La guerre russe contre Noël

Lundi 9 décembre, le directeur du Projet fédéral pour la sécurité et la lutte contre la corruption (FPBC), Vitaly Borodine, a adressé une lettre au procureur général de Russie demandant à ce que le Père Noël soit officiellement reconnu comme étant un « agent de l’étranger » ¹. Le personnage légendaire bien connu dans les pays occidentaux contribuerait à « détruire les valeurs traditionnelles russes ».

La demande de Borodine est, comme un certain nombre de ses requêtes, vraisemblablement restée lettre morte.

• Borodine est un avocat connu en Russie pour livrer une guerre contre toute personnalité publique incarnant une ligne qui s’éloignerait de l’agenda conservateur et traditionaliste de Vladimir Poutine.
• Il s’en est notamment pris au printemps 2023 à Lia Akhedjakova, une icône du cinéma soviétique puis russe en raison de sa condamnation de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine et, plus largement, de la politique du Kremlin.
• Peu de temps avant, Borodine accusait la chanteuse et cofondatrice du groupe de rock russe Notchnye Snaïpery, Diana Arbenina, du même « crime » ². Depuis mars 2022, des amendements portés au code pénal et au code sur les infractions administratives rendent illégales les « actions publiques visant à discréditer » l’armée russe — ce qui inclut notamment l’appel à l’arrêt des combats.

Borodine considère que la puissance économique de la « marque Père Noël » — qu’il estime à 1 600 milliards de dollars, soit plus que la valorisation boursière de Meta ou Tesla — permet à « de nombreuses entreprises étrangères de financier l’image du Père Noël en Russie ». L’objectif des acteurs occidentaux œuvrant en sous-main à cet effet consisterait à « détruire les valeurs traditionnelles russes » et, ultimement, remplacer le Père Noël traditionnel russe : Ded Moroz, ou grand-père Gel.

• Les « représentants » de Ded Moroz eux-mêmes (en réalité une société créée par les autorités de l’oblast de Vologda, où l’on peut visiter la résidence du Père Noël russe) ont eux-mêmes rejeté la proposition de Borodine, arguant que celle-ci était « illogique » ³.
• Pour cause : Ded Moroz a été promu à partir des années 1990 comme une alternative visant à lutter contre la présence de plus en plus prégnante du Père Noël occidental dans le paysage publicitaire russe. Il faisait auparavant partie depuis sa réhabilitation par Staline en 1935 de la propagande communiste visant à repousser le capitalisme américain.
• La lutte de certains acteurs proches du Kremlin contre le Père Noël s’inscrit dans un effort plus large de « protection » de la Russie face aux influences extérieures. Celle-ci passe par le ralentissement intentionnel de l’accès à YouTube, l’interdiction de médias occidentaux ou bien la création d’une alternative russe à Wikipedia, Ruwiki.

Cette lutte dépasse également les frontières de la Russie. Selon le gouvernement ukrainien, les autorités administrant les régions de l’Ukraine partiellement occupées par l’armée russe ont mis en place une interdiction pour les enfants de mentionner la Saint-Nicolas ainsi que le Père Noël pendant les vacances de fin d’année ⁴. En cette période de fêtes, le programme du matin dans les écoles primaires et maternelles y sera consacré à la « culture russe », sa mythologie et ses contes de fées — dont est issu Ded Moroz.