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En décembre 2024, Donald Trump postait le message suivant sur son réseau social TruthSocial  :

« Pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les États-Unis d’Amérique estiment que la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue. » 1

Dans une série d’observations publiées le jour de Noël, Trump évoquait l’achat potentiel du Groenland, la reprise du contrôle du canal de Panama et l’encouragement du Canada à devenir le 51e État des États-Unis. À première vue, les messages de TruthSocial pouvaient sembler à la fois fantaisistes et tout à fait conformes à l’image d’un président qui prend plaisir à être un « perturbateur en chef ». L’offre d’achat du Groenland rappelle un précédent commentaire de 2019, qui avait à l’époque amené la Première ministre danoise Mette Frederiksen à le qualifier de « discussion absurde » 2. En réponse directe à cette rebuffade, Trump avait retiré son accord pour une visite d’État au Danemark, même si la dirigeante danoise s’était efforcée de mettre l’accent l’importance des relations entre le Danemark et les États-Unis, y compris les préoccupations communes en matière de sécurité au Groenland.

Mais comme sur d’autres questions d’économie et de sécurité étrangères, Donald Trump a une façon de formuler les problèmes qui capte l’attention du public. S’il peut sembler un peu hasardeux de lier le canal de Panama, le Groenland et le Canada, il existe en réalité une logique géopolitique sous-jacente à ces revendications. 

Le canal de Panama, ouvert en 1914, est confronté à la sécheresse et a connu une baisse des transits de navires. Les usagers se sont plaints de retards et de restrictions. Donald Trump a accusé le gouvernement panaméen « d’arnaquer » les opérateurs américains et a même suggéré que des militaires chinois pourraient y être stationnés. Le Panama a réfuté toutes ces allégations. Mais cela donne lieu à une réflexion assez troublante. Trump pense-t-il — comme Poutine dans le cas de la Crimée et du transfert de la Russie à l’Ukraine dans les années 1950 — que la fin de la zone du canal de Panama contrôlée par les États-Unis en 1979 était une erreur monumentale qui devait être corrigée ? 3 La déclaration qu’il a faite en janvier lors de sa conférence de presse à Mar-a-Lago était claire quant à l’ampleur de l’erreur elle-même 4. Trump s’est également plaint par le passé que le Canada ne dépensait pas suffisamment pour la sécurité et la défense nationales. Le Canada n’est toutefois pas le seul partenaire de l’OTAN à faire l’objet de telles critiques : comme le Danemark, il aurait, selon les termes de Trump, été « délinquant » lorsqu’il s’est agi d’engager au moins 2 % de son PIB dans les dépenses de défense.

Pris ensemble, il est donc parfaitement possible de construire l’idée selon laquelle une voie navigable stratégique (le canal de Panama) pourrait devenir moins fiable au fil du temps et que les options alternatives dans et autour de l’Arctique pourraient devenir de plus en plus importantes. Comme l’a expliqué l’ancien conseiller à la sécurité nationale de la première administration Trump, Robert O’Brien, sur Fox News en décembre 2024, le Groenland est « une autoroute de l’Arctique jusqu’à l’Amérique du Nord » 5. O’Brien a également émis l’hypothèse que la deuxième administration Trump s’attendrait à bénéficier d’avantages économiques et de ressources supplémentaires si elle devait intervenir pour « défendre » le Groenland contre des tiers tels que la Chine. Comme l’a fait remarquer O’Brien, toujours sur le thème de l’importance stratégique de l’île, « le Groenland n’est pas un pays comme les autres » :

« Les Danois doivent mettre en place les frégates nécessaires, les escadres aériennes et les missiles au Groenland, ainsi que l’infanterie nécessaire pour défendre l’île. …. S’ils ne veulent pas faire l’une ou l’autre de ces choses, ils peuvent nous laisser acheter le Groenland, qui fera alors partie de l’Alaska. Les autochtones du Groenland sont très proches des habitants de l’Alaska. » 6

La région arctique est très différente de celle sur laquelle Trump et son équipe avaient pu être briefés à partir de janvier 2017.

Cinq éléments ressortent de ce qui a changé entre la première et la deuxième administration Trump. Le premier est tout simplement le retour du projet géopolitique du président Trump — « L’Amérique d’abord ». Deuxièmement, dans un contexte plus lié à l’Arctique, la forme de la gouvernance de la région s’est transformée en profondeur au cours des années Biden. Le troisième point est l’intensification de l’alliance stratégique entre la Chine et la Russie, avec des ramifications polaires et ultra-polaires significatives. Le quatrième aspect est la relation dynamique et très sensible entre le Danemark et le Groenland, et la question de savoir si Trump a raison de soupçonner qu’il y aurait un deal à passer à un moment donné — en notant que les États-Unis sont un important fournisseur de sécurité pour le Groenland et le Danemark depuis 1951. Enfin, l’importance stratégique et en termes de ressources du Groenland s’est accrue, et de nouveaux acteurs tels que Starlink, le réseau de satellites d’Elon Musk, contribuent sans doute à mieux connecter la plus grande île du monde au reste du globe.

Trump et la sécurité hémisphérique

Du point de vue de la poursuite des intérêts stratégiques des États-Unis, la première administration Trump s’était concentrée sur trois domaines principaux : la domination énergétique, la confrontation avec la Chine comme principal défi géoéconomique et géopolitique pour Washington et la critique à l’encontre des alliés de l’OTAN qui ne dépenseraient pas suffisamment pour la défense et la sécurité. Comme l’ont noté de nombreux observateurs, la première administration a également été caractérisée par une imprévisibilité récurrente et une politique de la corde raide, conduisant les États-Unis à revenir sur des engagements antérieurs tels que l’Accord de Paris et le traité Ciel ouvert, au profit d’un engagement plus général visant à faire passer « l’Amérique d’abord » sous tous les prétextes 7.

Pour le deuxième mandat Trump, il est très probable que des régions spécifiques telles que l’Arctique soient comprises dans une matrice plus large de préoccupations alors que les États-Unis évoluent dans un monde où la Chine, la Russie et une multitude d’autres pays tels que l’Iran, la Corée du Nord, le Brésil et l’Afrique du Sud travaillent les uns avec les autres sur une gamme de projets commerciaux, de ressources et de sécurité. La Chine, l’Indonésie et le Brésil sont par exemple tous trois d’importants producteurs et raffineurs de minéraux essentiels tels que le cobalt, le nickel et le lithium.

Mais lorsque Trump parle d’acquérir le Groenland, rebaptise le golfe du Mexique « golfe d’Amérique » et rêve de prendre le contrôle du canal de Panama, il parle directement d’une préoccupation pour la sécurité de « l’hémisphère occidental » 8.

L’acquisition du Groenland pourrait avoir pour but d’empêcher définitivement la Chine de prendre pied dans l’Arctique nord-américain. 

Klaus Dodds

Le fondement de la puissance américaine actuelle et future dépend donc du maintien de la domination énergétique, de l’investissement dans la défense et du maintien d’une forme de bastion dans l’hémisphère occidental. En effet, l’offre d’achat du Groenland révèle fondamentalement la crainte que les États-Unis ne soient pas en mesure de contenir la Chine et ses projets d’accroître sa domination en Asie de l’Est (y compris à Taïwan) et au-delà. Si cela se concrétise, les États-Unis ne devraient pas compter sur des alliés plus petits et plus faibles comme le Danemark et le Canada — et d’autres comme le Panama — pour défendre les intérêts de Washington et de l’OTAN. Trump a été direct dans son évaluation des deux, et continuera à l’être pendant son mandat. Si tout cela se vérifie, il semblerait alors « logique » que l’on se penche à nouveau sur la sécurité opérationnelle des voies de navigation et des passages maritimes essentiels — le passage du Nord-Ouest, le canal de Panama et, plus au sud, le passage de Drake.

Si l’on ne peut pas compter sur certains alliés régionaux — qui ont déjà été menacés sur le plan économique — d’autres, comme les partenaires des Five Eyes dont l’Australie et le Royaume-Uni, prendront une importance accrue eu égard à ce qu’ils peuvent offrir dans l’Arctique européen, le Pacifique occidental et l’Atlantique Sud. 

Dans l’Arctique nord-américain, Donald Trump hérite d’une situation où la position des États-Unis en tant qu’État côtier est incontestée. Bien qu’ils ne soient pas officiellement parties à la CNUDM, les États-Unis ont établi ce qu’ils estiment être leurs droits souverains sur le plateau continental étendu de l’Alaska. L’acquisition du Groenland pourrait ainsi avoir pour but d’empêcher définitivement la Chine de prendre pied dans l’Arctique nord-américain. Cette démarche semblerait d’autant plus opportune que la quête de puissance de Pékin ne se dément pas. Donald Trump a sans doute entendu que l’Arctique « fond », inexorablement — y compris la calotte glaciaire du Groenland. Bien qu’il n’y ait pas de corrélation simple entre la fonte, l’accès et l’exploitation, cela alimente l’idée que d’autres chercheront à tirer parti de cette situation. L’accès potentiel aux terres rares au Groenland offrirait par ailleurs des avantages supplémentaires compte tenu de la décision de la Chine, à partir de 2023, de restreindre l’exportation de ces minéraux face aux tensions commerciales croissantes avec les États-Unis 9.

Ce que tout cela signifie pour la question arctique — et le Groenland en particulier — doit être soigneusement élucidé par les États-Unis.

Une lecture provocatrice de la saga groenlandaise de Trump consisterait à dire qu’il s’agit là tout simplement de ce que font les grandes puissances. Les commentaires de Donald Trump sur le Panama sont intervenus à un moment où les commentaires russes sur la vente « malencontreuse » de l’Alaska en 1867 n’avaient pas non plus manqué. Certains propagandistes de Poutine demandent que l’Alaska soit restitué à la Fédération de Russie, ainsi que d’autres territoires, dont la Finlande et les États baltes 10

L’achat et la vente de territoires arctiques ont d’ailleurs une longue histoire au XXe siècle : à la fin des années 1920, une société minière soviétique a acheté Barentsburg et Pyramiden à d’autres sociétés minières européennes. Au XXIe siècle, des investisseurs chinois ont tenté à deux reprises d’acheter des terres privées au Svalbard 11. Ces deux tentatives ont été bloquées par la Norvège, puissance souveraine, de même que d’autres projets d’achat et d’investissement impliquant des entreprises chinoises ont été bloqués en Islande et en Finlande. Si l’offre de Trump d’acheter le Groenland suscite un certain émoi, le marchandage de territoires dans l’Arctique n’est pas une nouveauté en soi.

Toujours est-il que les gouvernements du Danemark et du Groenland vont se trouver dans une position très difficile dans un avenir proche.

Ce que Trump a fait jusqu’à présent s’aligne avec les intérêts de Poutine : il a creusé un fossé entre les alliés de l’OTAN et a même poussé la France à déclarer publiquement que les frontières du Groenland seraient défendues si Trump procédait à une action militaire 12. Une option immédiate pour le Groenland serait de demander à réintégrer l’Union et de rechercher des mesures supplémentaires de sécurité économique et politique collective. Copenhague ne dispose manifestement pas de ressources suffisantes pour rivaliser avec des États-Unis voraces qui, comme nous l’avons vu, souhaitent s’assurer qu’un Groenland indépendant ne tombe pas sous le charme économique de la Chine. Au moment même où le roi du Danemark modifiait les armoiries royales pour faire signe vers le Groenland, Donald Trump Jr. se rendait à Nuuk quelques jours avant l’investiture présidentielle de son père. Quoi de plus provocateur que de poser avec son entourage devant la statue du premier colonisateur du Groenland, le missionnaire dano-norvégien Hans Egede, à Nuuk ? 13

Le président Trump ne s’inquiétera pas outre mesure de contrarier les dirigeants politiques groenlandais et danois. Il espère peut-être même creuser un fossé entre les Groenlandais « mécontents » et les Danois « rancuniers » qui contribuent à la dotation globale annuelle de 500 millions d’euros accordée au Groenland.

Trump a creusé un fossé entre les alliés de l’OTAN et a même poussé la France à déclarer publiquement que les frontières du Groenland seraient défendues si Trump procédait à une action militaire.

Klaus Dodds

La gouvernance de l’Arctique après l’invasion massive de l’Ukraine

En 2024, des publications telles que le New Yorker, Spiked, le Pulitzer Center, Forbes et The Economist ont toutes mis en garde contre une escalade, un conflit et une crise dans la région arctique. Pour ne prendre qu’un seul exemple, Politico affirmait en septembre 2024 que « La Russie est ‘tout à fait prête’ pour une guerre avec l’OTAN dans l’Arctique » 14.

Comment en sommes-nous arrivés là ? 

Il s’agit d’une conséquence directe mais involontaire de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie. Peu après le début de l’invasion, sept États de l’Arctique (Canada, Danemark/Groenland, Finlande, Islande, Norvège, Suède et États-Unis) ont en effet décidé de « mettre en pause » le Conseil de l’Arctique.

Créé en 1996, il s’agit du principal forum intergouvernemental pour les affaires arctiques, dont la Russie, le plus grand État de l’Arctique, est l’un des principaux participants. Entre février 2022 et mai 2023, la diplomatie arctique et les relations interétatiques ont donc été gravement perturbées par les conséquences de la guerre menée par la Russie de Poutine en Ukraine. Bien qu’elle ne soit pas directement liée à l’Arctique, la décision de la Fédération de Russie de lancer une invasion à grande échelle a entraîné une rupture spectaculaire et presque immédiate de la confiance politique. L’invasion a coïncidé avec la présidence russe du Conseil de l’Arctique (2021-2023), et le dialogue et l’engagement partiels avec la Russie n’ont pas repris avant que la Norvège ne prenne la présidence en mai 2023.

Pour beaucoup, cette interruption des activités signifiait la fin de l’exceptionnalisme arctique 15.

L’Arctique était en effet considéré jusque là comme une zone de coopération circumpolaire dans des domaines d’intérêt commun tels que le développement durable et la protection de l’environnement, avec la conviction partagée que ces préoccupations communes permettraient de tenir à distance les questions de sécurité et de défense nationales qui sèment la discorde. Dès le départ, le Conseil de l’Arctique a délibérément exclu les affaires militaires et de sécurité. Avant l’invasion de 2022, il n’y avait pas de différends territoriaux en suspens dans l’Arctique et les États de la région respectaient les cadres juridiques internationaux établis, tels que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. L’accord conclu en 2010 entre la Norvège et la Russie sur leur frontière maritime commune dans la mer de Barents a constitué un point d’orgue diplomatique. Ailleurs, le Canada, le Danemark/Groenland et la Russie ont tous poursuivi leurs propres engagements en matière de délimitation du plateau continental externe. 

L’extension de ces droits souverains sur les fonds marins de l’océan Arctique étant l’objectif ultime, le président élu Trump a sans doute été informé que la Russie était en bonne position pour étendre, en toute légitimité, ces droits souverains sur la base des « recommandations » officielles de l’organe officiel des Nations unies chargé de ces questions, la Commission des limites du plateau continental, en février 2023 16. Mais la délimitation finale du plateau continental russe devra attendre que la Commission fasse des recommandations au Canada et au Groenland/Danemark, et les trois parties devront alors négocier entre elles pour finaliser leurs revendications mutuelles sur les fonds marins. Ce processus de diplomatie et de négociation intergouvernementales est important car la Commission n’est qu’un organe scientifique et technique. Elle n’a pas de personnalité juridique.

Avant l’invasion de 2022, il n’y avait pas de différends territoriaux en suspens dans l’Arctique et les États de la région respectaient les cadres juridiques internationaux établis

Klaus Dodds

Malgré l’engagement formel de la Russie en faveur de la Convention sur le droit de la mer, les États-Unis ont commencé à s’inquiéter après l’invasion et l’imposition de sanctions à l’encontre de la Russie. En mars 2024, un représentant russe auprès de l’Autorité internationale des fonds marins, un autre organe des Nations unies, a annoncé que Moscou ne reconnaîtrait pas la déclaration américaine de décembre 2023 concernant son plateau continental étendu. La Russie, qui n’est pas partie à la CNUDM, a quant à elle fait valoir que les États-Unis ne pouvaient pas choisir les éléments de la CNUDM qu’ils approuveraient en tant que droit international coutumier. La déclaration sur le plateau continental étendu comprenait des détails concernant l’Alaska et, bien qu’elle ne recouvre pas le plateau continental arctique de la Russie, la décision de rejeter publiquement la position des États-Unis intervient à un moment où des appels ont été lancés en Russie pour que Moscou abandonne la convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Alors que la Russie a également exhorté les États-Unis à adopter la CNUDM au Sénat, plus Washington tardera à la ratifier officiellement, plus Moscou pourra dénoncer la politique de deux poids deux mesures des États-Unis lorsqu’il s’agit de s’engager dans des cadres juridiques internationaux 17.

La gouvernance de l’Arctique se trouve donc à la croisée des chemins. Lorsque la Norvège a pris la présidence du Conseil de l’Arctique en mai 2023, elle a insisté sur le fait que les parties devraient trouver des moyens de garantir que l’arrêt du dialogue politique ne conduise pas à une rupture totale des relations entre la Russie et les sept autres États de l’Arctique (A7). L’arrêt des réunions au niveau des hauts fonctionnaires de l’Arctique a été vivement ressenti, car il s’agissait d’une plateforme régulière pour un engagement politique de haut niveau avec les huit États de l’Arctique. En guise de contre-mesure, la Norvège a organisé de nombreux événements pour dialoguer avec les représentants russes, les peuples autochtones et les observateurs du Conseil de l’Arctique, y compris des États européens et asiatiques tels que l’Allemagne, la Chine et le Royaume-Uni. Les conférences annuelles telles que l’Assemblée de l’Arctique et Arctic Frontiers ont pris une importance exagérée, en l’absence de réunions au niveau politique avec la Russie. Plus généralement, 2024 a révélé une remise en question plus critique du fonctionnement des forums internationaux tels que le Conseil de l’Arctique et a permis de déterminer si sa structure tripartite — État de l’Arctique, participants permanents (organisations de peuples autochtones) et observateurs (étatiques et non étatiques) — reflétait de manière adéquate l’évolution des circonstances. En d’autres termes, la rupture des relations avec la Russie au niveau politique et diplomatique a offert à d’autres une opportunité de mobiliser des visions alternatives. En juillet 2024, le Conseil circumpolaire inuit (CCI), participant permanent, a publié une déclaration appelant toutes les parties à sauvegarder le Conseil de l’Arctique :

« Remplacer le symbolisme par une participation pleine et effective et un engagement significatif des peuples autochtones dans l’ensemble du Conseil de l’Arctique. »

La participation d’un ou deux experts autochtones « symboliques » à un processus scientifique essentiellement occidental ne fonctionne pas. Dans un groupe de travail, par exemple, après quatre ans d’engagement et de participation, deux experts autochtones ont mis fin à leur participation parce que leurs points de vue et leurs connaissances étaient systématiquement ignorés 18.

En effet, la déclaration et les recommandations affirment que le Conseil de l’Arctique a la possibilité de se réorienter après l’impasse avec la Russie, et que des changements sont nécessaires pour réaliser son ambition initiale. L’observation ci-dessus concernant un groupe de travail est particulièrement poignante : jusqu’à présent, les défenseurs du Conseil de l’Arctique avaient fait l’éloge des réalisations et de la culture d’engagement qui prévaut au sein des six principaux groupes de travail scientifiques 19.

Si le CCI a été assez habile pour comprendre qu’il ne faut jamais gaspiller une crise, la Russie l’a été tout autant. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a affirmé que ce qui était nécessaire dans l’ère post-2022 était un « dialogue civilisé » sur l’avenir de l’Arctique. 

En mai 2023, Lavrov a prononcé un discours vidéo lors de la phase finale de la présidence de la Fédération au Conseil de l’Arctique (2021-2023), dans lequel il a affirmé que l’efficacité des travaux futurs dépendrait de la volonté de toutes les parties de « poursuivre un dialogue civilisé afin de préserver l’Arctique en tant que territoire de paix, de stabilité et de coopération constructive » 20. Il affirmait notamment que le blocage affectant le Conseil de l’Arctique était entièrement dû au fait que d’autres États de l’Arctique avaient réagi de manière excessive à la « situation en Ukraine » et s’étaient empressés de politiser les affaires du Conseil de l’Arctique. L’ambassadeur russe pour l’Arctique de l’époque, Nikolay Korshunov, a confirmé cette approche qui semblait rejeter la responsabilité sur les autres États de l’Arctique pour avoir utilisé l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine comme une occasion de suspendre les travaux « normaux » du Conseil 21. La réaction russe a clairement montré que Moscou a exercé de nouvelles pressions sur la Norvège, qui exerce désormais la présidence, pour qu’elle rétablisse le Conseil de l’Arctique d’ici mai 2025. Si cela ne se concrétisait pas, Moscou se réservait le droit de développer d’autres opportunités avec des tiers, en particulier les BRICS. Une décision fondamentalement prise après 2014 à la suite des sanctions imposées par l’Union et les États-Unis après l’annexion illégale de la Crimée.

La Russie s’est montrée très critique à l’égard de la manière dont les autres États de l’Arctique ont rapidement utilisé les conséquences de « l’opération militaire spéciale » pour rompre tout engagement politique avec la Russie et le Conseil de l’Arctique. Sergueï Lavrov n’a pas mâché ses mots lorsqu’il s’est agi de déterminer qui était responsable du malaise actuel, exacerbé par le fait que la Finlande (2023) et la Suède (2024) sont désormais membres de l’OTAN. Comme il l’a indiqué dans un entretien publié par le ministère russe des Affaires étrangères en septembre 2024 :

« Dans la pratique, cependant, nos collègues de l’OTAN tournent de plus en plus souvent leur regard vers la région arctique (cela a commencé bien avant l’opération militaire spéciale), déclarant que l’Alliance de l’Atlantique Nord a également des intérêts dans cette région en raison de sa situation géographique. Ils affirment que la Norvège est membre de l’OTAN depuis sa création et que, par conséquent, ils doivent également garder un œil sur les développements dans la région. Actuellement, cette attitude se manifeste également dans d’autres régions. Les affirmations du bloc selon lesquelles il s’agirait d’une alliance purement défensive, préoccupée uniquement par la défense du territoire des pays membres, viennent tout droit du diable. » 22

Bien que Sergueï Lavrov n’ait pas défini ce qu’il entent par « dialogue civilisé », il semblerait raisonnable de conclure qu’il inclurait la liste des « pays amis » de Moscou — des alliés et des neutres qui n’ont pas critiqué publiquement l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie 23.

Dans l’ère post-Crimée, on avait assisté à une tentative concertée de développer un réseau de « pays connecteurs » prêts à faire des affaires économiques et diplomatiques avec la Fédération de Russie — inaugurant une nouvelle ère de « géopolitique des États pivots » 24. Ces pays ont aidé la Russie à contourner certains des effets directs des sanctions et de la position de paria de Moscou. Surtout, ils ont contribué en partie à la détermination de la Fédération de Russie à normaliser l’annexion et l’invasion illégale. Lors d’une conférence de presse de fin d’année à Moscou, un journaliste de la BBC de décembre 2024 notait que « Poutine est apparu devant un grand écran bleu arborant une carte de la Fédération de Russie, avec les parties annexées de l’Ukraine » 25. Les États de l’Arctique savent qu’il n’y a aucune chance que la Russie renonce aux territoires annexés de Crimée et à tout ce qui a été capturé et occupé dans l’est de l’Ukraine. Quelle que soit l’issue du conflit ukrainien et les dommages causés à la Russie, il y aura plus qu’un soupçon persistant que la Russie pourrait orienter ses forces militaires ailleurs dans la région Baltique-Arctique au sens large. 

Ce malaise post-invasion a également affecté les organisations régionales au-delà du Conseil de l’Arctique.

En septembre 2023, la Russie a annoncé son retrait du Conseil euro-arctique de Barents (BEAC) 26. Créé en 1993, le BEAC a joué un rôle important en cultivant la collaboration transfrontalière sur des questions d’importance commune, notamment l’éducation, la collaboration avec les peuples autochtones, les échanges culturels et l’engagement commercial. En règle générale, la déclaration russe annonçant son désengagement reproche aux autres partenaires, dont la Finlande, le Danemark, la Norvège et l’Union, d’être à l’origine de la rupture des relations. La Russie poursuivra un « dialogue civilisé » avec les autres. Il est probable qu’elle cherchera à intensifier ses relations avec les partenaires des BRICS+. Le projet de la Russie de créer une opportunité équivalente — un complexe scientifique — pour les partenaires BRICS+ dans le Pyramidien au Svalbard n’est qu’une illustration de cette stratégie 27. Cette évolution devrait restreindre davantage l’accès à l’Arctique russe pour les scientifiques occidentaux désireux de continuer à travailler avec leurs homologues sur la surveillance environnementale à long terme et le partage d’informations avec la moitié russe de la région arctique.

Tel est le contexte complexe et enchevêtré auquel la seconde administration Trump doit faire face.

Elle ne se soucie probablement pas du Conseil de l’Arctique. Et même pour ceux qui s’intéressent au Conseil, la réalité est que les questions de défense et de sécurité l’emportent sur la science, la protection de l’environnement et le développement durable. Pour les partenaires européens de l’OTAN, les semaines et les mois à venir devraient charrier de nouveaux défis dans un arc de crises potentielles qui s’étend du Svalbard, dans le Grand Nord, à la région de l’Atlantique Nord et de la mer Baltique. Des rapports ont récemment fait état d’une série d’incidents allant du sabotage de câbles sous-marins aux violations de zones aériennes, en passant par le brouillage de GPS et les conflits liés à la pêche. Les infrastructures énergétiques offshore pourraient bientôt faire l’objet d’une ingérence agressive de la part de tiers. La Russie redouble d’efforts pour définir les « États inamicaux », parmi lesquels figurent la plupart des membres fondateurs du Conseil de l’Arctique. Le commandant en chef de la marine russe, l’amiral Aleksandr Moiseev, a déclaré en décembre 2024 : « Outre les mesures politiques et économiques visant à contenir la Russie dans l’Arctique, les États inamicaux renforcent leur présence militaire dans la région… La situation politico-militaire dans la région se caractérise par une augmentation du potentiel de conflit liée à l’intensification de la rivalité entre les principaux États pour l’accès aux ressources de l’océan Arctique, ainsi qu’à l’établissement d’un contrôle sur les communications maritimes et aériennes stratégiques » 28. Les commentaires de l’amiral, notamment, n’ont pas réfléchi à comment ni pourquoi la Russie aurait pu contribuer à ce potentiel de conflit et à cette rivalité.

Les semaines et les mois à venir devraient charrier de nouveaux défis dans un arc de crises potentielles qui s’étend du Svalbard, dans le Grand Nord, à la région de l’Atlantique Nord et de la mer Baltique.

Klaus Dodds

La connexion polaire Chine-Russie

La Chine se considère elle aussi comme une puissance polaire.

En 2013, elle a été reconnue comme État observateur au sein du Conseil de l’Arctique, aux côtés d’autres États asiatiques tels que le Japon et la Corée du Sud. Depuis 2018, Pékin se définit comme un État « proche de l’Arctique », ce qui avait alors suscité l’ire de l’ancien secrétaire d’État, Mike Pompeo. 

En mai 2019, Pompeo avait publiquement rejeté cette catégorisation et clairement indiqué que l’administration Trump était prête à « fortifier la présence de l’Amérique » » dans la région arctique 29. À l’époque, des inquiétudes avaient été exprimées sur le fait que le Groenland pourrait être vulnérable à l’intérêt croissant de la Chine pour l’île. En juin 2019, la société chinoise China Communications Construction Company a retiré son offre d’investissement et de développement de deux aéroports groenlandais 30. En 2024, une nouvelle piste d’atterrissage de l’aéroport de Nuuk a été inaugurée et, grâce à l’investissement dans un nouveau terminal, l’aéroport peut désormais accueillir des vols transatlantiques directs en provenance des États-Unis et de l’Europe. En janvier 2025, c’est cette piste qui a permis à Donald Trump Jr. et à son entourage de prendre un avion « Trump » et de faire une visite impromptue à Nuuk. Il est important de noter que ce projet a été financé par un accord de prêt avec la Banque nordique d’investissement (NIB), ce qui garantit l’indépendance par rapport aux prêts et aux investissements chinois. Le financement de la NIB devrait permettre de moderniser deux autres aéroports sur l’île d’ici 2026 31. Enfin, United Airlines prévoit de lancer un nouveau service direct à partir de Newark en juin 2025.

On ne saurait trop insister sur le calendrier et l’importance de cet investissement aéroportuaire.

Alors que les investissements chinois dans les infrastructures groenlandaises ont été bloqués à la fois par Copenhague et Washington, la Chine continue de jouer un rôle central en tant qu’investisseur et connecteur en Russie. Elle est devenue un investisseur majeur dans les projets énergétiques et maritimes russes dans la zone arctique de la Fédération de Russie (AZRF). Sous la bannière d’une amitié « sans limites », cette relation entre Moscou et Pékin existait avant l’annexion illégale de la Crimée. Depuis 2013, la China National Petroleum Corporation a acheté 20 % du projet russe de traitement du GNL Yamal. Le changement stratégique de l’orientation de Moscou était une progression logique après que les précédentes ouvertures d’investissement chinois au Canada, au Groenland et dans les pays nordiques ont échoué ou ont été bloquées pour des raisons de sécurité nationale. En 2017, la société minière chinoise General Nice Group a abandonné son projet d’achat d’une base navale désaffectée au Groenland après que le Danemark et les États-Unis ont invoqué des problèmes de sécurité nationale 32.

La Chine est en passe d’être considérée à juste titre comme une « grande puissance polaire ».

Klaus Dodds

Les projets d’investissement de la Chine en Russie ont pris de l’importance au fur et à mesure que les sanctions contre la Russie s’intensifiaient.

Alors que les pays nordiques et le Canada se méfiaient des ambitions d’investissement de la Chine dans le Nord, la Russie s’est montrée plus conciliante. En réponse aux sanctions imposées par les États-Unis et l’Union, la Chine a dû veiller à ce que ces opportunités d’investissement produisent des dividendes économiques — tels que le gaz naturel à prix réduit et l’accès aux voies maritimes — tout en évitant de créer de nouvelles frictions avec les États-Unis. La Chine s’est engagée dans une série d’activités secrètes destinées à contourner les sanctions, et tout porte à croire que l’engagement chinois dans des projets tels que LNG 2 se poursuivra. La Chine a également collaboré avec la Russie par d’autres moyens. En juillet 2024, les deux pays ont mené des exercices aériens conjoints dans la zone d’identification de la défense aérienne de l’Alaska (ADIZ). C’est la première fois que les deux pays effectuent une patrouille aérienne conjointe à proximité de l’Alaska. En 2023, il avaient également effectué des patrouilles navales au large des côtes de l’Alaska 33.

La Chine est en passe d’être considérée à juste titre comme une « grande puissance polaire ». En octobre 2024, Pékin a annoncé que ses garde-côtes avaient pénétré pour la première fois dans l’océan Arctique 34. Le pays jouit d’une réputation scientifique croissante en matière de recherche polaire et dispose d’une infrastructure polaire qui comprend désormais trois brise-glaces pleinement opérationnels. Un quatrième brise-glace sera dévoilé en 2025 ou 2026 et, en décembre 2024, la Chine a pris possession d’un nouveau navire de recherche et d’archéologie multifonctionnel en haute mer appelé Tan Suo San Haow 35.

La flotte chinoise de pêche lointaine est la plus importante au monde et elle sera probablement l’une des premières à explorer le potentiel de pêche dans l’océan Arctique central. Dans les commentaires en langue chinoise, l’Arctique est présenté comme une « frontière stratégique » plutôt que comme une région composée de territoires autochtones et de huit États arctiques. La Chine restera un investisseur majeur dans les projets russes d’énergie et d’infrastructure et a travaillé avec les différentes parties de l’Arctique pour créer des entités régionales, telles que le Forum arctique Chine-Russie. Un dilemme stratégique majeur pour une Russie économiquement affaiblie est de savoir comment cultiver ces liens avec les partenaires des BRICS et les pays asiatiques voisins sans nourrir une inquiétude géopolitique de longue date quant à la vulnérabilité des espaces peu peuplés de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe. Le pivot économique et géopolitique de la Russie vers l’est et le sud, bien que stratégiquement compréhensible, façonnera inévitablement la capacité du pays à négocier et à gérer une série de parties prenantes externes.

Dans la quête de Pékin d’une grande puissance polaire, il n’est pas certain que le désir de la Russie d’un « dialogue civilisé » reste possible si les ambitions économiques et commerciales maritimes de la Chine franchissent les lignes rouges russes. L’une d’entre elles serait de continuer à considérer de vastes zones de l’océan Arctique comme une frontière commune ou stratégique à l’échelle mondiale. Le fait que la Chine considère la région arctique comme un « commun mondial » provoquera des frictions avec la Russie. Cela pourrait potentiellement conduire à une rupture de ce partenariat à l’avenir, en particulier si l’on s’inquiète à nouveau du resserrement de l’emprise économique de la Chine sur l’AZRF. Si Poutine et Xi affichent pour l’instant une amitié à toute épreuve, il n’en reste pas moins que Poutine et d’autres à Moscou sont profondément perturbés par le spectre d’un déclin à long terme provoqué par la diminution de la population, avec des dépenses croissantes aggravées par des perturbations écologiques de plus en plus graves telles que d’immenses incendies de forêt et le dégel du permafrost. Ailleurs, les limites internationales de la Russie sont considérées comme des frontières susceptibles d’être élargies en fonction des nouvelles opportunités stratégiques qui se présentent. Pour l’instant, l’accent est mis sur l’Ukraine. Demain, il pourrait être déplacé vers les États baltes, la Finlande, la Norvège et d’autres régions de l’ex-Union soviétique.

Le Danemark, le Groenland et les États-Unis

En juin 2020, la statue du missionnaire dano-norvégien et colonisateur Hans Egede (1686-1758) a été vandalisée par des manifestants dans la capitale groenlandaise de Nuuk. La statue et son socle ont été éclaboussés de peinture rouge et le mot « décoloniser » a été écrit à la peinture blanche. L’incident s’est produit le jour de la fête nationale du Groenland, le 21 juin. La fête nationale a été célébrée pour la toute première fois en 1983, mais en 2020, c’était la première fois que la statue, érigée en 1921, était prise pour cible de manière aussi directe. La tache rouge sur la statue rappelle à quel point le sentiment politique anticolonial influence la culture politique contemporaine de l’île. 

Les jeunes Groenlandais ont plus d’affinités avec la Norvège qu’avec la métropole de Copenhague et les mœurs danoises. Si les habitants de Nuuk sont généralement divisés au sujet de la statue, la jeune génération est déterminée à ce que la relation du Groenland avec le Danemark soit « décolonisée » à un moment ou à un autre. Il convient de rappeler que ce n’est que depuis très récemment que les jeunes Groenlandais peuvent terminer leur scolarité sur l’île au lieu d’être envoyés dans des lycées au Danemark.

La connectivité et la résilience de l’Internet au Groenland seront une source d’intérêt permanent pour l’administration Trump. L’une des raisons en est que l’accès au service Starlink d’Elon Musk est actuellement illégal au Groenland

Klaus Dodds

Toutes ces raisons font que l’image de Donald Trump Jr. devant cette statue en janvier 2025 a été plus que troublante. Mais la statue dégradée de Hans Egede rappelle aussi que le peuple groenlandais est intimement conscient des calculs géopolitiques des autres. 

Un an plus tôt, comme nous l’avons vu, le Groenland avait fait la une des journaux lorsque l’ancien président Donald Trump a fait quelques remarques sur l’achat de la plus grande île du monde. Ce n’était pas la première fois que les États-Unis proposaient d’en devenir propriétaires. En 1946, le président Harry Truman en avait offert 100 millions de dollars en or. La raison de cette offre était tout simplement économique et géostratégique. En 1946, le Danemark avait décliné l’offre de Truman. Cette année, la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, a très publiquement rejeté l’offre de Trump. En 2019, le gouvernement du Groenland avait également rejeté l’approche présidentielle. C’est un rappel que le Groenland est un endroit très différent de ce que Truman et ses conseillers pensaient connaître et considéraient comme un « porte-avions insubmersible ».

En 2009, à la suite d’un référendum historique, le groenlandais a remplacé le danois comme langue officielle. Le peuple groenlandais peut désormais accéder à tout moment à l’indépendance s’il le souhaite, sous réserve d’un nouveau référendum. Le gouvernement du Groenland a des représentants dans plusieurs capitales européennes ainsi qu’à Washington. L’indépendance n’est pas une priorité immédiate pour la plupart ses 56 000 habitants, mais les électeurs du pays savent que les ressources de l’île, le poisson, les crevettes et les minéraux tels que l’uranium, les rubis et les terres rares suscitent un intérêt considérable. Lors des élections groenlandaises de 2021, le parti vainqueur — le parti démocratique-socialiste Inuit Ataqatigiit — s’est présenté avec le mandat de mettre fin à un projet minier controversé dans le sud du pays.

L’exploitation minière continue de diviser : alors que certains considèrent l’extraction minière — y compris d’éventuels forages pétroliers et gaziers en mer — comme faisant partie intégrante de l’indépendance future, d’autres craignent que les coûts environnementaux soient trop élevés pour un pays qui souhaite également se promouvoir sur la scène mondiale comme une destination touristique de « pleine nature ». Pour l’instant, sur le plan financier, la dotation globale annuelle — d’une valeur d’environ 530 millions d’euros — accordée par le gouvernement danois permet de financer la gouvernance civique et les services publics tels que l’éducation, la santé et la protection sociale.

En février 2024, le gouvernement a publié un document de politique étrangère, de sécurité et de défense. Cette doctrine est intitulée « Le Groenland dans le monde : rien sur nous sans nous » et exprime clairement les aspirations et les attentes du Groenland en matière de consultation et d’engagement. Elle renforce également une demande à long terme visant à garantir une marge de manœuvre toujours plus grande pour opérer indépendamment de Copenhague. D’un point de vue géographique, le Danemark ne serait pas un État arctique sans le Groenland : dans le cadre des accords de décentralisation au sein du Royaume du Danemark, le Groenland et les îles Féroé ont désormais la possibilité, en vertu de ce que l’on appelle des « accords d’autorisation », de s’engager dans des questions de politique étrangère, les implications de ces accords étant principalement axées sur ces parties spécifiques du Royaume danois. Le Danemark conserve toutefois des pouvoirs généraux pour mener la politique étrangère et de sécurité dans l’ensemble du Royaume. Ces dernières années, les hommes politiques groenlandais se sont montrés de plus en plus déterminés à remettre en question la camisole de force constitutionnelle à laquelle de nombreux habitants de Nuuk estiment que le Groenland est soumis.

La stratégie 2024 contient également des observations importantes en matière de défense. 

À la suite de l’invasion de l’Ukraine en 2022, les dirigeants politiques du Groenland ont exprimé leur soutien aux sanctions contre Moscou. Alors que les gouvernements groenlandais précédents avaient exprimé des réserves quant à une militarisation accrue de l’île — un point qui a été utilisé par les gouvernements danois précédents pour justifier leur investissement relativement modeste dans les capacités militaires de l’Arctique —, dans le contexte post-invasion, il a été reconnu publiquement qu’un investissement supplémentaire dans la sécurité et la surveillance était nécessaire. La stratégie indique que « le Groenland continuera à coopérer avec les autorités de défense du Danemark et des États-Unis, en partie de la manière la plus bénéfique pour maintenir une présence et des installations militaires au Groenland » 36. Elle propose également la création d’un nouveau forum politique appelé Forum nord-américain de l’Arctique et évoque la nécessité d’un engagement plus important avec l’Alaska et le Canada arctique en général. L’Union européenne est à peine mentionnée. La stratégie souligne à plusieurs reprises que toutes ces actions doivent être menées en tenant compte de la manière dont une présence militaire et économique renforcée pourrait bénéficier au peuple groenlandais.

Bien que l’actuel Premier ministre groenlandais, Múte Egede, ait clairement indiqué que le Groenland n’était pas « à vendre », les relations avec Copenhague sont difficiles. La langue, la culture et le statut de la famille royale pourraient devenir des sources de friction à l’avenir. Bien que la famille royale soit populaire, certains signes indiquent que les jeunes Groenlandais ne sont pas aussi épris d’elle que les habitants plus âgés 37. En mai 2023, il a d’ailleurs été largement rapporté que la députée groenlandaise Aki-Matilda Hoegh-Dam avait refusé de s’exprimer en danois lors d’un débat au parlement national à Copenhague, ce qui a suscité l’indignation de la ville. Un an plus tôt, l’ambassade des États-Unis à Copenhague avait lancé un appel à financement pour des recherches sur « l’identification du ‘symposium de désinformation’ au Groenland ». Cela pourrait être considéré comme un rappel prémonitoire du fait que les divisions sociales au sein du Royaume danois pourraient attirer des campagnes de désinformation de la part de tiers hostiles 38. La langue groenlandaise a rendu plus difficile l’infiltration par des tiers d’une interaction de réseau social groenlandais sur Facebook, mais une étude de 2024 a conclu que cela pourrait changer rapidement avec des modèles de langage d’IA améliorés. Les relations entre le Groenland et le Danemark sont les questions les plus susceptibles d’être exploitées à l’avenir par des acteurs malveillants, compte tenu des griefs historiques tels que l’assimilation forcée des enfants groenlandais dans les années 1950, et des travaux actuels sur un projet de constitution pour le Groenland 39.

Le message de Donald Trump concernant « l’achat » du Groenland intervient à un moment où le Danemark et le Groenland sont encore en train de chercher comment construire une relation respectueuse l’un avec l’autre.

Klaus Dodds

En décembre 2024, le gouvernement danois a confirmé un nouveau programme de défense pour le Groenland d’une valeur de 1,5 milliard de dollars 40. Une partie de l’investissement sera consacrée à la modernisation du Commandement de l’Arctique à Nuuk ainsi qu’à l’achat de nouveaux équipements — y compris des drones. Bien que le gouvernement danois ait tenu à souligner que le message du président Trump n’était qu’une coïncidence de calendrier, il a néanmoins mis en évidence la reconnaissance publique du fait que l’investissement historique de Copenhague dans la défense avait été trop faible. Le gouvernement danois actuel s’est efforcé d’exprimer non seulement sa solidarité avec le peuple ukrainien mais aussi de souligner la détérioration de la situation en matière de sécurité dans la mer Baltique, en Ukraine et dans la région arctique. En novembre 2024, le ministre danois de la défense s’est rendu au Groenland et s’est de nouveau entretenu avec son homologue groenlandais sur des questions d’intérêt mutuel 41.

Le message de Donald Trump concernant « l’achat » du Groenland intervient à un moment où le Danemark et le Groenland sont encore en train de chercher comment construire une relation respectueuse l’un avec l’autre. Le professeur Ebbe Volquardsen de l’Ilisimatusarfik, l’université du Groenland, a récemment expliqué que le Danemark se considérait comme un partenaire bienveillant, quoique dominant :

« Le Groenland, la dernière colonie restante, a été incorporé à l’État en tant que comté formellement égal en 1953. Paradoxalement, cependant, de nombreux Groenlandais ont vécu l’évolution suivante comme le véritable début de la domination coloniale : La politique danoise du Groenland dans les décennies d’après-guerre visait à assimiler la population indigène à un mode de vie européen et, comme on le disait parfois, à en faire des « Danois du Nord… ». La subvention annuelle d’un demi-milliard de dollars versée par le Danemark au budget du Groenland, qui maintient le pays dans la dépendance, a souvent été considérée comme un don altruiste. Ainsi, les demandes croissantes d’autonomie et de réparation des injustices subies par le Groenland pendant et après la période coloniale ont été interprétées au Danemark comme un manque de gratitude, ce qui a permis d’étouffer dans l’œuf de nombreuses discussions désagréables. » 42

La façon dont Nuuk et Copenhague s’engagent avec les États-Unis de Donald Trump pourrait révéler d’autres éléments sur l’avenir d’une île de 56 000 habitants — dont la grande majorité s’identifie comme Inuit. La stratégie 2024 du Groenland indique clairement que l’île fait partie de la masse continentale nord-américaine et qu’il y a un intérêt évident à assurer de bonnes relations économiques, culturelles et sécuritaires avec les voisins proches. Si la stratégie indique clairement que le peuple groenlandais souhaite un Arctique « à faible tension », il est conscient que le monde est aujourd’hui beaucoup moins sûr qu’il ne l’était au moment de la publication de la politique arctique du Royaume du Danemark (2011-2020) 43. Les Groenlandais, en particulier, reconnaissent que leur île suscite désormais beaucoup plus d’intérêt, car les « points chauds » de l’Arctique et les « batailles pour les territoires et les ressources » sont de plus en plus au centre des débats.

Que se passerait-il si Trump offrait à Nuuk l’équivalent d’un milliard d’euros par an ?

Klaus Dodds

En 2023, un diplomate groenlandais a accompagné la délégation danoise au quartier général de l’OTAN à Bruxelles 44. Comme l’a fait remarquer à l’époque Vivian Motzfeldt, ministre des affaires étrangères, des affaires et du commerce du Groenland, « il est également important que l’OTAN comprenne mieux les conditions particulières de notre région et de notre société, et se familiarise avec nos intérêts, nos valeurs et nos priorités ». La même année, les États-Unis ont accepté que le nom officiel de la base américaine au nord du Groenland soit changé de Thule Air Base à Pituffik Space Base. Au-delà du Groenland proprement dit, les États-Unis ont mené un exercice militaire appelé Northern Viking au cours de l’été 2024 — avec l’Islande et d’autres partenaires de l’OTAN, dont le Danemark et la Norvège —, dont l’objectif explicite était de se concentrer sur la défense des lignes de communication maritimes autour du « GIUK » 45. Tout cela met en évidence une demande clef du gouvernement du Groenland, à savoir que le Danemark et l’OTAN s’engagent directement avec eux, qu’il s’agisse des intérêts du Groenland sur terre, en mer ou dans l’espace.

Alors que l’administration Trump pourrait chercher à assouplir davantage l’accord de 1951, il est possible que les États-Unis exigent des droits et des responsabilités supplémentaires pour la défense et la sécurité mutuelles de l’île. Rien de tout cela ne serait incompatible avec cet accord, qui a lui-même été modifié au cours de la période écoulée (à partir de 1951) — tout cela sera désormais tempéré par l’obsession apparente du président Trump à l’égard du Groenland en tant que partie intégrante des États-Unis. Le journaliste américain Peter Baker, coauteur d’un livre sur la première présidence Trump intitulé The Divider, a écrit que :

« Trump a par la suite affirmé que l’idée lui avait été personnellement inspirée. J’ai dit : ‘Pourquoi n’avons-nous pas cela ?’, s’est-il souvenu lors d’un entretien accordé l’année dernière pour le livre. ‘Vous regardez une carte. Je suis promoteur immobilier. Je regarde un coin de rue et je me dis : ‘Il faut que je trouve ce magasin pour l’immeuble que je construis’, etc. Ce n’est pas si différent’. Il ajoutait : ‘J’adore les cartes. Et j’ai toujours dit : Regardez la taille de ceci. C’est énorme. Cela devrait faire partie des États-Unis’. Mais en fait, M. Lauder en a discuté avec lui dès les premiers jours de la présidence et s’est proposé comme intermédiaire pour négocier avec le gouvernement danois. John R. Bolton, le conseiller à la sécurité nationale, a chargé son assistante Fiona Hill de constituer une petite équipe chargée de réfléchir à des idées. Ils ont engagé des discussions secrètes avec l’ambassadeur du Danemark et ont produit un mémo sur les options. » 46

Quelle que soit l’inspiration d’origine, il est certain que Trump est susceptible de causer des contrariétés répétées à Copenhague aussi bien qu’à Nuuk. Si le Groenland ne sera peut-être pas vendu aux États-Unis au cours de la deuxième administration, l’attrait de nouvelles opportunités d’investissement et de commerce américaines ne manquera pas d’être une proposition attrayante pour Nuuk. La menace de tarifs douaniers à l’encontre du Danemark et de l’Union européenne ayant déjà été formulée avant même l’entrée en fonction de Donald Trump, l’inquiétude de tout gouvernement du Groenland sera d’être pris dans le tourbillon de la politique des grandes puissances. Si Nuuk veut s’éloigner d’une dépendance excessive à l’égard de la dotation globale danoise, le défi consistera à égaler, voire à dépasser, l’engagement danois actuel d’année en année. Et ce que Trump et son équipe pourraient faire dans le cadre d’une pratique de son proverbial art of the deal consisterait proposer non seulement d’égaler cette « subvention » mais de la dépasser de manière substantielle. 

Que se passerait-il si Trump offrait à Nuuk l’équivalent d’un milliard d’euros par an ?

L’importance géostratégique du Groenland

Quoi qu’il en soit, les quatre ou cinq prochaines années seront déterminantes pour la géopolitique de l’Arctique. Le Groenland y occupera une place de choix pour plusieurs raisons. Le premier facteur est tout simplement la question qui restera d’actualité indépendamment de ce qui se passe ailleurs dans la région arctique : la quête d’indépendance de l’île. Les relations entre le Danemark et le Groenland — quoi que fasse ou dise Trump — resteront tendues. Si la plupart des Groenlandais sont favorables à l’indépendance, la pierre d’achoppement est la création de richesses et la crainte qu’une intégration économique plus étroite avec les États-Unis ne crée une nouvelle relation « coloniale » avec Washington plutôt qu’avec Copenhague. Bruxelles s’intéresse également au Groenland : en mars 2024, l’Union a inauguré un bureau officiel à Nuuk et la présidente Ursula von der Leyen a déclaré à l’époque :

« Notre nouveau bureau à Nuuk marque le début d’une nouvelle ère du partenariat UE-Groenland, avec une présence concrète de l’Europe au Groenland et dans la région arctique au sens large. Grâce à nos deux nouveaux accords, nous investirons dans les énergies propres, les matières premières essentielles et les compétences au Groenland. De nouveaux emplois au Groenland, une meilleure sécurité d’approvisionnement pour l’Europe : nous pouvons tous deux bénéficier d’une plus grande coopération dans ces domaines. » 47

Le potentiel des ressources du Groenland suscite un intérêt considérable, en particulier les minéraux, dont les terres rares. Les États-Unis s’intéressent de près à l’approvisionnement de 50 « minéraux critiques », largement reconnus comme essentiels aux technologies vertes telles que les voitures électriques et les éoliennes, ainsi qu’à la production de systèmes d’armes militaires. La domination de la Chine sur les chaînes d’approvisionnement en terres rares est une source d’inquiétude pour d’autres pays, et les États-Unis comme l’Union européenne cherchent à diversifier leurs sources et à développer leurs propres capacités de raffinage. Les investisseurs américains comprennent des personnes à haute fortune telles que Jeff Bezos et Bill Gates par l’intermédiaire de KoBold Metals, ainsi que d’autres figures comme Michael Bloomberg 48. Au Groenland, il y a deux mines en activité sur l’île et cinq autres en cours de développement. Les progrès ont été lents, en partie à cause des conditions d’exploitation difficiles, mais la mine la plus prometteuse est celle de Tanbreez, dans le sud de l’île. Elle devrait être opérationnelle en 2028 49. Elle est largement considérée comme le plus grand projet minier de ce type au monde et promet d’offrir un approvisionnement sûr et sécurisé aux consommateurs de l’Union et d’Amérique du Nord. D’autres minéraux tels que le plomb, le zinc, l’uranium et le minerai de fer ont tous été cités comme étant commercialement importants. Un autre projet minier, appelé Malmberg, devrait être opérationnel après Tanbreez. La loi sur les matières premières critiques de l’Union a fixé des critères pour la capacité nationale de l’Union à atteindre d’ici 2030 : 10 % des besoins annuels de l’Union pour l’extraction, 40 % pour la transformation et 25 % pour le recyclage 50. Le Groenland et l’Europe du Nord ont tous été identifiés comme des zones critiques pour l’exploration et l’extraction. Pour le gouvernement du Groenland, les terres rares offrent la possibilité de diversifier l’économie de l’île au-delà de la pêche et du tourisme, mais la participation locale au marché du travail minier est très modeste. Le développement de projets miniers nécessiterait l’introduction de centaines de travailleurs étrangers et, dans le passé, on a préféré promouvoir la pêche et le tourisme.

Le troisième élément qui sous-tend la position géostratégique du Groenland est l’accessibilité. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’île a suscité l’intérêt en tant qu’escale pour les vols transatlantiques et/ou en tant qu’autoroute maritime reliant l’Arctique, le passage du Nord-Ouest du Canada et l’Atlantique Nord via la baie de Baffin. La mer du Groenland serait l’étendue d’eau que tout navire traverserait s’il se dirigeait vers le pôle Nord. Jusqu’à présent, la demande a été modeste par rapport au trafic maritime le long de la route maritime du Nord de la Russie, mais on s’attend généralement à ce que l’activité continue de croître. En 2024, Blue Water Shipping a annoncé de nouveaux investissements dans les installations portuaires de Nuuk afin de traiter des volumes plus importants de marchandises commerciales 51. Des commentateurs américains et d’anciens conseillers du président Trump ont attiré l’attention sur l’importance du potentiel de ressources offshore de l’île et de sa proximité avec des zones d’intérêt pour les États-Unis et d’autres parties, dont la Chine.

Pendant la guerre froide, le Groenland est devenu une partie intégrante de la surveillance militaire, en particulier de l’activité maritime et aérienne soviétique — et plus tard russe. La base aérienne de Thulé faisait également partie d’un système d’alerte précoce pour les missiles balistiques, conçu pour détecter les missiles soviétiques traversant l’océan Arctique et se dirigeant vers des cibles nord-américaines. Le Groenland était considéré comme idéal pour le suivi de ces missiles — et plus tard pour le suivi par satellite — en raison de son éloignement relatif. En juin 2024, le personnel militaire américain stationné à Pituffik a accueilli le roi du Danemark et le premier ministre du Groenland. Le commandant américain, le colonel Jason Terry, a expliqué pourquoi la base était stratégiquement importante :

« La base spatiale de Pituffik permet également aux partenaires de l’OTAN de transborder et de réapprovisionner les bases danoises et canadiennes isolées, et d’assurer occasionnellement des vols d’entraînement sur de longues distances ainsi qu’un soutien médical d’urgence essentiel pour le nord-ouest du Groenland, les voies maritimes voisines et les aéronefs civils en vol. » 52

La stratégie arctique des États-Unis, publiée par le Pentagone en juillet 2024, met fortement l’accent sur le fait qu’un environnement stratégique difficile nécessitera un engagement et une collaboration toujours plus importants avec les partenaires de l’OTAN. La stratégie reconnaît également qu’il est nécessaire d’investir davantage et de développer ces capacités de surveillance au-dessus du Groenland, afin d’assurer un meilleur suivi des missiles balistiques intercontinentaux et des satellites en orbite basse 53.

La mer du Groenland serait l’étendue d’eau que tout navire traverserait s’il se dirigeait vers le pôle Nord. 

Klaus Dodds

Enfin, la connectivité et la résilience de l’Internet au Groenland seront une source d’intérêt permanent pour l’administration Trump. L’une des raisons en est que l’accès au service Starlink d’Elon Musk est actuellement illégal au Groenland 54. L’Autorité des télécommunications du Groenland s’est engagée dans un modèle de coûts partagés pour les utilisateurs, quelle que soit leur localisation sur l’île. Starlink pourrait en principe offrir une réduction des coûts et il est prouvé que ce service satellitaire est déjà utilisé au Groenland. La question de la connectivité à l’internet et de son accessibilité financière est délicate, car le fournisseur public d’accès à l’internet de l’île, Tusass, jouit d’un monopole commercial. Cette situation est aujourd’hui remise en question, car des articles de presse ont cité des sources groenlandaises qui ont plaidé en faveur de l’autorisation de Starlink et d’autres fournisseurs d’accès à offrir leurs services. 

Par ailleurs, des mises en garde ont été émises sur le fait qu’une dépendance à l’égard de Starlink pourrait compromettre l’autonomie du Groenland (et la position opérationnelle privilégiée de Tusass), même si ce dernier offre une meilleure connectivité dans les régions les plus reculées. En 2023, Tusass a confirmé qu’elle mettait à niveau l’infrastructure des stations terrestres sur deux sites à Ittoqqortoormiit et Tasiilaq pour prendre en charge le nouveau satellite GreenSAT GEO qui sera lancé en février 2023. L’objectif de cet investissement était d’améliorer la connectivité dans le nord et l’est du Groenland. Quel que soit le rôle futur de Starlink, l’infrastructure critique de l’île — y compris le câble sous-marin Greenland Connect reliant le Canada, le Groenland et l’Islande — sera une source de préoccupation constante pour le gouvernement du Groenland, ainsi que pour d’autres pays, notamment le Danemark, l’Islande et les États-Unis 55. Comme on l’a vu récemment au Svalbard et autour de la mer Baltique, le sabotage sous-marin a été largement documenté, les navires chinois et russes étant soupçonnés d’en être les auteurs. Il est bien connu que le Groenland et l’Islande sont exposés à des perturbations importantes si ces câbles étaient sectionnés accidentellement ou délibérément 56. Tout cela nous rappelle une fois de plus que le Danemark va devoir faire face à des pressions répétées pour investir davantage dans la surveillance maritime et la protection des infrastructures critiques au Groenland.

Conclusion

Les îles vont prendre une importance démesurée dans la deuxième administration du président Trump. Taïwan, Diego Garcia et le Groenland sont celles qui occuperont le plus de temps présidentiel. Taïwan est confrontée à la perspective d’un blocus chinois et d’une éventuelle invasion avant 2027. La base militaire américaine de Diego Garcia, sur le territoire britannique de l’océan Indien (BIOT), fait à ce jour partie des négociations en cours entre le Royaume-Uni et l’île Maurice. Certains craignent que si le Royaume-Uni renonce à sa souveraineté sur le territoire, la sécurité opérationnelle de Diego Garcia soit compromise, étant donné que Maurice est un allié stratégique de la Chine 57.

Enfin, l’avenir du Groenland continuera d’intéresser l’administration Trump. Grâce à l’amélioration des aéroports et de la connectivité satellitaire, l’île accueille des moyens de surveillance américains particulièrement sensibles qui font partie intégrante des systèmes d’alerte précoce et de la défense antimissile. Les installations aériennes et navales du Groenland offrent également une connectivité importante entre l’Amérique du Nord, l’Atlantique Nord et les régions arctiques au sens large. Avec le développement des activités polaires de la Chine, parfois en alliance avec la Russie, la pression restera forte pour que les États-Unis bénéficient d’un niveau élevé de connaissance opérationnelle et d’une infrastructure de communication critique sécurisée.

La plus grande île du monde est la pierre angulaire de la défense et de la sécurité des régions de l’Arctique et de l’Atlantique Nord. Et le président Trump est susceptible de continuer à attirer l’attention sur tout ce qui précède, même si cela cause une gêne considérable pour d’autres  — y compris les Danois. Rien de tout cela ne causera des nuits blanches à un président qui pense que les États-Unis sont confrontés à une menace existentielle de la part de la Chine et que ni l’ordre libéral international ni les petits alliés régionaux de l’OTAN ne peuvent fournir le niveau d’investissement en matière de défense et de sécurité que les États-Unis attendent.

S’assurer que le Groenland ne tombe pas dans l’orbite économique et sécuritaire de la Chine est une considération importante — tout comme le fait d’empêcher le gouvernement du Groenland de chercher à adhérer à l’Union. 

Quoi qu’il en soit, United Airlines commencera à proposer des vols directs entre Newark et Nuuk à l’été 2025, et les jeunes Groenlandais adoptent l’anglais comme deuxième langue.

Sources
  1. « Donald Trump président élu cible le Canada, le Groenland et le canal de Panama dans son message de Noël« , Sky News, 26 décembre 2024.
  2. « Trump’s Talk of a Purchase Draws Derision« , The New York Times, 16 août 2019.
  3. Mike Wendling, « Panama’s president calls Trump’s Chinese canal claim ‘nonsense‘ », BBC News, 26 décembre 2024.
  4. Donald Trump, conférence de presse, 7 janvier 2025.
  5. Sarah Fortinsky, « Former Trump adviser : If Denmark can’t defend Greenland, let US buy it to ‘become part of Alaska‘ », The Hill, 29 décembre 2024.
  6. Ryan King, « Ex-Trump national security adviser says Denmark needs more than dog sleds to defend Greenland as prez-elect eyes territory« , The New York Post, 29 décembre 2024.
  7. Council on Foreign Relations, « Trump’s Foreign Policy Moments 2017-2020« .
  8. Donald Trump, conférence de presse, 7 janvier 2025.
  9. « China’s trade embargo on critical minerals to the United States – A ripple effect of the new Trump Administration« , Herbert Smith Freehills, 16 décembre 2024.
  10. Poutine veut récupérer l’Alaska après sa vente « illégale » aux États-Unis« , London Loves Business, 30 décembre 2024.
  11. « Norway blocks sale of last private land on Svalbard after Chinese interest« , The Guardian, 1er juillet 2024.
  12. « La France met en garde Trump contre les menaces militaires de prise de contrôle du Groenland« , Radio France International, 1er janvier 2025.
  13. Miranda Bryant, « Donald Trump Jr visits Greenland amid father’s interest in owning island« , The Guardian, 7 janvier 2025.
  14. Seb Starcevic, « Russia ‘fully ready’ for Arctic war with NATO« , Politico, 20 décembre 2024.
  15. Lisa Murkowski, « Can the Arctic’s unique distinction as a zone of peace be maintained ? « The Arctic Senator » explains what it will take« , American Foreign Service Association, mai 2021.
  16. Bjørn Kunoy, « Recommendations on the Russian Federation’s Proposed Outer Continental Shelf in the Arctic Area« , Ejil:Talk !, 3 mars 2023.
  17. Andrey Todorov, « Russia’s Reaction to the US Continental Shelf Announcement : Political Posturing or Setting the Stage for a Big Move ?« , The Arctic Institute, 9 avril 2024.
  18. « Inuit Circumpolar Council Position Paper – Safeguarding and Strengthening the Arctic Council« , Inuit Circumpolar Council Canada, 15 juillet 2024.
  19. Les six groupes de travail sont les suivants : Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique, Conservation de la flore et de la faune arctiques, Prévention, préparation et réponse aux situations d’urgence, Protection de l’environnement marin arctique, Groupe de travail sur le développement durable et Programme d’action sur les contaminants dans l’Arctique.
  20. Astri Edvardsen, « Lavrov : « The Arctic Council’s Future Depends on Whether a Civilized Dialogue Can Continue »« , High North News, 15 mai 2023.
  21. Astri Edvardsen, « Russia’s Top Arctic Diplomat : Long-Term Cooperation in the Arctic Requires Conditions Now Lost », High North News, 5 mai 2023. 
  22. Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, « Interview du ministre des affaires étrangères Sergey Lavrov pour le projet de série semi-documentaire Soviet Breakthrough« , 19 septembre 2024.
  23. « La Russie publie une liste de pays amis et neutres« , Intellinews, 24 septembre 2023.
  24. Jared Cohen, « The rise of geopolitical swing states« , Goldman Sachs, 15 mai 2023.
  25. Tom Bennett, « I should have invaded Ukraine early, Putin tells Russians in TV marathon« , BBC, 19 décembre, 2024.
  26. Astri Edvardsen, « Russia withdraws from the Barents Cooperation« , High North News, 29 septembre 2023.
  27. Mathieu Boulègue et Klaus Dodds, « Antarctic Diplomacy in a BRICS+ World« , Polar Points, 3 juillet 2024.
  28. Thomas Nilsen, « Confrontation is unfolding in the Arctic, says Navy Commander« , The Barents Observer, 13 décembre 2024.
  29. Blake Hounshell, « Pompeo aims to counter China’s ambitions in the Arctic« , Politico, 6 mai 2019.
  30. Reuters, 4 juin 2019.
  31. Banque nordique d’investissement, « A new gateway to Greenland« , 12 décembre 2024.
  32. Erik Matzen, « Denmark spurned Chinese offer for Greenland base over security – sources« , Reuters, 7 avril 2017.
  33. Heather Williams, Kari A. Bingen et Lachlan MacKenzie, « Why Did China and Russia Stage a Joint Bomber Exercise near Alaska« , Center for Strategic and International Studies, 30 juillet 2024.
  34. « China Coast Guard Claims its First Patrol to the Arctic Ocean« , The Maritime Executive, 2 octobre 2024.
  35. « Le premier navire chinois de recherche scientifique globale conçu pour l’exploration mondiale des grands fonds et doté de capacités de plongée profonde avec équipage dans les zones de glace prend la mer« , Global Times, 26 décembre 2024.
  36. Helle Nørrelund Sørensen, « Arktisk strategi : Tættere samarbejde med Nordamerika og mere stabil fred i Arktis« , Greenlandic Broadcasting Corporation, 21 février 2024.
  37. Linda Hall, « Tense Denmark-Greenland relations« , Euroweekly News, 20 janvier 2024.
  38. NGO Funds, « Ambassade des États-Unis : Identifier le symposium de désinformation au Groenland« .
  39. Morten Okkels, « Ingen tegn på udenlandske løgnekampagner i grønlandsk Facebook-debat« , Sermitsiaq, 9 décembre 2024.
  40. Robert Greenall et Paul Kirby, « Denmark boosts Greenland defence after Trump repeats desire for US control« , BBC, 24 décembre 2024.
  41. Eye on the Arctic, « Denmark and Greenland to discuss Arctic defence cooperation amid global tensions« , Radio Canada, 22 novembre 2024.
  42. Ebbe Volquardsen, « Greenland, Denmark and the Colonial Legacy« , Everything Changes, Alps Swiss Alpine Museum, 2024.
  43. Royaume du Danemark, Stratégie pour l’Arctique 2011-2020, août 2011.
  44. « Greenland to Receive NATO Representation for First Time Ever« , Al Manar TV, 21 mars 2023.
  45. Ligne imaginaire et étranglement naval séparant la mer de Norvège et la mer du Nord de l’océan Atlantique. L’acronyme signifie Groenland, Islande et Royaume-Uni. Cf. Astri Edvardsen, « Northern Viking : Practicing the Defense of Iceland and Sea Routes in the North Atlantic« , High North News, 24 août 2024.
  46. Peter Baker, « Cosmetics Billionaire Convinced Trump That the U.S. Should Buy Greenland« , The New York Times, 14 septembre 2022.
  47. Commission européenne, « La présidente von der Leyen inaugure le bureau de l’UE à Nuuk et signe des accords de coopération pour renforcer le partenariat entre l’UE et le Groenland« , 15 mars 2024.
  48. Kobold Metals, « Billionaire-backed mining firm to seek electric vehicle metals in Greenland« .
  49. « Critical Metals ups stake in world’s largest rare earths project to 42 %« , Mining.com, 23 juillet 2024.
  50. Commission européenne, « Overview of the Critical Raw Materials Act« .
  51. « Blue Water Shipping investit 100 millions de couronnes danoises dans l’expansion du Groenland« , Break Bulb News, 26 juillet 2024.
  52. Danielle Rose, « King, queen of Denmark, Greenland prime minister visit Pituffik SB« , Official United States Space Force Website, 1er juillet 2024.
  53. Valerie Insinna, « Watch the skies : How a US base in Greenland tracks ballistic missiles« , Defense News, 5 août 2019.
  54. Srikapardhi, « Tusass Engages in Discussions With Starlink and Others for Connectivity in Greenland« , TelecomTalk, 29 avril 2024.
  55. Dan Swinhoe, « Greenland’s Tusass begins survey for new subsea cable« , Data Center Dynamics, 24 juillet 2023.
  56. Darren Adam, « Iceland effectively cut off if cable connections fail« , The Icelandic National Broadcasting Service, 22 janvier 2024.
  57. Cahal Milmo, « How China’s Shadowy influence over Chagos’ Islands is growing« , INews, 4 octobre 2024.