Key Points
  • Les quatre années de la présidence Trump pèseront d’un poids considérable sur la politique de la nouvelle administration américaine de Joe Biden à l’égard du projet Nord Stream 2.
  • Alors que la Russie fourbit ses armes pour affronter la difficile année 2021, le débat sur le gazoduc en Europe a pris une nouvelle dimension avec le choc provoqué par l’affaire Navalny.
  • Au milieu de tout cela, l’Allemagne, qui entre dans une longue séquence électorale, se trouve dans une position difficilement tenable.

La politique de sanctions de l’administration Trump

La veille du départ de l’administration Trump, le 19 janvier 2021, le Département d’État américain a désigné la première entité sanctionnée en raison de ses activités relatives à la construction du Nord Stream 2. Il s’agit de l’entreprise russe KVT-RUS, propriétaire du Fortuna, le navire employé pour la pose du gazoduc. Prévenues un jour avant, les autorités allemandes ont accueilli cette annonce « avec regret  »1. Cette décision a été prise en vertu de la section 232 du Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA), qui prévoit des sanctions à l’encontre des personnes qui investissent, vendent, louent ou fournissent sciemment «  des biens, des services, des technologies, de l’informations ou du soutien  » pour la construction de pipelines d’exportation d’énergie russe. En conséquence, il est interdit aux personnes américaines de s’engager dans pratiquement toute transaction impliquant le Fortuna et KVT-RUS. En outre, les personnes non américaines s’exposent à des sanctions secondaires si elles s’engagent dans des transactions importantes impliquant le Fortuna ou KVT-RUS2.

Initialement, en raison de négociations avec les partenaires européens, le Département d’État américain avait émis une directive qui limitait l’application de la section 232 aux projets de pipelines russes dont les contrats avaient été conclus à partir du jour de ratification du CAATSA, le 2 août 2017. Ainsi, le Nord Stream 2, dont le montage financier a été bouclé le 24 avril 2017, devait être exclu des sanctions. Cependant, le 15 juillet 2020, le Département d’État américain a revu sa directive « pour élargir le champ d’application de la section 232 afin de répondre à certaines menaces croissantes pour la sécurité nationale et les intérêts de politique étrangère des États-Unis liées aux pipelines d’exportation d’énergie russes, en particulier concernant Nord Stream 2 et la deuxième ligne de Turkstream »3.

Le 20 octobre 2020, c’est la lecture du Protecting Europe’s Energy Security Act (PEESA) qui a été revue par le Département d’Etat. Le PEESA, intégré au texte du budget de défense nationale américain ratifié le 20 décembre 2019, le National Defense Authorization Act of 2020, prévoit que des sanctions soient imposées aux navires posant les tuyaux du Nord Stream 2, du Turkstream ou de tout autre projet leur succédant. Des sanctions sont prévues pour les personnes non américaines qui, en connaissance de cause, vendent, louent ou fournissent les navires nécessaires à la construction de ces gazoducs, «  sold, leased or provided those vessels for the construction  ». Ce sont ces dispositions qui ont conduit l’entreprise suisse Allseas, initialement chargée de la pose du Nord Stream 2, à arrêter ses opérations en décembre 2019 paralysant ainsi le chantier pendant un an. En octobre 2020, le Département d’État a élargi l’interprétation du terme «  provided  » de façon à inclure «  les entreprises ou personnes étrangères qui fournissent certains services ou biens qui sont nécessaires ou essentiels à la fourniture ou à l’exploitation d’un navire engagé dans le processus de pose de conduites pour de tels projets.  »4. En conséquence, DNV GL, l’entreprise norvégienne de services dans le management de la qualité et des risques, a annoncé à Reuters  : «  En vertu de ces nouvelles directives, nous estimons que les activités de vérification de DNV GL liées aux navires dotés d’équipements servant au projet Nord Stream 2 sont sanctionnables. DNV GL a donc cessé de fournir des services qui pourraient entrer dans le champ d’application du PEESA  »5. Selon DNV GL, son travail consistait à examiner la documentation et à observer les activités de construction pour s’assurer de la conformité à ses normes. Cela comprenait le contrôle des essais et de la préparation des équipements utilisés par les navires pour installer le gazoduc.

Au lendemain de la décision du Département d’État, le 21 octobre, un porte-parole de Nord Stream 2 AG a rappelé que les menaces de sanctions américaines touchaient « un grand groupe d’entrepreneurs et d’investisseurs occidentaux » évoquant pas moins «  de 120 entreprises de plus de 12 pays européens  »6. De son côté, l’entreprise gazière d’État ukrainienne Naftogaz a affiché son soutien à la décision américaine et a appelé à la poursuite de cette politique  : « Naftogaz continuera à travailler étroitement avec ses partenaires à Washington, Bruxelles, Berlin et dans d’autres régions pour empêcher l’achèvement de Nord Stream 2 ». Kobolev, le dirigeant de Naftogaz, a notamment fait part de sa crainte de voir les Russes développer leurs propres capacités techniques pour terminer le gazoduc.

La portée du PEESA a encore été augmentée par son amendement intégré au National Defense Authorization Act of 2021 adopté le 1er janvier 2021. Le PEESA Clarification Act inclut dans le champ des activités sanctionnables la fourniture de services de pose de conduites, d’inspection, d’assurance et de certification nécessaires à l’achèvement du projet Nord Stream 2. Cet amendement est le fruit d’importantes négociations entre le Sénat et la Chambre des représentants portant notamment sur le traitement réservé aux autorités publiques européennes. Le texte fut introduit le 4 juin 2020 par le sénateur Républicain Ted Cruz et la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen. Cette version initiale a suscité une levée de bouclier des autorités allemandes qui estimaient que le projet de loi menaçait les actions administratives et techniques des services publics en rapport avec l’achèvement ou l’exploitation du gazoduc7. Le 25 juin 2020, les membres de la Chambre des représentants, Adam Kinzinger (R-IL), Denny Heck (D-WA), Mike Turner (R-OH) et Ruben Gallego (D-AZ) ont déposé un projet de loi bipartisan connexe au PEESA Clarification Act. Ces représentants de la chambre basse américaine semblent avoir été sensibles aux préoccupations des autorités allemandes. Leur version du texte supprime les mesures restrictives à l’encontre des entreprises qui se livrent à des essais, des inspections et des certifications dans le cadre d’un projet énergétique8. Finalement, les négociateurs de la Chambre des représentants et du Sénat se sont accordés sur une version ciblant les assureurs et les sociétés de certification technique mais excluant les entités gouvernementales du champ d’application des sanctions.  Le sénateur du New Jersey Bob Menendez, membre Démocrate de la commission des affaires étrangères, a affirmé que le Congrès voulait « faire savoir clairement que l’Allemagne, en tant qu’alliée, et les fonctionnaires en Allemagne, ne feraient pas partie de ces sanctions »9. De plus la version finale du texte exige que les États-Unis informent leurs alliés avant d’imposer des sanctions. Cette disposition a été ajoutée après que le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, Eliot Engel, représentant de New York, ait exprimé sa crainte que les sanctions nuisent plus aux pays européens qu’à la Russie.

Trois jours après l’adoption du PEESA Clarification Act, le 4 janvier 2021, DNV GL a annoncé à EUobserver  : « DNV GL cessera toutes les activités de vérification du système de gazoduc Nord Stream 2 conformément aux sanctions et tant que les sanctions seront en vigueur » ajoutant que « Dans l’état actuel des choses, DNV GL ne peut pas délivrer de certificat à l’achèvement du gazoduc  »10. La société norvégienne, engagée pour fournir les services de certification nécessaires à la mise en service du Nord Stream 2, travaillait sur Nord Stream 2 depuis cinq ans. Le gazoduc a donc été construit selon les normes et standards de DNV GL qui est l’une des seules au monde pouvant effectuer cette tâche. L’expert de l’Atlantic Council, Alan Riley, estime qu’il sera « très difficile » de trouver un remplaçant. L’engagement d’une nouvelle société pour effectuer le travail de certification nécessiterait une mise à jour du permis danois mais probablement aussi l’approbation des régulateurs suédois, finlandais, allemand et russe, ce qui retarderait encore la mise en service du gazoduc. Selon Morten Frisch, associé principal de la société britannique Morten Frisch Consulting, « [Nord Stream 2] est très peu susceptible de trouver une autre société de certification prête à braver les sanctions car toutes les sociétés de ce type acceptables pour les régulateurs, même le registre maritime russe de la navigation, sont engagées au niveau international et sont donc vulnérables aux sanctions américaines »11. La société d’ingénierie et de conseil danoise Ramboll s’est également retirée du projet. Ramboll a notamment été engagée pour effectuer les évaluations environnementales nécessaire à l’obtention des permis de construction du gazoduc. Zurich Insurance Group AG a annoncé cesser de fournir des services d’assurance au Nord Stream 2. Le 19 janvier, c’est l’arrêt de la participation du groupe allemand de construction et d’ingénierie Bilfinger qui fut rapporté12. Bilfinger avait été engagé pour développer, fournir et exploiter des dispositifs de contrôle et des systèmes de sécurité pour le Nord Stream 2. Bilfinger devait aussi implanter une centrale de chauffage au gaz à Lubmin, la ville où le Nord Stream 2 pénètre le territoire allemand.

En dépit des sanctions, le 6 février 2021, le Fortuna a repris la pose des conduites dans les eaux danoises. Ce navire a récemment fait l’objet de manœuvres destinées à minimiser l’impact des sanctions américaines.  En octobre 2020, Universal Transport Group LLC, une micro-entreprise russe, a acheté le Fortuna à Strategic Mileage Limited, une société basée à Hong Kong. Début décembre, le navire a de nouveau changé de propriétaire passant aux mains d’une autre micro-entreprise russe, KVT-RUS. D’après le service fédéral des impôts russe, KVT-RUS n’avait pratiquement aucuns actifs en 2019 et n’avait pas de revenus. L’entreprise emploie une personne, son PDG et fondateur Sergei Viktorovich Malkov dont on sait peu de choses. Toujours selon les services fiscaux russes, le 10 décembre 2020, KVT-RUS a changé son activité principale enregistrée passant de « commerce de gros de matériel de plomberie et de chauffage » à « fourniture de services de transport ». L’activité supplémentaire est passée de « fabrication d’autres pompes et compresseurs » à « activités de transport maritime »13

Les réactions russes face au concurrent américain

En réaction à l’annonce des sanctions contre KVT-RUS, le porte-parole du gouvernement russe, Dmitry Peskov, a assuré que le Nord Stream 2 serait achevé malgré le fait que « Ce projet international continue d’être confronté à une pression brutale et illégale de la part des États-Unis »14. Le porte-parole avait qualifié, en décembre 2020, l’élargissement des sanctions américaines de méthode de «  guerre hybride  » se réappropriant ainsi la rhétorique américaine. En dépit de la certitude affichée par Dmitry Peskov, Gazprom a employé un ton plus prudent dans un prospectus Eurobond, reconnaissant l’existence du risque que le Nord Stream 2 soit suspendu ou abandonné en raison de pressions politiques. Gazprom, en tant qu’entreprise publique, est obligé d’informer les investisseurs de tous les risques potentiels dans le prospectus Eurobond avant l’offre de titres de créance sur le marché. Gazprom a donc prévenu que si Nord Stream 2 devait être suspendu ou annulé, elle pourrait être confrontée à des réclamations financières de la part des sous-traitants  : « Nous pouvons être tenus de verser des indemnités, y compris des dommages et intérêts, des pénalités, des frais d’annulation et d’effectuer d’autres paiements »15

À long terme, toutefois, Gazprom semble optimiste quant à son avenir sur le marché européen. Le 25 novembre 2020, le conseil d’administration de Gazprom déclarait voire une opportunité dans le ralentissement du développement de nouveaux projets d’exportation de GNL. Selon le conseil d’administration, le déclin de l’activité en 2020 pourrait avoir un impact à long terme sur la production de GNL favorisant ainsi les exportations de Gazprom. Toujours d’après le conseil d’administration, le GNL américain ne peut pas être considéré comme « la base de la sécurité énergétique pour les grands pays consommateurs de gaz, et encore moins pour des marchés régionaux entiers, comme l’Europe »16. Fin janvier 2021, lors de la Conférence Européenne sur le gaz, Elena Burmistrova, directrice générale de Gazprom Export, a estimé que le gaz acheminé par gazoduc pourrait être compatible avec les objectifs environnementaux européens pour 205017. Elle n’a pas manqué, à cette occasion, d’ajouter que le gaz acheminé par gazoduc émettrait moins de gaz à effet de serre que le gaz naturel liquéfié (GNL).

À long terme, Gazprom semble optimiste quant à son avenir sur le marché européen.

Sami Ramdani

Dans l’immédiat, la concurrence accrue du GNL sur le marché européen semble impacter le comportement de Gazprom. En cette période hivernal, la société n’augmente pas l’approvisionnement physique en gaz en dépit de la forte hausse des prix du gaz dans l’Union européenne18. Gazprom a également cessé la mise en vente de gaz à destination de l’Europe sur sa plate-forme d’échange électronique pour les mois à venir, ce qui maintient les prix élevés du marché spot. Au lieu d’utiliser ses capacités de transport excédentaires, Gazprom réduit même l’usage de la voie ukrainienne préférant répondre à la demande en puisant dans ses capacités de stockage européennes. En «  tarissant  » ainsi le marché gazier européen, Gazprom va à l’encontre des dynamiques économiques habituelles. L’objectif d’une telle stratégie serait d’éviter un effondrement des prix au début du printemps, lorsqu’une diminution de la demande asiatique est attendue ce qui réorienterait une partie des flux de GNL vers l’Europe.

Le débat à l’échelle européenne

En octobre 2020, l’eurodéputé Jacek Saryusz-Wolski, membre du groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE), a transmis des questions parlementaires à Josep Borrell, vice-président de l’Union et Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR)19. L’eurodéputé interroge la déclaration de Josep Borrell du 17 juillet 2020 sur les sanctions américaines contre Nord Stream 2 dans laquelle il était dit que l’Union « considère que l’application extraterritoriale de sanctions est contraire au droit international » et que « les politiques européennes devraient être déterminées ici en Europe, et non par des pays tiers ».

Ainsi, Jacek Saryusz-Wolski demande  : 

  • Pourquoi le VP/HR considère-t-il qu’il est contraire au droit international que les États-Unis refusent aux ressortissants de pays tiers l’accès à leur propre monnaie, à leurs propres systèmes de compensation bancaire, à leur propre régime d’entrée en matière de visas ou à des actifs situés sur leur propre territoire ?
  • Lors de la préparation de cette déclaration, le VP/HR a-t-il tenu compte des résolutions du Parlement du 12 décembre 2018 sur la mise en œuvre de l’accord d’association de l’Union européenne avec l’Ukraine et du 12 mars 2019 sur l’état des relations politiques entre l’Union et la Russie, qui ont toutes deux déclaré que Nord Stream 2 constituait une menace pour la sécurité énergétique européenne et demandé son annulation ?
  • Les États membres qui s’opposent à Nord Stream 2 et qui perçoivent ce projet comme une menace directe pour leur sécurité et leur sécurité énergétique ont-ils été consultés au sujet de la déclaration du VP/HR ?

Le 18 janvier 2021, Josep Borrell a répondu que sa déclaration de juillet 2020 avait pour objectif de réaffirmer le principe selon lequel l’UE ne reconnaît pas l’application extraterritoriale de sanctions adoptées par des pays tiers et considère cela comme contraire au droit international. En outre, l’UE s’oppose aux sanctions unilatérales qui touchent les entreprises de l’UE exerçant des activités commerciales légitimes et légales comme dans le cas du Nord Stream 2. Josep Borrell assure qu’il a connaissance des résolutions du Parlement européen concernant Nord Stream 2 mais insiste sur le fait que sa déclaration de juillet 2020 concerne une position de principe sur la politique de sanctions et n’induit pas une position sur les mérites de Nord Stream 2 en tant que projet énergétique ou politique. Il rappelle que l’objectif de la Commission est de veiller à ce que, s’il est construit, Nord Stream 2 fonctionne dans le respect du droit communautaire, notamment de la directive gaz amendée en 2019. Josep Borrell affirme que la Commission suit de près la transposition de la directive en Allemagne. 

Le 18 septembre 2020, le Parlement européen avait adopté une résolution réitérant l’exigence de l’abandon de la construction du gazoduc dans le contexte de l’affaire Navalny. Le 21 janvier 2021, le Parlement européen a adopté avec une large majorité (581 pour, 50 contre et 44 abstentions) une nouvelle résolution appelant l’UE à bloquer l’achèvement du Nord Stream 2 en réponse à l’arrestation d’Alexei Navalny. Selon l’eurodéputé allemand Sergey Lagodinsky (Verts), qui a participé à la rédaction de la résolution, si les partisans du Nord Stream 2 estiment qu’il apportera « de l’argent et de la stabilité », cela se fera « au détriment des droits de l’homme, de la solidarité avec les États voisins et de la transparence »20. Michael Gahler, porte-parole en matière de politique étrangère du (PPE), juge que dans le contexte de tensions actuelles avec la Russie, « Toute entreprise qui s’engage avec la Russie doit savoir que les choses peuvent mal tourner ». D’après cet eurodéputé allemand «  Ce gazoduc n’est pas nécessaire pour l’approvisionnement  » car l’Union dispose de fournisseurs alternatifs «  qui ne nous menacent pas politiquement  ». Le 25 janvier, le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert, a annoncé que son gouvernement prenait note de la résolution du Parlement européen mais ne changerait pas de position affirmant qu’ »il n’y a pas de lien direct entre l’affaire Navalny et Nord Stream 2″.

Le 1er février, sur la radio France Inter, c’est le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, qui répondait par l’affirmative à une question lui demandant si les autorités françaises étaient favorables à un abandon du Nord Stream 2 dans le contexte de l’emprisonnement de Navalny et de la répression des manifestations de soutien à l’opposant. Clément Beaune a rappelé que bien que la décision appartienne aux autorités allemandes, « nous avons toujours dit que nous avions les plus grands doutes sur ce projet ». Deux jours plus tard, sur la radio Europe 1, Clément Beaune s’est vu corrigé par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a déclaré  : « Il ne faut pas confondre les sujets. Nous avons avec les Allemands une discussion sur Nord Stream mais qui concerne essentiellement les enjeux de souveraineté énergétique européenne ». Finalement, le 5 février, lors du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, le président français Emanuel Macron s’est affiché solidaire d’Angela Merkel achevant ainsi une séquence diplomatique pour le moins confuse. À cette occasion, le président français a déclaré qu’au sujet du Nord Stream 2, « rien ne saurait être annoncé sans une étroite coordination franco-allemande ». Beaucoup moins vindicatif que Clément Beaune, dont l’appel à l’abandon du projet était d’une clarté inédite chez les autorités françaises, Emmanuel Macron a dit vouloir «  mettre en œuvre une transition énergétique plus souveraine et une discussion plus exigeante avec la Russie  »21.

Dans un entretien publié le 7 février par le journal Le Monde, le premier ministre slovaque, Igor Matovic, a estimé que «  Si l’Europe arrêtait la construction de Nord Stream 2, ce serait le signe d’une Europe forte  »22. À l’inverse, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a salué « le fait que le gouvernement fédéral allemand s’en tienne au Nord Stream 2 », estimant que « Quiconque pense que le nouveau gazoduc ne serait que dans l’intérêt de la Russie a tort »23.

Une Allemagne tiraillée

Face aux pressions américaines et dans le contexte de l’affaire Navalny, la classe politique allemande se divise. L’intensité du débat international et national engendrée par l’affaire Navalny avait conduit, en septembre 2020, le ministre allemand des Affaires Etrangères, Heiko Maas, à émettre l’idée d’une possible inflexion de son gouvernement24. Il a lui-même rapidement effacé cette éventualité le mois suivant en réaffirmant son soutien au Nord Stream 2 et en déclarant  : « Nous ne critiquons pas les États-Unis pour avoir plus que doublé leurs importations de pétrole en provenance de Russie au cours de l’année dernière. Les États-Unis exercent leur droit à une politique énergétique indépendante. Nous aussi. »25

Pour sa part, le 24 janvier 2021, Svenja Schulze, la Ministre allemande de la protection de l’environnement et de la sécurité nucléaire a insisté sur la protection des investissements  : « La décision concernant la construction du gazoduc a été prise il y a de nombreuses années. Il est presque achevé et a reçu les autorisations nécessaires conformément aux principes de l’État de droit », « Si nous arrêtons le projet maintenant, nous causerons beaucoup de dommages, en mettant en doute la fiabilité des décisions prises sur la base des principes de l’État de droit et nous risquons d’être poursuivis en justice ». La Ministre a rappelé que l’Allemagne aura besoin de gaz naturel pendant la période de transition après l’abandon du charbon et du nucléaire jusqu’à ce que le pays soit pleinement en mesure d’assurer l’approvisionnement énergétique grâce aux sources renouvelables. Le lendemain, le nouveau leader de la CDU et favoris à la succession d’Angela Merkel, Armin Laschet, a déclaré qu’il n’envisageait pas de reconsidérer le soutien gouvernemental au Nord Stream 2. Il a affirmé qu’au sujet de son approvisionnement énergétique national « l’Allemagne décide », ajoutant que l’Allemagne et la Russie ont maintenu des liens universitaires et commerciaux même au plus fort de la guerre froide.  

Pourtant, le président du Parti libéral-démocrate (FDP), Christian Lindner, juge que « Tant que les droits humains et civils fondamentaux sont violés en Russie, nous ne pouvons pas fermer les yeux et poursuivre les affaires comme d’habitude. Les projets d’infrastructure tels que Nord Stream 2 sont également concernés »26. En guise de réaction le FDP est partisan de l’imposition d’un moratoire sur la construction du gazoduc. Annalena Baerbock, leader des Verts, a quant à elle appelé à un arrêt immédiat et définitif du chantier, refusant l’idée d’un moratoire en raison de son caractère provisoire. 

Face aux pressions américaines et dans le contexte de l’affaire Navalny, la classe politique allemande se divise. L’intensité du débat international et national engendrée par l’affaire Navalny avait conduit, en septembre 2020, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, à émettre l’idée d’une possible inflexion de son gouvernement.

SAMI RAMDANI

Les partisans de l’abandon du projet ont vu leur position renforcée par la publication en janvier d’un rapport de l’Institut allemand de recherche économique (DIW) commandé par l’association écologiste NABU. Le document conclut qu’il n’y aura pas de pénurie d’approvisionnement en gaz naturel en Allemagne et en Europe si le Nord Stream 2 n’est pas achevé. D’après les chercheuses Franziska Holz et Claudia Kemfert, « À court terme, les États membres de l’Union européenne en Europe centrale et occidentale disposent de capacités suffisantes de gazoducs et de GNL ainsi que de vastes capacités de stockage pour garantir leur approvisionnement en gaz naturel »27. À plus long terme, aucune infrastructure pour les combustibles fossiles ne pourra être construite en conformité avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat et l’objectif climatique renforcé de l’Union européenne pour 2030.

Toutefois de nombreux experts et industriels indiquent le gaz naturel a un rôle croissant à jouer en Allemagne pour les prochaines décennies. Wolfgang Peters, dirigeant de la société de conseil The Gas Value Chain Company, explique que l’abandon progressif de la production d’électricité à partir du charbon et du nucléaire devra être compensé par la production au gaz. Selon les données de l’ICIS, en 2019, le gaz naturel représentait 10,9 % de la production d’électricité alors que le nucléaire et le charbon représentaient 45,9 % du total28. En outre, la construction d’une infrastructure comme le Nord Stream 2 pourrait se trouver légitimé par le développement du secteur hydrogène. La stratégie nationale allemande en matière d’hydrogène met fortement l’accent sur l’hydrogène vert produit localement à partir de sources d’énergie renouvelables. Le rôle de l’hydrogène bleu, produit à partir du gaz naturel, est limité aux importations. Wolfgang Peters estime que le recours à l’hydrogène bleu sera nécessaire pour minimiser les coûts de production et répondre à la demande.

Dans un communiqué29, daté du 19 janvier, Oliver Hermes, président de la German Eastern Business Association, s’est dit «  surpris d’entendre des appels répétés, y compris de la part de politiciens allemands, pour un arrêt politique ou pour un moratoire  » concernant un projet qu’il rappelle «  est financé par le secteur privé et est mis en œuvre sur la base du droit européen.  ». Oliver Hermes affirme que «  La sécurité des investissements est une réalisation essentielle du marché intérieur européen, et cela ne doit pas être remis en question.  ». Il soutien également que le gazoduc est un atout pour les politiques environnementales  : «  Si Nord Stream 2 est arrêté, la principale conséquence sera probablement l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité pour les consommateurs européens et l’industrie. Seule une économie forte et compétitive sera en mesure de compenser les pertes massives résultant de la crise du Corona et de mettre en œuvre les objectifs climatiques ambitieux du « Green Deal ».  Enfin et surtout, Nord Stream 2, l’un des gazoducs les plus modernes d’Europe, ouvre également des possibilités pour le transport et la production d’hydrogène dans le futur. Il serait donc peu clairvoyant, tant du point de vue environnemental qu’économique, d’abandonner ce projet presque achevé, qui se chiffre en milliards, et d’en faire finalement un pion dans le jeu de l’influence politique.  ». La German Eastern Business Association compte parmi ses membres trois des six entreprises portant le projet Nord Stream 2  : Uniper, Wintershall ainsi que Gazprom via sa filiale Gazprom Germania. L’association est notamment soutenue par la Fédération des industries allemandes, l’Association des banques allemandes et l’Association des chambres de commerce et d’industrie allemandes.

Un autre représentant des intérêts industriels, Ludwig Möhring, de l’Association fédérale allemande pour le gaz naturel, le pétrole et la géo-énergie (BVEC), considère que Nord Stream 2 est « un pas dans la bonne direction pour l’Europe » garantissant l’approvisionnement énergétique à long terme. Selon Ludwig Möhring, « Nous en avons besoin en raison de la baisse de la production de gaz naturel en Europe occidentale ». Il rejette l’argument selon lequel le gazoduc rendrait l’Europe plus dépendante de la Russie  : « Le gazoduc ne signifie pas que nous n’aurons plus le choix à l’avenir, mais seulement que nous assurerons notre approvisionnement à des prix compétitifs sur le long terme ». Il est convaincu que les appels à l’arrêt du projet n’aident pas l’Union, car même si les relations entre l’Union européen et la Russie traversent des « moments difficiles », « l’Europe et la Russie ont intérêt à vivre en bon voisinage sur le long terme ».

Le gaz en Europe, entre gazoducs et terminaux GNL

L’engagement du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale

Le 6 janvier 2021, le gouvernement du Lander de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, dirigé par Manuela Schwesig (SPD), a décidé de créer la « Fondation pour la protection du climat et de l’environnement ». La décision a été approuvée par le parlement du Lander le lendemain. Le 8 janvier, la fondation a été reconnue légalement par le ministère de la justice du Lander. Outre le soutien à des projets environnementaux, la fondation a été créée pour contrecarrer les sanctions américaines contre Nord Stream 2. Cette entité a été doté de 200 000 euros de fonds publics et 20 millions d’euros provenant de Nord Stream 2 AG. La participation de Nord Stream 2 AG doit s’élever à 60 millions d’euros au cours des prochaines années. Le gouvernement fédéral a pris ses distances vis-à-vis de cette initiative par le biais du ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, qui a déclaré que la création de cette fondation était une décision n’appartenant qu’au Lander.

La fondation compte parmi ses objectifs la finalisation de Nord Stream 2 et justifie cela en promouvant le gazoduc pour sa contribution à la sécurité énergétique et à la transition énergétique. « Nous sommes fermement convaincus que le gazoduc de la mer Baltique est nécessaire pour le succès de la transition énergétique », « Si nous devons éliminer progressivement l’énergie du charbon et l’énergie nucléaire, alors nous avons besoin d’une technologie de transition. » a déclaré Manuela Schwesig lors d’une conférence de presse. La fondation doit « permettre la poursuite de la construction de Nord Stream 2, si cela s’avère nécessaire après les discussions entre le gouvernement et la nouvelle administration américaine »30, selon une déclaration sur le site web du SPD local. Christian Pegel (SPD), ministre de l’énergie de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, a expliqué  : «  Cette fondation peut acheter des machines et des produits dès maintenant, avant que les nouvelles sanctions n’entrent en vigueur, et les stocker  » de manière à rendre ces biens disponibles lorsque les entreprises en auront besoin. 

Conformément aux statuts pour la mise en œuvre des objectifs fixés et pour la gestion et la multiplication des actifs, la fondation peut initier et mener des opérations commerciales, établir ou acquérir des filiales, agir en tant qu’actionnaire de sociétés31. Elle peut s’impliquer dans la réalisation de Nord Stream 2 par le biais d’opérations commerciales et éventuellement sous la forme de la création d’une ou plusieurs sociétés juridiquement indépendantes. Le préambule des statuts stipule que les activités commerciales liées à la construction du gazoduc doivent être de nature transitoire, en tant que but secondaire de la fondation, mais l’achèvement de cette activité nécessitera le consentement de Nord Stream 2 AG. La fondation peut également acheter et gérer des biens immobiliers, les louer et les mettre en location ; cela s’applique également au matériel. Les revenus de ces activités et filiales financeront les objectifs de la fondation. 

Pour justifier son action, le gouvernement de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale a fait valoir que les opérations économiques généreraient des fonds supplémentaires pour la protection du climat dans un contexte où les budgets publics sont limités par les coûts de la pandémie de Covid-19. Les militants environnementalistes, accusent le Lander de « greenwashing« , affirmant que son rôle dans une lutte géopolitique n’a rien à voir avec le changement climatique. « Une fondation qui prétend promouvoir la protection de l’environnement ne devrait pas être fondée par un projet de combustible fossile », estime Theresia Crone, une des figures de proues de la mouvance écologiste locale. En réaction, Theresia Crone a démissionné du «  Conseil de l’environnement et du développement durable  » du Mecklembourg-Poméranie occidentale dont elle était la présidente. « Je ne peux en aucun cas soutenir ou légitimer une fondation de protection du climat qui est censée créer des infrastructures nuisibles au climat », a-t-elle déclaré. Cette activiste du mouvement Fridays for Future a organisé une manifestation à Schwerin et une pétition comptant plus de 28 000 signatures contre la fondation32. Des mobilisations ont également eu lieu à Lubmin et à Berlin devant le siège du SPD33. Claudia Müller, députée locale des Verts au Bundestag, met en doute la légitimité de la fondation. Elle souligne que les statuts permettent à Nord Stream 2 AG de proposer le directeur général de la branche commerciale de la fondation et lui donnent le droit de choisir deux des 18 membres du conseil d’administration. Erwin Sellering est le président de la fondation. Il est le prédécesseur de Manuela Schwesig à la tête de du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et a fortement œuvré à l’approfondissement partenariat germano-russe. « Il est évident que c’est eux [Nord Stream 2 AG] qui dirigent cette entité », a assené Claudia Müller. Deux sièges du conseil d’administration sont destinés aux associations environnementales mais pour le moment la fondation doit faire face au refus de collaborer des grandes associations comme Bund, NABU, WWF et la Fondation Succow34

Pour justifier son engagement dans Nord Stream 2, le gouvernement de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale a fait valoir que les opérations économiques généreraient des fonds supplémentaires pour la protection du climat dans un contexte où les budgets publics sont limités par les coûts de la pandémie de Covid-19.

SAMI RAMDANI

Face à ces contestations, le ministre de l’économie du Lander, Harry Glawe, interroge : « Nous savons que tout le monde n’est pas enthousiaste à propos de ce projet. Mais je voudrais demander aux critiques s’il vaut vraiment la peine de couler 11 milliards d’euros déjà construits dans la mer Baltique et de ne pas garantir d’alternatives énergétiques – du moins via le marché russe – pour l’Europe à l’avenir ». Selon Sascha Müller-Kraenner, directeur de l’association environnementale DUH, la fondation va « alimenter la crise climatique » contrairement à ce qu’indique son nom. Il fait remarquer que les entreprises d’hydrocarbures financent souvent des fondations pour compenser la dégradation de l’environnement « Mais avoir un gouvernement de Lander impliqué, avec pour objectif principal de soutenir la construction du gazoduc lui-même – c’est nouveau ». La DUH intente un procès contre la fondation auprès de la justice allemande, arguant que l’entité ne devrait pas être considérée comme une fondation publique, bénéficiant à ce titre d’une surveillance et de règles de transparence plus souples, étant donné la proportion du financement provenant de Nord Stream 2 AG. La DUH a également déposé une plainte auprès de la Commission européenne, affirmant que la fondation viole les réglementations en matière d’aides d’État. L’organisation anti-corruption Transparency Germany et le think tank Maecenata considèrent que la création de la fondation porte atteinte à la crédibilité de la société civile allemande35.

Les sanctions américaines contenues dans le National Defense Authorization Act of 2021 ne ciblent pas les entités gouvernementales, toutefois les dispositions du texte n’offrent pas de protection à la fondation d’après Alan Riley36. Outre le fait de ne pas être une entité gouvernementale à proprement parlé, la fondation opère expressément en soutien d’une entreprise commerciale. Christian Pegel est conscient que l’entité fondée par son Lander pourrait elle-même devenir une cible de sanctions mais il estime que « Pour la fondation, cependant, les sanctions ne seraient pas significatives car elle ne participera plus jamais – contrairement aux entreprises – à la construction d’un gazoduc dans le monde »37. La fondation serait donc un intermédiaire ayant pour vocation de servir de bouclier aux sous-traitants en coupant leurs liens directs avec Nord Stream 2 AG. Toutefois, un fonctionnaire américain, cité par le Financial Times, a exprimé son scepticisme quant à l’efficacité de la fondation arguant que toute entreprise qui vendrait des produits utilisés par Nord Stream 2 serait tenue pour responsable – que l’entreprise vende directement à une entreprise sanctionnée ou à une fondation publique. D’après Thomas O’Donnell, expert de la Hertie School of Governance, « Il s’agit soit d’un stratagème conscient de désinformation russe visant à collecter des fournitures auprès d’entreprises naïves, soit d’une manœuvre vraiment irresponsable de la part de la fondation ». Alan Riley affirme même que la création de la fondation pourrait se retourner contre de nombreux membres des autorités du Mecklembourg-Poméranie Occidentale du fait des dispositions «  anti-contournement  » des sanctions américaines visant les transactions fallacieuses. Ainsi, la fondation n’apparait pas comme un outil suffisamment convaincant pour permettre le retour des sous-traitants ayant quitté le projet. Toutefois, sanctionner cette entité publique pourrait mettre l’administration Biden dans une position délicate et ne faciliterait pas la reprise d’un dialogue constructif avec les autorités allemandes. Par ailleurs, des experts cités par ICIS affirment que la fondation est destinée à aider Gazprom à faire exempter Nord Stream 2 de la directive européenne sur le gaz en utilisant des arguments environnementaux38. Quoi qu’il en soit, la création de cette fondation permet à la coalition SPD-CDU à la tête du Mecklembourg-Poméranie occidentale de s’afficher comme fervente protectrice des intérêts économiques de la région ce qui répond aux attentes d’une grande part du corps électoral local. 

Les négociations-americano-allemandes à venir

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré lors de son audition de confirmation au Sénat le 19 janvier que Joe Biden est en accord avec le Congrès pour dire que Nord Stream 2 est une «  mauvaise idée  »39. Interrogé par Ted Cruz qui voulait savoir si le nouveau président conserverait la ligne de la précédente administration et empêcherait l’achèvement du gazoduc, Antony Blinken a répondu qu’il n’avait pas encore longuement discuté de la question avec Joe Biden mais qu’il utiliserait « tous les outils de persuasion » disponibles pour convaincre les partenaires des États-Unis, notamment l’Allemagne, de ne pas poursuivre le projet. Le 21 janvier, Angela Merkel, maintenant son soutien au projet, a annoncé qu’elle discuterait du Nord Stream 2 avec l’administration Biden  :  » nous devons également discuter des relations économiques dans le secteur du gaz avec la Russie qui sont acceptables et de celles qui ne le sont pas. Et ce n’est pas comme s’il n’y avait aucune relation commerciale entre les Etats-Unis et la Russie, par exemple dans le secteur du pétrole. Nous devons mettre cela sur la table et discuter de la question de savoir si nous voulons ne plus avoir de relations commerciales du tout avec la Russie dans le secteur du gaz – de la dépendance qui est tolérable »40. Le 26 janvier, la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a rappelé que Biden s’oppose au Nord Stream 2 depuis le temps où il était le vice-président de Barack Obama. « Nous continuons à croire, le président continue à croire, que Nord Stream 2 est une mauvaise affaire pour l’Europe », a-t-elle déclaré, ajoutant que l’administration allait « réexaminer » les dispositions incluses dans le National Defense Authorization Act41.

Suite à l’annonce du réexamen des sanctions, le journal allemand Handelsblatt a affirmé que l’administration Biden pourrait être prête à entamer des discussions avec les autorités allemandes sur leur assouplissement42. D’après Handelsblatt, un éventuel assouplissement des sanctions serait soumis à des conditions préalables. Les nouvelles autorités américaines souhaiteraient obtenir une garantie que le flux de gaz russe via l’Ukraine soit maintenu à l’issue du contrat de transit avec Gazprom en 2024. Afin de totalement sécuriser ce flux, la mise en place d’un mécanisme permettant d’arrêter le Nord Stream 2 en cas de défaillance des approvisionnements ukrainiens serait également souhaitée. La perspective du développement de cette nouvelle position de l’exécutif américain est renforcée par la publication, le 2 février, d’un article de l’Atlantic Council intitulé «  Reconciling transatlantic differences over Nord Stream 2  »43. L’Atlantic Council est acteur majeur de la réflexion stratégique américaine sur les questions énergétiques d’Europe centrale et orientale. Il est donc probable que les éléments exposés dans cet article préfigurent le contenu des négociations à venir. Les pistes évoquées par les auteurs de l’Atlantic Council, que nous présentons ci-dessous, ont pour objectif de limiter les risques potentiels que le Nord Stream 2 engendrerait, notamment en Europe centrale et orientale.

  • Les auteurs plaident pour une prolongation de l’accord de transit du gaz russe via et l’Ukraine au-delà de 2024 afin de garantir une source continue de revenus pour l’Ukraine. Comme pour la conclusion de cet accord en 2019, sa prolongation demanderait l’implication de la Commission européenne et de l’Allemagne dans les négociations. Des garanties financières de soutien et des sanctions contre les intérêts russes pourraient être convenues entre les occidentaux pour compenser les pertes de revenus si Gazprom renonçait à ses engagements. 
  • Les auteurs proposent d’encourager les acheteurs de gaz européens à désigner la frontière russo-ukrainienne comme point de livraison pour une partie de leurs achats de gaz russe et à augmenter ce volume au fil du temps. Ces acheteurs, plutôt que Gazprom, pourraient être responsables du paiement du transit par l’Ukraine, garantissant ainsi une source de revenus de transit plus fiable que les paiements russes dépendant des aléas politiques.
  • Dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union européenne, l’Ukraine s’est engagée à libéraliser ses marchés énergétiques domestiques, décarboner son économie et à s’intégrer aux marchés européens de l’énergie. Des investissements massifs sont nécessaires notamment dans le développement du réseau électrique, dans le domaine de l’efficacité énergétique, dans le développement de la production d’énergie et particulièrement d’énergies renouvelables et d’hydrogène vert. Pour atteindre ces objectifs, l’Ukraine nécessite une aide extérieure. L’Allemagne est le plus important contributeur économique de l’Ukraine par le biais de l’aide bilatérale et des institutions financières européennes et multilatérales. Les États-Unis font figure de principal soutien politique et sécuritaire de l’Ukraine. Partant de ce constat, les auteurs de l’Atlantic Council préconisent que l’Allemagne et les Etats-Unis approfondissent leur coordination pour accompagner l’Ukraine dans ses réformes du secteur énergétique et sa transition énergétique.
  • Les auteurs invitent l’Allemagne à renforcer son soutien à l’Initiative des Trois Mers en imitant l’engagement financier d’une valeur d’un milliard de dollars que les États-Unis ont promis à cette organisation. L’Initiative des Trois Mers vise à renforcer la résilience de l’Europe centrale et orientale en appuyant le développement d’infrastructures GNL et d’interconnecteurs permettant au gaz de circuler dans toutes les directions entre les pays de la région. Les auteurs estiment que l’Allemagne devrait, comme les États-Unis et la Pologne, soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’Initiative des Trois Mers. Cette adhésion contribuerait à l’intégration européenne de l’Ukraine en lui donnant accès à de nouvelles sources de financement. Les auteurs font valoir que ces financements seraient d’autant plus importants que les fonds européens soutenant les infrastructures d’énergies fossiles, notamment les interconnecteurs gaziers, se tarissent dans le cadre du Green Deal.
  • Même si la responsabilité de la réglementation des opérations du Nord Stream 2 appartient à l’Allemagne et à l’Union, les auteurs suggèrent que les États-Unis soient consultés dans le processus d’élaboration de l’environnement réglementaire dans lequel Nord Stream 2 s’inscrira. Les auteurs estiment que l’expertise américaine pourrait s’avérer utile sur des questions telles que l’accès des tiers au réseau. L’accès des tiers au réseau est un principe de régulation obligeant le propriétaire d’une infrastructure à garantir un accès équitable à cette infrastructure aux différents acteurs du marché.

Dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union européenne, l’Ukraine s’est engagée à libéraliser ses marchés énergétiques domestiques, décarboner son économie et à s’intégrer aux marchés européens de l’énergie. Des investissements massifs sont nécessaires notamment dans le développement du réseau électrique, dans le domaine de l’efficacité énergétique, dans le développement de la production d’énergie et particulièrement d’énergies renouvelables et d’hydrogène vert.

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Dans l’éventualité où l’administration Biden souhaiterait adopter une position plus conciliante vis-à-vis du Nord Stream 2, cette volonté pourrait se heurter à un Congrès américain unis dans son désir de sanctionner les intérêts russes. La Chambre des représentants et le Sénat se sont accordés de manière bipartisane pour intégrer les sanctions contre Nord Stream 2 dans les textes du budget de défense nationale de 2020 et 2021. Le National Defense Authorization Act est une législation annuelle qui représente une indication clé pour la définition des orientations de la politique étrangère américaine. Alors que les Républicains sont traditionnellement les plus radicaux envers la Russie, la concorde bipartisane sur la politique de sanctions résulte des élections présidentielles de 2016 que les Démocrates estiment avoir perdu en raison d’interférences russes. Tandis que Joe Biden a fait état de sa volonté de réparer le tort fait par Donald Trump à la relation germano-américaine, les auteurs de l’Atlantic Council estiment que l’ouverture de négociations sur le Nord Stream 2 représente un risque politique pour la nouvelle administration du fait du soutien bipartisan aux sanctions.

Le 12 février, Reuters rapportait que le sénateur Républicain Jim Risch et la sénatrice Démocrate Jeanne Shaheen avaient demandé, dans une lettre, au Département d’État de ne pas retarder la publication d’un rapport au Congrès, requis en vertu des sanctions adoptées dans le cadre du National Defense Authorization Act of 202144. Les sénateurs ont rappelé que ce rapport devait être présenté avant le 16 février. Le rapport a pour fonction d’identifier les entreprises impliquées dans la construction, l’assurance et la certification du Nord Stream 2 en vue d’imposer des sanctions à ces entités. Dans leur lettre, les sénateurs s’inquiètent des informations de la presse selon lesquelles « le gouvernement allemand aurait fait une offre qui demanderait aux États-Unis de ne pas tenir compte des sanctions imposées par la loi ». Les parlementaires estiment que « La relation des États-Unis avec l’Allemagne est une pierre angulaire de l’alliance transatlantique », « Mais permettre l’achèvement du Nord Stream 2 n’est pas une voie constructive pour ce partenariat ». Ne laissant guère de doute quant à leur objectif, Jim Risch et Jeanne Shaheen se sont dit impatients de travailler avec le Département d’État «  pour mettre un terme à ce projet dangereux  ». Par la suite le porte-parole du Département d’État, Ned Price, a rappelé la position de son administration vis-à-vis du Nord Stream 2  : « C’est une mauvaise affaire parce qu’elle divise l’Europe, elle expose l’Ukraine et l’Europe centrale à la manipulation russe, elle va à l’encontre des objectifs énergétiques et sécuritaires énoncés par l’Europe elle-même ». Puis Ned Price a déclaré que « les sanctions ne sont qu’un outil parmi d’autres » et que le Département d’État travaillera en étroite collaboration avec ses alliés et partenaires pour renforcer la sécurité énergétique européenne et se prémunir contre les « comportements prédateurs ». Interrogé sur l’intention du Département d’État de respecter la date limite du 16 février, Ned Price a affirmé qu’il s’engageait à collaborer avec le Congrès pour s’assurer que les législateurs « disposent des informations dont ils ont besoin aussi rapidement que nous sommes en mesure de les leur fournir ». 

Le rapport n’a pas été publié le 16 février, ce qui a entrainé l’envoi d’une nouvelle lettre cette fois émanant de la Chambre des représentants et destinée à Antony Blinken45. Dans cette lettre, les Républicains Michael McCaul et Adam Kinzinger ainsi que les Démocrates Marcy Kaptur et Ruben Gallego demandent à l’administration de clarifier le statut du rapport. Les représentants demandent au secrétaire d’État d’informer le Congrès sur la façon dont il envisage le Nord Stream 2. Les législateurs ont également exigé que l’administration fasse connaitre « toute proposition faite à l’administration Biden sur l’avenir du pipeline qui vise à persuader l’administration de renoncer aux sanctions obligatoires ou de les affaiblir, ». La lettre énumère 15 navires qui seraient sanctionnables en vertu de la législation en vigueur depuis le 1er janvier 2021. À l’instar des sénateurs, les membres de la Chambre des représentants se sont dit prêts à travailler avec le Département d’État « pour contrer l’influence malveillante de la Russie, notamment en s’assurant que le Nord Stream 2 ne sera jamais achevé comme prévu par les sanctions obligatoires du Congrès visant à arrêter le gazoduc ». 

Le 16 février, la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a annoncé que Joe Biden fera déterminer si les sanctions permettront d’arrêter le projet46. Cette déclaration laisse entrevoir la possibilité d’une remise en cause de l’efficacité de la politique de sanctions par l’administration Biden. Le 19 février, le Département d’État a finalement publié son rapport au Congrès. Le rapport désigne le navire Fortuna et son propriétaire, KVT-RUS, en faisant les cibles de nouvelles sanctions après celles imposées le 19 janvier au titre du CAATSA. Le document identifie également 18 sociétés qui ont mis fin à leur travail sur le projet après les avertissements américains47. Ce rapport qui n’inclut pas d’entreprises européennes et notamment allemandes dans les entités sanctionnables fait apparaitre clairement la volonté de l’administration Biden de ménager les partenaires européens. Des sources ont indiqué à Bloomberg que l’administration Trump avait hésité à sanctionner des entités allemandes mais qu’elle s’y préparait dans ses dernières semaines48. Parmi les cibles potentielles figurait Matthias Warnig, le directeur général allemand de Nord Stream 2 AG. Le Conseil national de sécurité de Trump aurait élaboré un plan détaillé dans le but d’arrêter le projet mais l’administration n’aurait pas eu le temps de mettre en place les sanctions contre les entités allemandes. 

La mise de côté d’un certain nombre d’entreprises par le rapport de l’administration Biden n’est pas acceptée par les membres du Congrès. Jessica Skaggs, porte-parole de Ted Cruz, a fait savoir que « Le sénateur Cruz s’attend à ce que l’administration Biden remplisse ses mandats légaux pour imposer des sanctions à tout navire, assureur ou certificateur impliqué dans des activités de pose de canalisations, en partie parce qu’il sait que le Département d’État dispose déjà de toutes les informations nécessaires pour imposer ces sanctions ». Elle a ajouté  : « Il est prêt à utiliser toute la palette des prérogatives du Sénat pour s’assurer qu’ils répondent à cette exigence ». Daniel Vajdich, président du groupe de lobbying Yorktown Solutions, avait affirmé avant la publication du rapport que le Congrès connaît l’identité des entreprises impliquées dans le projet Nord Stream 2 et ferait pression si elles n’étaient pas incluses dans le rapport. « Pour dire les choses simplement, les désignations de sanctions d’aujourd’hui sont totalement inadéquates », a déclaré Michael McCaul estimant que « Permettre l’achèvement de ce pipeline ne serait rien d’autre qu’une victoire » pour Vladimir Poutine. Pour sa part, Jim Risch juge que « Ce rapport ne permet pas de préciser les mesures supplémentaires que l’administration Biden a prises pour appliquer pleinement la loi et mettre fin à ce projet, ». 

Les dispositions du National Defense Authorization Act of 2021 prévoient une période de temps indéterminé afin de consulter les alliés avant d’imposer des sanctions. Certains membres du Congrès craignent que Joe Biden profite de cette période pour retarder l’imposition de mesure plus sévères envers le Nord Stream 2. Le responsable américain, source des informations d’Handelsblatt, a déclaré au journal « Les Allemands doivent mettre une solution globale sur la table ». La proposition allemande devra être à la hauteur des attentes américaines que ce soit pour convaincre l’exécutif et plus encore pour convaincre le pouvoir législatif. Le positionnement extrêmement dure de l’administration Trump et du Congrès place l’administration Biden en position d’exiger d’importantes contreparties lors des négociations avec l’Allemagne.

La coûteuse bonne volonté allemande

Les autorités allemandes se sont déjà montrées prêtes aux concessions lors de leur confrontation avec l’administration Trump. Le 18 septembre 2018 à Bruxelles, le ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, a décrit la volonté de développer des infrastructures GNL en Allemagne comme « un geste envers nos amis américains »49. En février 2019, Peter Altmaier a organisé une conférence germano-américaine sur le développement du marché d’importation de GNL en compagnie de Dan Brouillette, le secrétaire adjoint américain à l’énergie, et Fatih Brihol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie. Parmi les participants figuraient l’Association allemande des industries de l’énergie et de l’eau (BDEW), le Center for Liquefied Natural Gas et LNG Allies. Ces deux dernières entités sont les principales organisations américaines de lobbying du secteur GNL. Cette conférence a offert une plate-forme aux entreprises allemandes et américaines pour « négocier des modèles commerciaux ». À l’issue de cet évènement, Peter Altmaier a présenté un document proposant des évolutions du cadre légal allemand favorables au développement de projets d’infrastructures GNL. Le document indique notamment qu’une partie des coûts de développement de telles infrastructures pourrait être à la charge des consommateurs et non des investisseurs  : « les coûts de construction des gazoducs peuvent être refinancés sans délai par des redevances sur le réseau gazier et répercutés sur les utilisateurs du réseau »50. Le mois suivant, le gouvernement allemand a entrepris les réformes législatives bénéficiant aux investisseurs. Peter Altmaier a déclaré à cette occasion  : « Nous supprimons les obstacles aux investissements du secteur privé dans la construction de terminaux d’importation de GNL et nous renforçons la concurrence entre les différentes importations de gaz »51. La nouvelle règlementation en découlant s’applique depuis le 20 juin 2019. Cette réglementation exempte les opérateurs de terminaux GNL de 90 % des coûts de construction et d’exploitation des gazoducs de raccordement au réseau gazier52.

Ces dispositions vont à l’encontre de la volonté exprimée en décembre 2018 par l’Agence fédérale des réseaux. Le régulateur allemand avait retiré du plan de développement du réseau gazier le gazoduc de raccordement du projet de terminal GNL de Brunsbüttel estimant que «  La construction d’une ligne de connexion est de la responsabilité du concepteur du système.  »53. Un article publié en septembre 2020 sur un site internet lié à la Heinrich Böll Foundation fait état de l’important soutien public reçu par le projet de terminal GNL de Brunsbüttel. Grâce à la nouvelle réglementation, l’investisseur, German LNG, aurait été exempté d’au moins 78,3 millions d’euros de coûts pour la construction du gazoduc de raccordement et de 700 000 euros par an pour de coûts d’exploitation. À cela s’ajoute 50 millions d’euros de subventions directes prévus par le gouvernement du Lander du Schleswig-Holstein dans son budget 2020. Ces subventions entraineraient un financement de 50 millions d’euros supplémentaires de la part du gouvernement fédéral au titre de la « Responsabilité commune pour l’amélioration de la structure économique régionale ». Sans compter l’exemption sur le gazoduc de raccordement, les subventions publiques directes représenteraient 22 % des coûts d’un projet estimé à environ 450 millions d’euros. Les deux autres projets de terminaux GNL allemands se situent en Basse-Saxe à Wilhelmshaven et Stade. Ici, le soutien public a pris la forme de la création, en mars 2020, d’une structure de lobbying, la LNG Agentur Niedersachsen, qui a pour objectif de faire la promotion du développement des infrastructures GNL dans la région. Cette entité est co-financée par le Ministère fédéral de l’économie et de l’énergie et le Land de Basse-Saxe au titre de la « Responsabilité commune pour l’amélioration de la structure économique régionale ». D’après le Spiegel, 750 000 euros d’argent public serait alloués annuellement à LNG Agentur Niedersachsen54.

La proposition allemande devra être à la hauteur des attentes américaines que ce soit pour convaincre l’exécutif et plus encore pour convaincre le pouvoir législatif. Le positionnement extrêmement dure de l’administration Trump et du Congrès place l’administration Biden en position d’exiger d’importantes contreparties lors des négociations avec l’Allemagne.

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En février 2019, lors de la conférence germano-américaine sur le GNL, Dan Brouillette et Peter Altmaier ont insisté sur le fait qu’il n’y avait pas eu d’accord pour que les États-Unis abandonnent l’offensive contre Nord Stream 2 en échange du soutien allemand à la construction de terminaux GNL. Pourtant la partie allemande a bien essayé de monnayer l’appui aux projets GNL contre la fin des sanctions. Le 16 septembre 2020, Die Zeit rapportait que le gouvernement allemand a tenté d’amadouer l’administration Trump par un de ces «  deal  » que le président américain affectionne tant. Début août, le ministre allemand des Finances Olaf Scholz (SPD) aurait proposé à son homologue américain Steven Mnuchin, d’abord oralement puis par écrit, de subventionner la construction de deux terminaux GNL en échange de l’abandon des sanctions contre Nord Stream 2. Dans la proposition écrite envoyée à Washington le 7 août, le gouvernement allemand promet «  d’augmenter massivement le soutien public à la construction  » des terminaux de Brunsbüttel et Wilhelmshaven en mettant à disposition jusqu’à un milliard d’euros, «  En échange, les États-Unis permettront l’achèvement et l’exploitation sans entraves du Nord Stream 2  » requiert Olaf Scholz. Le 9 février, l’association DUH a publié l’intégralité de la lettre que Die Zeit avait partiellement révélé. La DUH exige des explications d’Olaf Scholz et plus largement du gouvernement. L’association environnementaliste désire également savoir si l’offre contenue dans la lettre est maintenue auprès de l’administration Biden55. La publication de DUH semble avoir eu un impact plus profond que celle de Die Zeit. En conséquence, un certain nombre de membres de l’opposition, au premier rang desquels se trouvent les Verts, se sont insurgés contre ce marchandage basé sur de l’argent public. 

Olaf Scholz est le principal candidat du SPD aux élections fédérales allemande de septembre 2021. De manière générale c’est tout le SPD qui voit son image écornée dans le dossier Nord Stream 2 par les diverses manœuvres entreprises par ses membres qui se trouvent être les principaux défenseurs du projet. Les Verts sont pressentis pour devenir les principaux partenaires de la CDU au sein de la prochaine coalition gouvernementale. Un tel cas de figure affaiblirait le soutien des autorités publiques allemandes au Nord Stream 2. L’administration Biden pourrait jouer la montre dans les négociations germano-américaine afin d’attendre la potentielle émergence d’un gouvernement codirigé par les Verts, ce qui placerait la partie américaine dans une position encore plus confortable. Bien que les Verts dénoncent autant l’impact environnemental des projets GNL que celui du Nord Stream 2, ils pourraient faire office d’alliés objectifs des États-Unis. L’opposition des Verts au Nord Stream 2, si elle ne se fait pas au profit des projets GNL allemands, profitera tout de même aux exportations de GNL américain à destination de l’Europe centrale et orientale.

Sources
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  48. Nick Wadhams, Vanessa Dezem, US seen leaving Germans off Nord Stream 2 sanctions list : Report, Bloomberg, 19/02/2021.
  49. Alissa de Carbonnel, Germany to build LNG plant in ‘gesture’ to U.S. drive to sell more, Reuters, 18/09/2018.
  50. Andy Gheorghiu, US fracked LNG and Russian gas via Nord Stream 2 : Germany’s double game heats up both geopolitics and the climate, Heinrich Böll Foundation, 14/09/2020.
  51. Germany takes steps to spur more investment in LNG terminals, Reuters, 27/03/2019.
  52. Andy Gheorghiu, US fracked LNG and Russian gas via Nord Stream 2 : Germany’s double game heats up both geopolitics and the climate, Heinrich Böll Foundation, 14/09/2020.
  53. Bundesnetzagentur verlangt Änderungen am Netzentwicklungsplan Gas 2018-2028, Bundesnetzagentur, Décembre 2018.
  54. Susanne Götze, Was ist klimaschädlicher : Pipeline- oder Flüssiggas ?, Der Spiegel, 17/01/2021.
  55. Stuart Elliott, Germany urged to clarify stance over US Nord Stream 2 sanctions offer, S&P Global, 09/02/2021.