduro. Ayant pris ses distances avec l’idéologie du FMLN, Bukele condamnera sans doute ces deux gouvernements latino-américains sur la scène régionale.

Sources  :

  1. GARCIA Jacobo, El “tsunami Bukele” arrasa en El Salvador y se convierte en el presidente más joven, El Pais, 4 février 2019.
  2. MARTINEZ Carlos, Nayib Bukele consuma su revolución, El Faro, 4 février 2019.
  3. VALENCIA Roberto, Nayib Bukele, la incógnita de El Salvador, The New York Times, 25 janvier 2019.

Florent Zemmouche