La France apprend difficilement l’art du compromis parlementaire. Après le juge constitutionnel italien Sabino Cassese et le Secrétaire général du Parlement (2009-2022) Klaus Welle, ou Noé Debré et les scénaristes de Parlement, nous continuons à ouvrir nos pages à des signatures qui cherchent à frayer une voie après les élections législatives. Pour soutenir notre travail vous pouvez vous abonner au Grand Continent

Alors que les yeux de nombreux acteurs, commentateurs et citoyens étaient rivés sur l’intense activité électorale, juin 2024 a également représenté le 13e mois consécutif de record de température au niveau mondial selon l’Institut Copernicus1. Face à cet énième rappel de l’urgence de la transition climatique à l’échelle mondiale, européenne et française, on peut légitimement s’inquiéter de l’apparent blocage de la situation politique en France. La dissolution et son résultat électoral laissent en effet un paysage politique fragmenté tant sur le plan des groupes politiques que des idées. Les alliances qui vont structurer les prochains mois et les prochaines années sont incertaines, entre coalitions introuvables, gouvernements minoritaires et divergences béantes sur de grands enjeux, des retraites à la politique salariale en passant par la sécurité.

Pourtant il existe un constat qui transcende une bonne partie de ces clivages et incertitudes : le parlement présente une très large majorité en faveur de la transition climatique. 

De nombreuses semaines de campagnes électorales — élections européennes puis législatives — ont logiquement mis l’accent sur les divergences entre partis et ont jeté un voile sur cette réalité. Mais le Nouveau Front populaire et l’ancienne majorité — réunies autour de la bannière « Ensemble » —, blocs qui réunissent à eux deux près de deux tiers des sièges à l’Assemblée nationale2, sont en effet d’accord sur de nombreux points à la fois concernant le constat, les grands objectifs, et une bonne partie des mesures à prendre, notamment sur les enjeux de gouvernance, de moyens, et dans au moins deux grands secteurs de l’économie.

Il existe un constat qui transcende une bonne partie de ces clivages et incertitudes : le parlement présente une très large majorité en faveur de la transition climatique.

Pierre Charbonnier et Camille Roussac

Une « majorité verte » en faveur de la transition climatique est donc à portée de main. Quelle que soit la marge de manœuvre du ou des gouvernements qui pourraient se former dans les prochains mois, s’agissant des politiques climatiques, un équilibre gouvernemental pourra être trouvé — par-delà l’instabilité fondamentale du système à trois blocs. À la fois nécessaires et urgentes, ces politiques ont donc un pouvoir d’équilibre et de progrès qui pourra être mis en avant par deux de ces trois blocs, et ce d’autant plus que cette majorité serait suffisamment large — et pourrait en outre, sur certains enjeux, trouver des soutiens parmi les députés LR et « divers droite » — pour supporter une certaine dose de dissensus interne. 

Le gouvernement qui sera issu des élections législatives de juillet 2024 sera probablement la dernière chance des partis républicains pour éviter l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France. Il devra pour cela obtenir des résultats rapides et concrets, à la hauteur de l’urgence climatique et sociale, qui atténuent les fractures de la société. L’investissement dans les infrastructures vertes et la protection contre les risques climatiques répondent largement à ces impératifs : ils permettent de moderniser le pays, de reconnecter et de désenclaver les populations reléguées par les transports et l’emploi, d’atténuer le choc énergétique de 2022, de monter en qualité pour l’alimentation, et de libérer une grande partie de la population de la prison que représentent les énergies fossiles.

Les décisions à prendre pour emprunter cette voie nécessitent un fort soutien politique, et l’émergence d’une majorité verte contre l’extrême droite est une opportunité. Réciproquement, dans un contexte où la colonne vertébrale de la coalition gouvernementale pose problème, le caractère consensuel, pour une large part, des politiques climatiques permet d’envisager une certaine stabilité autour d’un enjeu existentiel.

Les piliers de la majorité verte : le constat, l’ambition et quatre grands blocs de mesures

Le constat

Si le respect du consensus scientifique ne devrait pas être une donnée politique, il s’agit pourtant désormais d’un préalable à toute forme de transition climatique qui est loin d’être acquis. S’il n’est pas ouvertement climato-sceptique, le RN a plusieurs fois franchi la ligne rouge sur ce sujet3. Au contraire, personne au sein de la « majorité verte » ne conteste la réalité du dérèglement climatique, et l’éventail de possibilités politiques et économiques qu’il projette se trouve à l’intérieur de ce consensus. Mieux, ils le défendent face aux climato-sceptiques. Surtout, le NFP comme Ensemble font de la transition bas-carbone un élément important dans leur discours. Il pourrait et devrait l’être bien davantage mais il est très présent. L’ensemble de la « majorité verte » serait ainsi d’accord pour en faire le « combat du siècle »4.

Deux principes font consensus au sein de la « majorité verte ». 

D’une part, le fait que la transition bas-carbone ne doit pas peser sur les plus pauvres — par exemple en concentrant les aides à la transition vers les plus précaires et la classe moyenne inférieure5. Le principe de la transition juste, même s’il suppose un débat sur le sens du « juste » et que, par certains aspects le gouvernement a pu apparaître comme s’étant converti à la transition juste contraint et forcé par les mouvements sociaux comme ceux des « gilets jaunes », constitue un socle politique solide. 

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D’autre part, l’alliance de la transition bas-carbone et de la réindustrialisation, qui fait la jonction entre les questions de l’emploi, du climat et de la souveraineté — par exemple en restreignant les aides au verdissement des véhicules électriques à ceux produit en Europe6, ou en lançant un plan « pompes à chaleur »7).

L’ambition

Les ambitions climatiques actuelles de la France, prises à l’échelle européenne et internationale depuis 7 ans, et auparavant sous la présidence de François Hollande, sont globalement consensuelles au sein de la majorité verte.

Le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 4 à 5 % par an est celui qui permettrait d’atteindre d’ici 2030 -50 % par rapport à 1990 et, d’ici 2050, la neutralité carbone, qui sont les objectifs fixés par la France dans le cadre de la planification écologique et à l’échelle européenne, sont cohérent avec l’ambition du programme du Nouveau Front populaire8.

On sait par ailleurs qu’une partie de ces réductions d’émissions sont conjoncturelles — hiver doux, impact de l’inflation sur les choix de consommation — et que les étapes à venir de la décarbonation nécessitent des efforts plus structurels sur le logement, l’industrie, les transports. Ce sont précisément ces prochaines étapes qui doivent faire l’objet des réglementations à définir dès maintenant, en combinant efficacité et justice.

Enfin, au niveau européen, les groupes politiques rassemblant les députés des formations du bloc de gauche (The Left, The Greens et S&D) travaillent en bonne collaboration et votent régulièrement avec la formation centriste Renew, en travaillant à l’adoption des mesures du Pacte vert dans une version généralement plus ambitieuse que celle de la Commission et surtout du Conseil de l’Union et faisant face à un activisme de plus en plus important de la droite (PPE) et encore plus des extrême-droites européennes.

L’ensemble de la majorité verte serait d’accord pour faire de la transition bas carbone le « combat du siècle »

Pierre Charbonnier et Camille Roussac

Les moyens

C’est du côté des moyens pour mettre en œuvre cette ambition que, à première vue, des divergences importantes apparaîtrait au sein de la majorité verte — le bloc de gauche accusant régulièrement le camp présidentiel « d’inaction climatique »9, tandis que le bloc centriste accuse la gauche de « démagogie »10. Pourtant, cette majorité pourrait s’entendre sur des points majeurs de la transition bas-carbone, autour de quatre axes :

1 — La planification écologique

Ce concept, popularisé par la gauche et en particulier Jean-Luc Mélenchon dès 201211, a été repris par Emmanuel Macron dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 202212. Au-delà du seul discours, la planification écologique s’est traduite en actes avec la mise sur pied d’un Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) depuis 2022, qui compte une quarantaine d’agents et qui a fait un travail de planification salué par la plupart des ONG environnementales et le Haut Conseil pour le Climat – institution indépendante également mise sur pied par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2018. 

Il existe donc une divergence entre la planification comme doctrine, qui plaide pour un contrôle plus direct par l’État de certaines filières industrielles, et la planification comme pratique actuelle de gouvernement, qui consiste plutôt à orienter les acteurs industriels par incitations et à multiplier les politiques publiques d’accompagnement et de concertation. Mais dans un cas comme dans l’autre, il est clair que l’État endosse une responsabilité élargie dans la stratégie industrielle et l’orientation des flux de capitaux.

2 — La rénovation énergétique des bâtiments

Le programme du NFP prévoit « d’assurer l’isolation complète des logements, en renforçant les aides pour tous les ménages et garantissant leur prise en charge complète pour les ménages modestes » et « d’accélérer la rénovation des bâtiments publics (écoles, hôpitaux, etc.) ». Cela est très cohérent — pour ne pas dire parfaitement aligné — avec l’ambition affichée par le gouvernement dans la loi de finances pour 202413 qui prévoyait 1,6 milliards d’euros supplémentaire pour la rénovation énergétique des logements (permettant de renforcer l’aide MaPrimeRénov’) et 500 millions d’euros en faveur de la rénovation des bâtiment de l’Etat, auxquels s’ajoutent 500 millions d’euros prévus dans le cadre du « Fonds vert » à destination des collectivités territoriales pour financer la rénovation des écoles dans le cadre du « plan école ». 

Bien sûr, le NFP prévoyait des moyens supplémentaires — de l’ordre de 6 milliards d’euros par an entre 2024 et 2027 dans le chiffrage proposé par Valérie Rabault14 plutôt que 2,6 milliards d’euros. Mais l’orientation est similaire, et le SGPE prévoyait d’ailleurs bien une progression des crédits associés à la rénovation énergétique des bâtiment, de même que le rapport Pisani-Ferry–Mahfouz, commandé par le gouvernement et qui lui a été remis en mai 2023, qui avait été salué par le ministre de la transition écologique Christophe Béchu. Au-delà de ces aspects budgétaires, le gouvernement a instauré puis maintenu la perspective d’une interdiction progressive de location des passoires thermiques, qui n’est pas remise en cause par la gauche — à la différence de LR15 et du RN16.

3 — La mobilité décarbonée

Globalement, la politique de verdissement des mobilités mise en œuvre ces dernières années a consisté en trois points. 

  • Un soutien à l’électrification du parc automobile d’abord, avec une échéance « couperet » d’une interdiction de vente de véhicules thermiques (y compris hybrides) à l’horizon 2035. 
  • Des investissements importants dans le ferroviaire17 et l’élaboration de projets de « services express régionaux métropolitains »18 ensuite. 
  • Enfin, un soutien à la mobilité douce (vélo notamment) et au covoiturage19

Si ce sujet est largement absent du programme du NFP (mis à part le moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières), ces orientations vont très largement dans le sens des propositions faites par les partis de gauche, même si ceux-ci insistent en priorité sur le soutien nécessaire aux transports en commun (notamment LFI) et à l’origine française et européenne de la production de véhicules électriques (notamment le PC)20. Dans tous les cas, avec plus de trois quarts des trajets de moins 80 kilomètres aujourd’hui réalisés par véhicules individuels21, la transition climatique implique nécessairement de mener ces batailles de front, sans opposer électrification et réduction de la demande.

4 — L’adaptation au changement climatique

Le programme du NFP indique être favorable à l’adoption d’un « plan national d’adaptation au changement climatique notamment pour les infrastructures et les protections des personnes et de leurs biens (prise en charge facilitée des dommages liés au retrait-gonflement des argiles, droit à l’assurance) » et « la définition de seuils maximaux de températures pour les travailleurs et travailleuses en cas de fortes chaleurs ». Ce sont précisément les sujets autour desquels devait tourner le 3e plan national d’adaptation au changement climatique, qui était sur le point d’être publié lorsque la dissolution est intervenue22.

S’agissant des moyens financiers et des ressources financières mobilisables, ces questions ne font évidemment pas consensus entre les deux blocs. 

Les ambitions climatiques actuelles de la France sont globalement consensuelles au sein de la majorité verte.

Pierre Charbonnier et Camille Roussac

Toutefois, le rapport Pisani-Ferry–Mahfouz, dont la qualité et la pertinence sont reconnus par tous au sein de la majorité verte indique les ordres de grandeurs de masses financières à mobiliser, tout en évoquant des pistes pour financer ces dépenses et investissements — émanant la fois du secteur privé et du public. Ainsi, la réflexion sur un ISF climatique, si elle est plus présente à gauche — et a ainsi été inscrite dans le programme du NFP — a également suscité l’intérêt de quelques personnalités de l’ex-majorité, et notamment son ministre de la transition écologique23. Il en est de même pour un principe de conditionnalité de certaines dépenses, comme les aides aux entreprises.

Au-delà de ces piliers, le prochain gouvernement, quel qu’il soit, aura à son actif un arsenal législatif déjà adopté et qui fait consensus au sein de la majorité verte. La loi climat et résilience d’une part, issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat et dont elle reprend de très nombreuses mesures24 dont l’ambition est déjà très élevée — interdiction de location des passoires thermiques, zéro artificialisation nette, zones à faible émission, etc. — et dont la mise en œuvre ne fait que commencer — cette loi prévoit des échéances à l’horizon de la prochaine décennie voire plus loin. Le Pacte vert européen, d’autre part, et les très nombreux textes qu’il comporte — directive sur la performance énergétique des bâtiments, directive sur l’efficacité énergétique, règlement CO2 pour les véhicules avec notamment la fin de la vente des véhicules thermiques à l’horizon 2035, etc.

Surmonter les divergences

Trois totems : la relation à la croissance, l’énergie nucléaire et la transition agro-écologique

La critique principale de la politique écologique proposée par le bloc de gauche, vue du bloc central, est certainement le rapport au capitalisme et à la décroissance.

Faire de la rupture avec notre modèle de croissance et de la rupture avec le capitalisme en général des préalables à l’action climatique, comme le font certains membres du NFP, est en effet difficilement compatible avec la vision de la transition climatique exposée par Emmanuel Macron et son gouvernement — prônant une transition climatique ambitieuse qui soit « en même temps » profitable à la croissance.

Néanmoins, l’essentiel des choix industriels et sociaux à court et moyen terme échappe en partie à cette divergence.

L’investissement dans les infrastructures vertes requiert une mobilisation du capital privé et public, il doit permettre l’émergence de filières de production et d’emploi, ainsi que des normes sociales, qui accordent la priorité aux engagements climatiques et à la juste répartition de l’effort et des gains. Dans ce contexte, le principe de rentabilité ne prévaut pas toujours (certains secteurs rentables devront être restreints), le temps long l’emporte sur l’immédiat, le pouvoir des investisseurs privés doit être relativisé, mais ce n’est pas la croissance ou son dépassement qui constitue le cœur du débat politique. La majorité verte peut en d’autres termes s’assurer d’un soutien populaire et électoral à partir des succès qu’elle rencontrera.

La question du mix énergétique est certainement la principale source de désaccords au sein de cette majorité verte. La France se caractérise en effet par un débat persistant et clivant entre le pari nucléaire et les renouvelables — à savoir entre deux technologies bas carbone. Alors que la France est le seul pays européen n’atteignant pas ses objectifs européens en matière de production d’énergies renouvelables, ce conflit doit être tempéré25. En effet, une majorité pourrait vraisemblablement tomber d’accord sur une politique énergétique pour les prochains mois et les prochaines années autour du renforcement d’une souveraineté énergétique décarbonée de la France face aux défis représentés par les menaces géopolitiques et la transition climatique et du développement des énergies renouvelables aujourd’hui insuffisante ne serait-ce que pour remplir nos objectifs européens.

Il convient de mentionner enfin la transition agro-écologique. Cet autre élément central de la critique du bloc de gauche envers le bloc central s’agissant de la transition bas-carbone, dépasse le simple cadre de celle-ci puisqu’elle relève de l’ensemble des enjeux de transition écologique. Comme d’autres sujets évoqués ici mais plus encore peut-être que les autres, la transition agro-écologique dépasse largement le cadre de la simple transition bas-carbone (elle relève aussi des enjeux de ressource en eau, de pollution des sols et de l’air, de santé-environnement, de préservation de la biodiversité, etc.), mais, en se restreignant aux émissions de gaz à effet de serre de son activité (environ 18 % des émissions nationales), l’agriculture est un levier majeur de l’atteinte de nos objectifs climatiques. Or, sur ce sujet, l’absence d’action résolue de la part du gouvernement Macron est fortement critiquée par le bloc de gauche, qui défend une transition agro-écologique radicale. En particulier, la question centrale de la consommation de viande a constitué un objet de polémiques et de tensions politiques, contribuant à caricaturer le discours des partisans d’une réduction active de la consommation de viande. 

Ces trois enjeux sont majeurs, mais ne semblent pas empêcher, surtout pour une durée de quelques années (d’ici 2027 par exemple) et sur la base d’un bloc législatif déjà en partie constitué (cf. supra), de travailler sur ce qui rassemble cette « majorité verte ». Ces enjeux, loin d’être mis de côté, pourraient d’ailleurs constituer les objets de débats d’un espace de discussion à créer au sein de l’Assemblée nationale (et plus largement au sein de la société), d’autant plus que ceux-ci font l’objet de débats intense au sein même de chaque bloc.

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Une divergence stratégique ?

Les dernières années ont été animées par de fortes tensions sociales autour des grands projets d’aménagement, comme les « méga-bassines », le projet d’autoroute Toulouse-Castres (A69), ou encore le tunnel ferroviaire Lyon-Turin. 

Ces tensions ont donné lieu, d’une part à l’émergence d’un activisme radical se plaçant parfois volontairement au-delà de la légalité — à l’image des « Zones à défendre » — et en symétrique à une tentative d’assimilation de ces mouvements à des mouvement terroristes, tant sur le plan des actes juridiques déployés — application de mesures initialement destinées à la lutte anti-terroristes — que du discours mobilisé26. Dans ce contexte, les acteurs associatifs du monde écologiste et, plus généralement, la société civile sensible à ce sujet — syndicats, chercheurs, élus, institutions indépendantes — peuvent apparaître comme les principaux perdants de cette opposition, avec d’un côté, une confiance dégradée dans l’État et, de l’autre, un rôle de corps intermédiaire plus difficile à jouer vis-à-vis d’une partie de leur base.

Au-delà des divergences entre les différents blocs et au sein de chaque bloc sur tel ou tel projet, il semble nécessaire aux représentants du ou des prochains gouvernements de tenter de retrouver un plus haut degré de confiance mutuelle entre l’État et la société civile sur les questions écologiques. Cela semble nécessaire pour la mise en œuvre de la transition climatique mais aussi, plus pragmatiquement, pour que la « majorité verte » ne se fracture pas, et pour que des choix éclairés puissent être faits. Le processus de vérification de la viabilité environnementale, auquel les grands projets d’infrastructures sont soumis, doit ainsi pouvoir être mis à jour lorsque le projet date de plusieurs années et les mouvements sociaux intégrés au processus de décision démocratique, sans instrumentalisation de l’arsenal sécuritaire mais sans que la dégradation, l’occupation ou le blocage ne puisse pour autant devenir la règle lors que les voies de recours légales sont épuisées. En un mot, le cadre légal, l’utilité au sein d’un cadre global de transition bas-carbone et le principe de concertation doivent être remis au cœur du processus.

Conclusion

La transition climatique était trop absente des débats lors des élections européennes et législatives. Elle est souvent considérée comme coûteuse politiquement par de nombreux acteurs, créant des réticences à s’engager sur ce terrain. Pourtant, ces questions sont au cœur de la machine politique contemporaine : parce qu’elles constituent une urgence largement reconnue, parce qu’elles sont un vecteur de renouveau technique et social aligné sur les intérêts de la nation et de la classe moyenne, et parce qu’elles rendent possible un accord de gouvernement pour les prochaines années.

Or la majorité verte est la principale, peut-être la seule source de stabilité au milieu de la tempête institutionnelle provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale et la menace de l’extrême droite. Cette majorité confortable en faveur de la transition bas-carbone est une chance historique pour la France d’assurer à ces enjeux une cohérence dans le temps d’un gouvernement à l’autre, dans les prochaines années — et à tout le moins dans la prochaine année27 — dont d’autres thématiques ne pourront peut-être pas bénéficier. Quel que soit le gouvernement, qu’il soit majoritaire ou, plus vraisemblablement, minoritaire à l’Assemblée nationale, cette majorité verte peut constituer une source de continuité pour l’action climatique de l’État et lui apporter la légitimité de presque deux tiers des sièges de cette Assemblée.

La majorité verte est la principale, peut-être la seule source de stabilité au milieu de la tempête institutionnelle provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale et la menace de l’extrême droite.

Pierre Charbonnier et Camille Roussac

S’agissant des Républicains, ce parti a tenu une position ambiguë sur le changement climatique, et a bien plus souvent pointé les risques de la transition que ses bénéfices, même s’il comprend, en son sein, des députés et militants sincèrement engagés en faveur de la transition bas-carbone. Rejoindre les grands principes d’une majorité verte leur permettrait de se convertir clairement à la lutte contre le changement climatique. À l’inverse, les refuser serait un mauvais signal envoyé sur le caractère responsable de leur attitude face à la crise climatique.

Si elle existe déjà, de manière sous-jacente dans les prises de position et l’action des blocs de gauche et centristes, cette majorité verte pourrait être se constituée en une « nouvelle coalition écologique » consacrée plus explicitement autour d’un « pacte de gouvernement écologique », qu’on pourrait aisément imaginer autour des dix principes suivants :

1 — L’urgence climatique et la décarbonation, qui forment un impératif politique basé sur le consensus scientifique. L’action de l’État se structure autour des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (réduction de 50 % d’ici 203028 et neutralité carbone d’ici 2050), conformément aux engagements internationaux, et via une amélioration de l’efficacité énergétique, la sobriété et l’ensemble des technologies bas carbone disponibles.

2 — Le principe de transition juste, qui impose que les coûts et les opportunités liées à ce changement de modèle soient équitablement répartis, avec un souci particulier pour les classes précaires et moyennes.

3 — La transition comme vecteur de souveraineté à travers les nouvelles filières industrielles et les infrastructures publiques vertes qui permettent de protéger la nation contre les dépendances, les ingérences, et le déclassement économique.

4 — Les politiques climatiques pensées comme des politiques industrielles. L’État endosse une responsabilité pivot dans l’orientation des capitaux publics et privés, dans l’esprit du travail de planification engagé ces dernières années.

5 — Un plan pour le logement, fondé sur la rénovation et la décarbonation des bâtiments publics et privés. Cela passerait par des aides renforcées à la rénovation des passoires thermiques, un maintien du calendrier d’interdiction de leur location et l’amplification du soutien à la rénovation des bâtiments publics, tant ceux de l’Etat que ceux des collectivités territoriales (écoles notamment).

6 — Un plan pour les transports, fondé sur le renforcement de l’offre de transports publics, notamment de proximité, sur le soutien à l’industrie des batteries et véhicules électriques et le renforcement des mobilités douces. 

7 — Un plan d’adaptation au changement climatique dans toutes ses dimensions (vagues de chaleur, sécheresse, inondations, recul du trait de côte, retrait-gonflement des argiles), construit sur un scénario de référence d’un réchauffement de +4°C

8 — Un engagement de l’État sur les moyens alloués à la lutte contre le changement climatique, en suivant les échelles et modalités indiquées dans le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz29.

9 — La reconnaissance des politiques climatiques comme politiques européennes. La France a une communauté d’intérêts avec l’Union, sur le plan de la justice, de la souveraineté, des choix techniques et budgétaires.

10 — La préservation et le renforcement des institutions de pilotage et de concertation de la politique climatique, notamment le Secrétariat général à la planification écologique et le Haut Conseil pour le Climat, en amplifiant encore le caractère planifié de la transition écologique dans tous ses aspects (industriels, sociaux, territoriaux). À ces institutions, pourrait s’adjoindre un dispositif spécifique permettant au débat parlementaire sur le climat de pouvoir alimenter les discussions et arbitrer sur les points de divergences subsistant au-delà des dix points « socles » de la majorité verte.

Sources
  1. Le Monde avec AFP « Record mondial de températures moyennes pour un mois de juin, selon le service européen Copernicus », Le Monde, le 8 juillet 24.
  2. 64 % en comptant les 13 sièges “Divers gauche” et les 6 sièges centristes hors Ensemble, mais sans compter LR et les députés classés à “Droite”.
  3. Jacques Paugam et Anne Feitz, « La parole du RN à l’épreuve du changement climatique », Les Échos, 21 août 2023.
  4. Voir par exemple cette expression reprise sur le site de L’Elysée et par la candidate EELV aux élections européennes Marie Toussaint pour le site Reporterre.
  5. C’est le cas par exemple des aides à l’achat ou à la location d’un véhicule électrique, essentiellement réservés aux ménages des cinq premiers déciles de revenu.
  6. Comme c’est le cas depuis le 1er janvier 2024.
  7. Emile Massemin, « Pour se chauffer sans polluer, Macron vante les pompes à chaleur », Reporterre.net, 26 septembre 2023.
  8. Le programme du NFP prévoit bien de « [viser] la neutralité carbone en 2050 » et ne semble pas remettre en cause l’objectif de la France au niveau européen d’une réduction des émissions brutes de gaz à effet de serre de 50 % à l’horizon 2030.
  9. Plusieurs partis de gauche, dont LFI, le PS et EELV avaient par exemple appelé à une « grande marche contre la vie chère et l’inaction climatique » le 16 octobre 2022 à Paris.
  10. Voir par exemple cet échange à l’Assemblée Nationale entre la députée Anne Stambach-Terrenoir, députée France Insoumise de Haute-Garonne et Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le 23 mai 2023.
  11. Raphaëlle Besse Desmoulières (Blog Rouges et verts), « L’offensive de Mélenchon sur l’écologie » , Lemonde.fr, 1er décembre 2012.
  12. Emmanuel Macron avait consacré à l’écologie, une partie importante de son meeting de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2022, à Marseille le 16 avril 2022. Il s’était engagé notamment à nommer un premier ministre « directement chargé de la planification écologique », afin d’aller « deux fois plus vite » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
  13. Ministère de la transition écologique et la cohésion des territoires, « Projet de loi de finances 2024 : 10 milliards d’euros supplémentaires pour la planification écologique »,  Ministère de la transition écologique et la cohésion des territoires, 3 octobre 2023.
  14. Les Échos, « Le programme du Nouveau Front Populaire, c’est 106 milliards de dépenses nouvelles », Les Échos, 19 juin 2024.
  15. Les sénatrices Dominique Estrosi-Sassone (LR) et Amel Gacquerre (UDI), estimaient, à l’occasion d’un rapport paru en avril 2024 nécessaire de repousser cette interdiction à 2028 pour les logements classés G, contre 2025 actuellement. A noter que ce sujet est susceptible de faire également dissensus au sein même du bloc centriste (Bruno Le Maire s’était, par exemple, montré favorable à un décalage de la date en septembre dernier) et du bloc de gauche (Viviane Artigalas, du PS est également autrice du rapport du Sénat cité supra et l’adjoint communiste à la Ville de Paris, Jacques Baudrier, s’est également prononcé, en janvier dernier, en faveur d’un report).
  16. Le programme du RN en vue des élections législatives de 2024 prévoyait d’« abroger toutes les interdictions et obligations liées aux [diagnostics de performance énergétique] ».
  17. Sophie Fay, « Un plan à 100 milliards d’euros pour le transport ferroviaire en France, mais pour quoi faire ? », Le Monde, 16 mars 2023.
  18. Nom finalement retenu pour désigner les “RER métropolitains”. Ministère de la transition écologique, « Services express régionaux métropolitains (SERM) », Ministère de la transition écologique, 22 mars 2024.
  19. Ministère de la transition écologique, « Le plan national covoiturage célèbre ses 1 ans : bilan et perspectives », Ministère de la transition écologique, 31 janvier 2024.
  20. Michel Holtz, « Voiture électrique : ce qu’en pensent les candidats aux élections européennes », cardisiac.com, 08 mai 2024.
  21. Source : enquête sur la mobilité des Français 2018.
  22. Contexte, « Ce projet de plan d’adaptation que la dissolution de l’Assemblée met en péril », Contexte, 17 juin 2024.
  23. Xavier Demagny, « ISF vert : « pas un tabou » pour Béchu mais c’est une ligne rouge pour l’Élysée », France inter, 23 mars 2023.
  24. Gouvernement, « Suivi de la Convention citoyenne pour le climat ».
  25. Adrien Pécout, « Énergies renouvelables : la France, seul pays de l’Union européenne à avoir manqué ses objectifs », Le Monde, 31 janvier 2022.
  26. Nicolas Truong, « L’« écoterrorisme », une arme politique pour discréditer la radicalité écologiste », Le Monde, 17 mai 2023.
  27. La Constitution empêche toute nouvelle dissolution dans l’année qui suit une dissolution.
  28. En émissions brutes en équivalent-CO2, par rapport au niveau de 1990.
  29. Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, « Les incidences économiques de l’action pour le climat », France Stratégie, mai 2023.