Lorsque les présidents Trump et Poutine atterriront en Alaska, ce sera une première pour eux deux.
Trump n’a jamais visité le 49e État des États-Unis.
Contrairement à Hawaï — le 50e — il n’y a dans ce territoire septentrional ni équivalent du mythique Trump International Hotel Waikiki, ni club de golf national Trump susceptible d’attirer l’attention du président.
Pour Poutine, il s’agira d’un retour sur le sol américain depuis sa visite aux États-Unis en 2015, où il avait rencontré l’ancien président Obama et pris la parole devant l’Assemblée générale des Nations unies. C’était un an après l’annexion illégale de la Crimée.
La même année, en 2015, Barack Obama était devenu le premier président américain à se rendre en Alaska et à voyager au nord du cercle polaire arctique — le vice-président J.D. Vance est quant à lui devenu le premier vice-président à voyager au-delà du cercle polaire arctique lorsqu’il s’est rendu au Groenland au début de l’année 2025.
Warren Harding et Franklin D. Roosevelt s’y étaient déjà rendus avant Obama, mais pas en tant que présidents. À l’époque, la visite d’Obama était dominée par le désir de mettre en évidence les conséquences concrètes de l’accélération du changement climatique et les coûts associés aux perturbations pour les communautés autochtones et les habitants. Il avait ainsi effectué une visite spéciale dans la colonie nordique de Kotzebue 1 ; le secrétaire d’État John Kerry l’accompagnait.
Donald Trump semblait quant à lui en début de semaine ne pas savoir où son prochain voyage allait le mener.
Lors d’un briefing présidentiel, le président a déclaré : « Je pars en Russie vendredi ».
Ce lapsus géopolitique a été saisi par les détracteurs comme une preuve de la fragilité de Trump face aux faits et de son déclin cognitif. En réalité, cela ne fait que renforcer la théâtralité qui entoure ce sommet Poutine-Trump.
Si Poutine devra voyager vers l’est pendant 9 heures, l’Air Force One de Donald Trump aura un temps de vol similaire depuis Washington D.C., en direction du nord-ouest.
Klaus Dodds
Mais cet épisode ne doit pas masquer l’essentiel : le choix de l’Alaska comme lieu de rencontre pour discuter du sort de l’Ukraine est loin d’être fortuit.
Il existe plusieurs bonnes raisons pour lesquelles cette réunion sur la base militaire Elmendorf-Richardson — est avantageuse pour les États-Unis. Elle met en valeur ce qui est décrit par l’establishment militaire américain comme une « plateforme de projection de puissance stratégique » des États-Unis 2. Ce sera un environnement hautement sécurisé et dans lequel Vladimir Poutine ne sera confronté à aucune manifestation anti-russe. Elle pourrait par ailleurs facilement accueillir les deux avions présidentiels et leurs larges escortes.
L’Alaska est un lieu stratégique pour les deux dirigeants.
Car si Poutine devra voyager vers l’est pendant 9 heures, l’Air Force One de Donald Trump aura un temps de vol similaire depuis Washington D.C., en direction du nord-ouest.
Plus important encore, le président Poutine pourra se rendre en toute sécurité n’importe où aux États-Unis sans craindre que quelqu’un ne cherche à exécuter un mandat d’arrêt délivré par la Cour internationale de justice pour les crimes commis contre la population ukrainienne. Enfin, la taille et l’importance de l’Alaska elle-même pour les États-Unis et l’ordre international au sens large comptent pour beaucoup dans cette rencontre.
Ce grand contexte géographique donne déjà des éléments à l’Ukraine, tant au président Zelensky qu’à ses citoyens qui souffrent depuis longtemps : malgré les fanfaronnades de Trump sur la fin de la guerre qui s’est nettement intensifiée après l’invasion à grande échelle de février 2022, ce sommet d’août 2025 marque plus d’une décennie d’agression ouverte de la Russie contre son voisin occidental et d’autres pays tels que la Géorgie.
Les spéculations vont bon train sur le deal qui pourrait émerger de la rencontre présidentielle. Alors que les dirigeants européens organisaient une réunion préalable avec Trump, un optimisme prudent se dessinait quant à la possibilité que le président américain se montre plus ferme dans ses exigences d’un cessez-le-feu immédiat. L’attention était donc focalisée sur ce que pourrait impliquer un règlement à long terme entre l’Ukraine et la Russie. Dans son style habituel, Trump a mis en garde contre des « conséquences graves » pour la Russie si la rencontre ne débouchait pas sur une avancée décisive et a menacé de la suspendre prématurément si elle n’offrait que peu ou pas de perspectives de résultats concrets.
La plupart des spécialistes de la Russie poutinienne ont toutefois minimisé les chances que le Sommet du 15 août aboutisse à une avancée majeure pour l’Ukraine — pour la simple raison que la Russie ne reconnaît pas la légitimité du pays qu’elle essaye d’envahir et de contrôler depuis le 24 février 2022.
En bon continuateur de la doctrine Gromyko, Poutine est également passé maître dans l’art de gagner du temps et de tergiverser.
Le choix de l’Alaska comme lieu de rencontre pour discuter du sort de l’Ukraine est loin d’être fortuit.
Klaus Dodds
De la souveraineté et de l’identité en Alaska
Le simple fait de se rendre à Anchorage, la plus grande ville d’Alaska avec quelque 300 000 habitants, sera historique — quelle que soit la durée du sommet. Vendue aux États-Unis en 1867, cette ancienne partie de l’empire tsariste russe a connu une histoire mouvementée 3.
La Russie avait de nombreuses raisons de se débarrasser de cette colonie lointaine et peu rentable et les États-Unis étaient satisfaits de cette acquisition, en partie parce qu’ils souhaitaient l’utiliser comme prélude à l’annexion de la Colombie-Britannique, à l’Est de l’actuel Canada. Mais cela ne s’est pas produit, la Colombie-Britannique ayant rejoint la Fédération canadienne.
Considéré comme un mauvais investissement au moment de son acquisition, la découverte de pétrole et d’autres ressources naturelles au XXe siècle a conféré à ce territoire américain, devenu plus tard un État, une importance démesurée. Si de nombreux citoyens américains ne le visiteront jamais, le 49e État — aussi surnommé la « dernière frontière » — revêt une dimension stratégique.
Il est de loin le plus grand des États-Unis — avec une superficie 2,5 fois supérieure à celle du Texas.
Il est géographiquement proche de la Russie et du continent asiatique, dont il n’est séparé que par un passage maritime, le détroit de Béring.
Fait souvent ignoré : il est aussi la seule partie des États-Unis qui a été envahie et occupée par les forces de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale — Pearl Harbour a subi été attaquée, mais les îles Aléoutiennes ont été occupées par les forces japonaises pendant 14 mois.
Pendant la guerre froide, l’Alaska était devenue la proverbiale ligne de front militaire des États-Unis, avec ses stations radar, ses patrouilles aériennes et sous-marines et ses conditions climatiques rigoureuses qui sont la norme dans cet État septentrional.
La terre, la mer, la glace et l’air autour du détroit de Béring, de l’océan Arctique et des autres mers de la région ont été étroitement surveillés pendant toute la guerre froide 4. Des essais nucléaires y ont également été menés, dont trois — souterrains — réalisés à la fin des années 1960 et au début des années 1970 sur l’île d’Amchitka.
L’Alaska est également représentative de l’ensemble de la région arctique.
Si les ressources, la géographie et l’importance stratégique de ce territoire en font un nœud « vital » pour les États-Unis, on pourrait en dire autant de la zone arctique russe, du territoire danois du Groenland et du nord du Canada. Ses habitants, y compris ses deux sénateurs élus — Lisa Murkowski et Dan Sullivan — ont souvent déploré le fait que les présidents et le Congrès américains aient pris pour acquis l’État le plus septentrional du pays. Les infrastructures, notamment portuaires, ont besoin d’investissements urgents et pour un État producteur d’énergie, trop de localités rurales de l’Alaska dépendent encore de générateurs diesel et vivent dans des conditions précaires 5.
Bien que les États-Unis soient un État arctique de par leur géographie et leur situation géographique, les Alaskiens ont souvent le sentiment que les « 48 États contigus » considèrent systématiquement le leur comme une simple unité de production pétrolière — ou une destination touristique coûteuse et impressionnante, réservée à une poignée de privilégiés en quête d’aventure.
Les agences environnementales et les communautés autochtones ont également cherché à présenter l’Alaska comme étant en première ligne face au changement climatique et aux perturbations environnementales, mais cela s’est souvent produit à un moment où de nouveaux projets énergétiques se sont avérés source de divisions au sein même de l’État — le pétrole et les dépenses fédérales consacrées à l’armée américaine restent les piliers de l’économie de l’Alaska.
La terre, la mer, la glace et l’air autour du détroit de Béring, de l’océan Arctique et des autres mers de la région ont été étroitement surveillés pendant toute la guerre froide.
Klaus Dodds
Guerre impériale et extractivisme : le paradigme alaskien selon Donald Trump
Au cours de son premier mandat, Donald Trump avait fait de la « domination énergétique » un thème central 6.
Il souhaitait que les États-Unis deviennent un grand exportateur d’énergie et le premier producteur de pétrole. Il était — et reste — convaincu que les terres fédérales en Alaska et ailleurs doivent faire l’objet d’une exploration et d’une exploitation plus poussées, avec la promesse de créer davantage d’emplois dans le secteur de l’énergie. L’objectif affiché était que les consommateurs américains devraient pouvoir constater une baisse de leurs coûts énergétiques comme conséquence directe de l’expansion du marché de l’énergie.
Tout cela repose sur la conviction de Donald Trump que la sécurité énergétique nationale sera renforcée par la réduction de toute dépendance vis-à-vis de fournisseurs tiers.
En janvier 2025, Trump est revenu sur cette thématique en faisant explicitement référence à la « libération du potentiel extraordinaire » de l’Alaska dans un executive order, tout en affirmant que les adversaires des États-Unis complotaient pour arsenaliser leurs approvisionnements énergétiques :
L’État de l’Alaska dispose de ressources naturelles abondantes et largement inexploitées, notamment en énergie, en minerais, en bois et en poissons. L’exploitation de cette richesse naturelle permettra d’accroître la prospérité de nos citoyens tout en contribuant à renforcer la sécurité économique et nationale de notre pays pour les générations à venir. En développant ces ressources au maximum, nous pouvons contribuer à alléger le poids des prix pour les Américains, créer des emplois de qualité pour nos citoyens, réduire nos déséquilibres commerciaux, renforcer la domination énergétique mondiale de notre pays et nous prémunir contre l’utilisation des approvisionnements énergétiques comme arme par des puissances étrangères sur les théâtres d’opérations géopolitiques. 7
Dans les six mois qui ont suivi ce décret, l’administration a créé un Conseil national pour la domination énergétique et proposé que plus de 80 % de la réserve nationale de pétrole de l’Alaska soit ouverte à la concession pétrolière et gazière 8.
Pour l’administration Trump, la souveraineté, la sécurité et l’identité de l’Alaska tournent donc autour du pétrole et du gaz.
Cela signifie soit ouvrir les terres fédérales à un développement accru, soit les développer les champs pétroliers du North Slope pour permettre une extraction plus importante. Trump a appelé à plusieurs reprises à exporter davantage de GNL de l’Alaska vers les marchés d’Asie de l’Est, en particulier le Japon et la Corée du Sud. Le commerce et les droits de douane ont été utilisés comme un outil de négociation destiné à faire pression sur les clients asiatiques pour qu’ils achètent du gaz américain 9. Le transfert du GNL vers l’Asie permet également de contourner le canal de Panama, peu fiable, et toute conquête supplémentaire des marchés asiatiques du GNL ajoute une pression supplémentaire sur les autres fournisseurs de gaz — notamment la Russie. Les exportations américaines de GNL ont également été liées à tout accord militaire et de sécurité que les États-Unis pourraient conclure à l’avenir. Trump a clairement indiqué que le coût du stationnement des troupes américaines dans des pays tiers tels que la Corée du Sud serait surveillé de près et ferait l’objet de nouvelles demandes 10.
Malgré les arguments en faveur du développement du potentiel éolien considérable de l’Alaska, la tendance est très clairement, une fois de plus, en faveur des hydrocarbures : pour Trump, assurer la sécurité des États-Unis et de l’Alaska signifie investir dans ce potentiel pétrolier et gazier.
Environ 20 000 soldats sont stationnés en permanence en Alaska et ils sont régulièrement déployés dans tout l’État dans le cadre d’entraînements et d’exercices.
Klaus Dodds
Parallèlement, des efforts concertés ont été déployés pour réduire les investissements dans la recherche scientifique américaine sur le changement climatique et, par association, dans certains projets liés à l’Arctique. Les nouveaux investissements dans les brise-glaces, bien que présentés comme une nécessité par le président Trump, sont également entravés par la capacité limitée des chantiers navals américains et leur dépendance à l’égard de l’expertise technique étrangère — la Finlande et le Canada étant les partenaires les plus probables 11. Moscou peut se vanter de disposer d’une flotte de plus de 40 de ces navires, dont huit à propulsion nucléaire. Les États-Unis disposent quant à eux de deux brise-glaces de classe polaire en état de marche.
Mais si les États-Unis manquent peut-être de brise-glaces en Arctique, ils ne manquent pas de capacités militaires stratégiques. Dans un monde où la menace militaire s’intensifie partout, ce sommet en Alaska tombe donc à point nommé.
Environ 20 000 soldats sont stationnés en permanence en Alaska et ils sont régulièrement déployés dans tout l’État dans le cadre d’entraînements et d’exercices 12. Un exercice baptisé Northern Edge, qui a lieu tous les deux ans, se déroulera ainsi à la fin du mois et impliquera la mobilisation de plusieurs milliers de militaires, ainsi que leurs avions et leurs navires, afin de mener des entraînements dans et autour des îles Aléoutiennes, du golfe d’Alaska et du complexe Joint Pacific Alaska Range.
Northern Edge a pour objectif de démontrer l’interopérabilité conjointe, l’état de préparation de la défense nationale et la coordination logistique entre le réseau d’aérodromes, de ports et d’autres installations militaires et civiles de l’Alaska 13.
Parallèlement, le Commandement nord-américain (USNORTHCOM) organisera Arctic Edge 2025, un exercice annuel qui se présente comme un exercice d’entraînement sur le terrain dans plusieurs domaines et impliquant plusieurs sites en Alaska. Des partenaires internationaux, dont le Danemark et le Royaume-Uni se joindront aux Northern Forces, à l’Armée du Nord, aux Forces navales du Nord, aux Forces marines du Nord, aux Forces d’opérations spéciales du Nord et au Commandement de l’Alaska pour une série de missions, notamment le suivi et la traçabilité des menaces de missiles entrants. L’objectif de ces deux exercices est de démontrer la préparation et la capacité de l’armée américaine à défendre le territoire américain contre d’éventuelles menaces.
Le message est clair : les États-Unis s’intéressent à l’avenir de l’Ukraine, mais pas sans tenir compte de leurs ambitions stratégiques plus larges. Si Trump a exprimé à plusieurs reprises sa frustration à l’égard de Poutine et de la Russie, on soupçonne néanmoins que ce sommet en Alaska offre l’occasion de conclure un nouvel accord.
Car dans l’histoire de l’Arctique, les échanges territoriaux, les concessions et les accords fonciers sont monnaie courante. Même si l’Ukraine en est loin, c’est un arrière-plan qu’il ne faut pas négliger.
L’Arctique est également un lieu où les relations commerciales entre les États-Unis et la Russie pourraient être réinitialisées — mais leur ampleur et leur portée seront limitées.
Rien de ce que les dirigeants russes demandent ne sera acceptable pour l’Ukraine, mais le but du sommet de l’Alaska est ailleurs : c’est avant tout une négociation entre grandes puissances.
Klaus Dodds
Après 2014, les investissements et l’engagement commercial américains ont considérablement diminué en raison de l’imposition de sanctions. Les États-Unis ont profité de cette période pour augmenter leur production énergétique nationale et leur potentiel d’exportation. En 2018, les États-Unis ont dépassé la Russie et l’Arabie saoudite en tant que premier producteur de pétrole. La contribution de l’Alaska est toutefois en baisse.
Trump a indiqué à plusieurs reprises qu’il était beaucoup plus enclin à recalibrer ses relations avec la Russie si un cessez-le-feu en Ukraine était obtenu.
Rien de ce que les dirigeants russes demandent ne sera acceptable pour l’Ukraine, mais le but du sommet de l’Alaska est ailleurs : c’est avant tout une négociation entre grandes puissances.
Il s’agira d’un test décisif pour la capacité de Trump à conclure un accord avec Poutine qui aboutisse à un cessez-le-feu et à un compromis acceptable pour l’Ukraine et la Russie dans la mesure où, en l’état, il est demandé à l’Ukraine de céder des territoires à la Russie en échange de la reconnaissance par Moscou du droit de l’Ukraine à exister — même sous une forme réduite.
Le problème fondamental auquel est confrontée l’Ukraine reste intact : sans garanties de sécurité significatives, tout accord apparaîtra comme un prélude à une nouvelle intervention militaire russe.
Trump n’est pas susceptible de changer d’avis sur l’impossibilité pour l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN. La contrepartie qu’il pourrait offrir à Poutine en échange d’un cessez-le-feu comprendrait probablement la fin des sanctions et du gel des avoirs — que la Russie ne s’attendait peut-être pas à récupérer 14 —, de nouveaux accords commerciaux et d’investissement, ainsi que la reconnaissance fondamentale de la sphère d’influence de la Russie. Si certaines spéculations ont couru sur un accord entre les États-Unis et la Russie concernant des contrats miniers en Ukraine, la proposition la plus audacieuse qui ait été avancée jusque là est un accord visant à exploiter conjointement les ressources pétrolières et gazières du bassin sédimentaire du détroit de Béring 15.
Juste avant l’entrée en fonction du président Trump en janvier 2025, le président sortant Biden avait en effet ordonné l’interdiction fédérale des forages offshore le long des côtes de la mer de Béring, au nord de l’Alaska 16. Remettre ces projets au goût du jour en les présentant comme le résultat d’un deal avec Poutine pourrait être un coup politique pour Trump.
Une géopolitique mercantiliste : le sommet de l’Alaska réouvrira-t-il l’ère des sphères d’influence ?
Un dernier élément de contexte doit permettre de comprendre le choix de l’Alaska : l’expansion impériale du territoire américain.
Depuis le début de l’année, Donald Trump n’a eu de cesse de répéter qu’il souhaitait acquérir le Groenland.
La volonté de prise de contrôle du Groenland, du Canada et la domination du canal de Panama font partie intégrante de l’ambition de Trump de renforcer la présence des États-Unis dans l’hémisphère nord-américain. Le changement de nom du golfe du Mexique en « golfe d’Amérique » témoigne de cette aspiration. L’incorporation du Groenland relève donc autant des intérêts économiques et stratégiques des États-Unis que de la volonté d’exclure et de dissuader la Chine — le Groenland étant largement considéré comme riche en minerais rares et autres ressources stratégiques. Trump a également reconnu qu’un Arctique dégelé serait également susceptible de devenir le théâtre d’une activité maritime accrue — ce qui pourrait à nouveau fournir un prétexte à d’autres pour s’immiscer dans la sphère d’intérêt des États-Unis.
Si cette approche ouvertement révisionniste en matière d’acquisition territoriale a suscité des réactions critiques de la part des dirigeants européens et l’indignation des représentants politiques danois et groenlandais, la réaction de Poutine — traduite et commentée dans ces pages — avait été beaucoup plus nuancée.
L’Ukraine devrait se préparer à un sommet en Alaska qui pourrait ne pas déboucher sur un accord décisif, mais qui ouvrirait l’ère d’une « géopolitique mercantiliste ».
Klaus Dodds
Il a sans doute considéré que les ouvertures de Trump étaient simplement emblématiques de ce que font les grandes puissances : elles acquièrent des territoires, cherchent à maximiser leur avantage stratégique et protègent jalousement leur sphère d’influence respective. Le parallèle à établir était bien sûr avec l’Ukraine — et l’offre de la Russie de soutenir l’acquisition du Groenland par les États-Unis en échange de la reconnaissance par ces derniers de l’annexion de l’Ukraine par la Russie. Plus à l’Est, les citoyens de Taïwan pourraient également s’inquiéter que la Russie accepte la « réintégration » de l’île dans la Chine continentale pendant le second mandat de Trump.
Après le sommet de l’Alaska, en septembre, Poutine se rendra en Chine pour assister au sommet annuel de l’Organisation de coopération de Shanghaï.
Le dirigeant russe a également tenu des réunions avec les partenaires des BRICS+, notamment le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud. L’objectif était de rappeler que la Russie n’est pas aussi isolée, économiquement défavorisée et discréditée que les dirigeants européens auraient pu le souhaiter après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.
L’Ukraine devrait donc se préparer à un sommet en Alaska qui pourrait ne pas déboucher sur un accord décisif, mais qui ouvrirait l’ère d’une « géopolitique mercantiliste » qui éroderait davantage les vestiges de l’ordre international libéral.
Poutine et Trump incarnent en effet un nouvel âge : celui de l’érosion des normes, du contournement des règles, de l’accaparement des terres et des ressources, le tout imprégné d’ambition commerciale.
Les deux hommes comprennent le pouvoir des matières premières et n’hésitent pas à soutenir des initiatives visant à renforcer leur pouvoir personnel et politique. Le mot à la mode est désormais « multipolarité » — un raccourci pour désigner un monde où les règles internationales sont contournées, où l’auto-promotion et la protection sont la norme, et où le non-respect des règles est normalisé parce que le « système » ne serait pas équitable.
Un sommet dans une grande base aérienne américaine en Alaska est finalement assez adapté à l’heure des prédateurs.
Nulle part ailleurs la rupture de la coopération circumpolaire n’est aussi évidente que dans la région arctique — et la guerre en Ukraine s’est étendue à l’Arctique russe à la suite d’une attaque de drones ukrainiens contre une base aérienne russe dans le nord-ouest de la fédération 17.
Le très respectable Conseil de l’Arctique, forum intergouvernemental facilitant la collaboration dans l’Arctique, a été vidé de sa substance par la Russie. Et de nouvelles preuves ont été apportées sur la présence de patrouilles navales et aériennes conjointes de la Chine et de la Russie dans et autour du détroit de Béring et du Pacifique Nord 18.
La Chine, la Russie et les États-Unis sont tous, à leur manière, en train de redéfinir l’Arctique et les latitudes nordiques en général comme une région où se cristallisent les ambitions des grandes puissances. Poutine n’a aucun intérêt réel pour la paix en Ukraine et les États-Unis semblent prêts à légitimer la conquête territoriale comme le prix à payer pour un accord avec la Russie.
Un tel accord devrait être impensable compte tenu du mémorandum de Budapest de 1994 et de la déclaration d’Alma-Ata de 1991 sur la reconnaissance et le respect de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières. Mais en Alaska, ce 15 août, il est probable que ces deux accords et ces garanties explicites n’existent plus — et qu’il soit question d’autre chose.
Sources
- Klaus Dodds, « Northward ho ! Obama, Diefenbaker and the North American Arctic », Polar Record, 2016, pp. 252-255.
- Monica Alba et Zoë Richards, « Trump-Putin summit to take place at U.S. military base in Anchorage », NBC News, 13 août 2025.
- Lee A. Farrow, Seward’s Folly : A New Look at the Alaska Purchase, Fairbanks, University of Alaska Press, 2016.
- Matthew Farish, « The Lab and the Land : Overcoming the Arctic in Cold War Alaska », Isis, vol. 104, n° 1, 2013, p. 1-29.
- Mark Moran, « Federal cuts threaten already challenged Alaskan power grid », Public News Service, 10 juillet 2025.
- « U.S. Energy Dominance : Markets Trump Policy In 2017 », Forbes, 22 février 2018.
- « Unleashing Alaska’s Extraordinary Resource Potential », Maison-Blanche, 20 janvier 2025.
- « Fact Sheet : President Donald J. Trump Establishes the National Energy Dominance Council », Maison-Blanche, 14 février 2025.
- Seungjin Choi, « The construction of a gas pipe for the Alaska LNG project site has already been financed », Maeil Business Newspaper, 11 août 2025.
- Lim Hui Jie, « Trump wants a ‘one-stop shopping’ deal with South Korea on trade and defense, but there is a cost », CNBC, 3 juin 2025.
- Klaus Dodds, « The Hitch In Trump’s Plan for Arctic Dominance », The Spectator, 10 février 2025.
- Mark Thiessen, « US troops finish Alaska deployment amid spike in Russian activity », Army Times, 21 septembre 2024.
- « Service members, ships and aircraft meet in Alaska for Northern Edge 25 », Pacific Air Forces, 13 août 2025.
- Alexander Conner et David Wessel, « What is the status of Russia’s frozen sovereign assets ? », Brookings, 24 juin 2025.
- Brendan Cole, « Trump Reportedly Offering Putin Natural Resources Off Alaska Sparks Fury », Newsweek, 14 août 2025.
- Malte Humpert, « Biden Bans New Offshore Drilling in Arctic Bering Sea Ahead of Incoming Trump Administration », High North News, 7 janvier 2025.
- Malte Humpert, « Ukraine War Reaches Arctic With Massive Drone Attack on Olenya Air Base Near Murmansk », High North News, 2 juin 2025.
- Heather Williams, Kari A. Bingen et Lachlan MacKenzie, « Why Did China and Russia Stage a Joint Bomber Exercise near Alaska ? », CSIS, 30 juillet 2024.