Depuis son retour au pouvoir le 20 janvier, Trump n’a pas mis fin à l’assistance à l’Ukraine comme il l’avait pourtant promis au cours de la campagne. Malgré la vive opposition de plusieurs membres de son administration et alliés, notamment le vice-président JD Vance, des avions militaires américains continuent d’approvisionner chaque jour l’armée ukrainienne en équipements et munitions.

  • En raison des retards accumulés sous Biden, provoqués notamment par des débats internes quant aux risques d’escalade ainsi que par des inquiétudes relatives aux niveaux des stocks américains, les livraisons engagées en 2024 sous la précédente administration continuent d’être honorées — avec du retard — depuis la transition 1.
  • Si Trump a temporairement stoppé les livraisons durant le week-end du 1er-2 février 2 et ordonné au département d’État de mettre fin à l’aide étrangère, dont l’Ukraine est le principal bénéficiaire, l’administration républicaine continue d’armer le pays et semble vouloir utiliser l’aide militaire comme un levier de pression vis-à-vis de Kiev et de Moscou.

Le président républicain n’a pas signalé vouloir inclure de nouveaux fonds pour financer les principaux programmes d’assistance militaire à l’Ukraine (USAI et PDA notamment) dans le cadre du budget 2025 qui devrait bientôt être étudié au Congrès. Ces programmes se sont pourtant révélés particulièrement profitables à l’industrie de défense américaine, qui a largement bénéficié des dizaines de milliards de dollars d’investissements alloués pour remplacer les équipements envoyés à l’Ukraine par du matériel plus moderne.

Si aucun « plan » concret pour mettre fin à la guerre n’a pour l’heure été annoncé par Trump ou son envoyé pour l’Ukraine et la Russie Keith Kellogg, les lignes de celui-ci se dessinent assez clairement.

  • Plus que Kellogg, dont le rôle devrait principalement se concentrer sur les négociations avec Kiev et Moscou, c’est le sénateur républicain Lindsey Graham, président de la commission sur le Budget et proche allié de Trump, qui élabore depuis 2024 la stratégie américaine.
  • Lors d’un entretien donné il y a presque un an, Graham déclarait avoir parlé à Trump « de la possibilité de transformer l’aide à l’Ukraine en un prêt », ajoutant : « C’était son idée, pas la mienne » 3. Initialement présenté comme étant susceptible d’être annulable (prêt-subvention) ou, du moins, accordé avec des conditions préférentielles, ce prêt consisterait en un « deal » dans lequel les ressources naturelles ukrainiennes seraient la monnaie d’échange.
  • Après plusieurs contacts entre 2023 et fin 2024 entre Graham et l’influent chef de cabinet de Zelensky, Andryi Yermak, le sénateur républicain a obtenu de la partie ukrainienne l’inclusion dans le « plan de victoire » de Zelensky présenté à l’automne 2024 d’un point prévoyant la mise en oeuvre d’accords spéciaux avec les partenaires stratégiques de l’Ukraine pour « la protection conjointe des ressources critiques du pays, ainsi que pour l’investissement et l’utilisation conjoints de ce potentiel économique » 4.
  • En juin 2024, Graham disait à propos de l’Ukraine : « Ils sont assis sur 10 000 à 12 000 milliards de dollars de minerais essentiels. Ils pourraient être le pays le plus riche de toute l’Europe. Je ne veux pas donner cet argent et ces actifs à Poutine pour qu’il les partage avec la Chine » 5. Lors d’un appel mercredi 5 février, Graham et Yermak « ont noté que l’Ukraine et les États-Unis étaient prêts à discuter d’une coopération mutuellement bénéfique, y compris de l’initiative visant à développer les gisements de minéraux » 6.

Afin d’accéder aux ressources naturelles de l’Ukraine, qui pourraient ainsi être exploitées par des entreprises américaines comme une forme de « remboursement » de l’assistance fournie par Washington, Trump doit éviter l’effondrement du front ukrainien.

  • En autorisant le maintien des livraisons promises et financées sous l’administration Biden, qui pourraient continuer d’approvisionner l’armée ukrainienne pendant plusieurs mois, potentiellement jusqu’à l’été 2025, celui-ci espère être en mesure d’obtenir au cours de cette période un accord de cessez-le-feu qui ouvrira la voie à l’exploitation des ressources naturelles du pays.
  • Au-delà d’un bénéfice économique direct, Trump et Graham espèrent également que les ressources ukrainiennes permettront de réduire la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine, qui raffine près de 90 % de la production mondiale de terres rares.
  • S’il ne parvient pas à asseoir Zelensky et Poutine à la table des négociations au cours des prochains mois, Trump se trouvera toutefois face à un choix périlleux : autoriser de nouvelles aides pour l’Ukraine, au risque d’en souffrir politiquement, ou laisser les Européens seuls face aux besoins militaires du pays. 
Sources
  1. Erin Banco, Anastasiia Malenko, Mike Stone et Mari Saito, « Biden administration slowed Ukraine arms shipments until his term was nearly done », Reuters, 3 février 2025.
  2. Mike Stone et Erin Banco, « US arms shipments to Kyiv briefly paused before resuming over the weekend, sources say », ​​Reuters, 3 février 2025.
  3. « Transcript : Sen. Lindsey Graham on « Face the Nation, » Feb. 18, 2024 », CBS News.
  4. Victory Plan Consists of Five Points and Three Secret Annexes, Présidence d’Ukraine, 16 octobre 2024.
  5. « Transcript : Sen. Lindsey Graham on « Face the Nation, » June 9, 2024 », CBS News, 9 juin 2024.
  6. Andriy Yermak Had a Phone Call with Senator Lindsey Graham, Présidence d’Ukraine, 5 février 2025.