Dés-occidentaliser le monde : la doctrine Karaganov
Pour contrer l’Occident, l’architecte intellectuel de la ligne dure du Kremlin a un concept : la « Majorité mondiale ». Dans un rapport en 55 pages, Sergueï Karaganov expose point par point sa stratégie pour « articuler les échelles », arsenaliser le Sud global et assurer l’hégémonie russe sur la planète. Nous publions intégralement et pour la première fois en français le document de politique étrangère russe le plus complet et le plus important depuis la doctrine Primakov—commenté par Marlène Laruelle.
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- Marlène Laruelle •
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Depuis l’invasion militaire de l’Ukraine et le découplage massif avec l’Occident, la Russie s’est réorientée vers le « Sud Global », qui lui permet à la fois de contourner l’isolement occidental et les sanctions qui l’accompagne — mais également de continuer ses politiques de diversification idéologique.
Le « Sud Global » est en effet devenu l’objet de toutes les attentions de la politique étrangère russe et le nouveau théâtre de la compétition idéologique avec l’Occident, dans des accents qui rappellent ceux des années de guerre froide lorsque les États-Unis et l’Union soviétique se confrontaient par proxy en Amérique Latine et en Afrique.
Si ce tournant est sans précédent depuis 2022, il n’est pas nouveau : dès les années 1990, Evgueni Primakov, premier ministre et ministre des Affaires étrangères sous Boris Eltsine avait théorisé l’idée d’une Russie post-soviétique tournée vers le partenariat avec la Chine et l’Inde et refusant la domination occidentale de la scène internationale.
Le texte que nous vous proposons ici est un document fondamental de ce tournant vers le monde non-occidental. Il écrit par un collectif d’experts russes en 2023 et dirigé par Sergueï Karaganov, l’un des architectes intellectuels de la politique étrangère russe, directeur du très influent Conseil de politique étrangère et de défense représentant les « faucons » au sein du régime russe.
Ce texte propose un travail de réflexion et d’action sophistiqué pour mettre en œuvre ce que Moscou appelle dorénavant la « Majorité mondiale » — un terme qui lui permet de renvoyer l’Occident à son statut de minorité démographique et culturelle sur la planète. Il permet de saisir les clefs de lecture russes de la scène internationale : déclin géopolitique, économique et moral de l’Occident, opposition entre le « milliard doré » et la « majorité globale », constitution d’un monde multipolaire dans lequel la Russie joue le rôle de pôle civilisationnel entraînant les autres dans la résistance au néo-impérialisme occidental, et stratégie de conquête « des cœurs et des esprits » de cette majorité globale afin de transformer un monde non-occidental en un monde anti-occidental.
La Russie joue un rôle clef dans les processus de « désoccidentalisation » du monde : si elle peut être une puissance mineure sur certains aspects — contribution à l’économie mondiale, démographie — elle est reste centrale dans la formulation d’un monde post-occidental — et post-libéral — et la mise en place de politiques de diplomatie publique et d’influence qui accélèrent la recomposition de l’ordre international en défaveur de l’Occident.
Cet article est un nouvel épisode de notre série « Doctrines de la Russie de Poutine » qui traque, traduit, décortique et analyse les textes canoniques et actuelles des idéologues du régime russe — dans leurs différentes variations. Ce travail n’est possible que grâce à votre soutien. Si vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner.
Introduction
Les objectifs 1 de cette étude comprennent l’élaboration de principes de base, d’orientations et d’objectifs pour travailler avec la Majorité mondiale 2, y compris la formulation d’un programme de développement mondial et d’une politique mondiale qui serait une alternative à celle d’aujourd’hui. Les échelles régionales et nationales devraient faire l’objet de recherches distinctes.
La notion de Majorité mondiale est devenue centrale dans le langage politique russe. Elle évite judicieusement le concept contesté de « Sud Global » et préfère promouvoir un terme sans connotation spatiale — ce qui évite à la Russie de devoir expliquer si elle est au « Nord », au « Sud » ou à « l’Est ». L’idée de « Majorité mondiale » insiste sur une domination numérique qui permet de relativiser l’Occident en tant que « minorité ».
Avec le début de l’opération militaire spéciale (ci-après, « la SVO ») en Ukraine, le domaine de la politique étrangère russe a été divisé en deux. D’une part, une coalition de plusieurs dizaines d’États dirigée par les États-Unis, qui introduit de nouvelles mesures punitives contre la Russie, se donne pour tâche d’isoler le pays politiquement et économiquement et participe activement à la guerre par procuration contre la Russie sur le territoire de l’Ukraine. D’autre part, le reste du monde : plus d’une centaine de pays qui ont de facto adopté une position neutre, et beaucoup une position favorable à Moscou (« constructive », dans la terminologie du Concept de la politique étrangère de la Fédération de Russie) par rapport au conflit d’Ukraine, c’est-à-dire continuer à commercer et à entretenir divers contacts.
Ce calcul est discutable, puisque la Russie a été condamnée pour l’invasion de l’Ukraine à l’Assemblée Générale de l’ONU par plus de 140 pays, avec seulement 5 contre et 35 s’abstenant. Ce que le rapport évoque en réalité c’est l’application des sanctions, qui n’ont été votées en effet que par le « Nord » géopolitique — pays de l’OTAN, Australie, Nouvelle Zélande, Japon, Corée du Sud…— laissant l’ensemble du reste du monde, soit plus d’une centaine de pays, poursuivre leurs relations économiques avec la Russie.
La Majorité du monde n’est pas anti-occidentale, bien qu’objectivement ses besoins contredisent les intérêts occidentaux, tels qu’ils sont formulés par les élites mondialistes actuelles.
Les pays du « Sud et de l’Est » sont les alliés naturels de la Russie dans la démocratisation de l’ordre mondial, l’élimination des pratiques néocoloniales, des outils de pression et de chantage des systèmes politiques et monétaires mondiaux.
Les principales sources extérieures de notre développement et les possibilités de l’influence russe sur l’environnement international sont en dehors du monde occidental. La Majorité mondiale a une valeur indépendante, travailler avec elle nécessite des méthodes de diplomatie en réseau, la création d’alliances conjoncturelles ouvertes sur les intérêts. C’est cette direction qui devient la clef de la diplomatie russe.
Il existe une contradiction objective entre la thèse de la multipolarité/politisation de l’ordre mondial émergeant et la capacité à assurer l’égalité de tous les États, en particulier les petits. Pour l’aplanir, il est nécessaire de régionaliser la politique mondiale et le développement mondial, en transférant l’activité mondiale au niveau des clusters régionaux.
L’idée de régionalisation de la politique mondiale est intéressante et reprend indirectement la vision russe d’une planète divisée en grandes aires civilisationnelles, conduites par une grande puissance régionale et des « satellites » autour d’elle.
Le principal conflit du monde moderne est la contradiction entre, d’une part, la volonté de l’Occident, avec à sa tête les États-Unis, de préserver son hégémonie de cinq siècles qui lui a permis de redistribuer les richesses du monde en sa faveur et d’imposer sa culture et ses ordres politiques au monde et, d’autre part, le désir des pays non occidentaux d’accéder à une souveraineté pleine et entière, non contrainte par les dogmes, les institutions et les ordres de l’Occident. Seule une véritable souveraineté garantit la liberté de développement et permet une participation équitable à l’économie mondiale.
La SVO est devenu un tournant et un catalyseur de ces tendances, un test de la préparation des pays au développement indépendant et à la défense des intérêts nationaux. Le conflit armé en Ukraine a déjà conduit à la formation de la Majorité mondiale en tant que phénomène établi des relations internationales.
La Russie devrait se positionner comme une force qui, non pas par hasard, mais en raison de son histoire et de ses spécificités culturelles et civilisationnelles, s’est trouvée à l’avant-garde de la lutte contre l’hégémonie de l’Occident.
Après le déclenchement de la crise ukrainienne, les relations avec les pays de la Majorité mondiale se sont révélées être l’atout le plus important de la politique étrangère russe. L’existence d’un réseau de pays incontrôlés ou non entièrement contrôlés par l’Occident rend impossible l’isolement de la Russie, limite considérablement l’efficacité des sanctions anti-russes.
Sous la direction de Giuliano da Empoli.
Avec les contributions d’Anu Bradford, Josep Borrell, Julia Cagé, Javier Cercas, Dipesh Chakrabarty, Pierre Charbonnier, Aude Darnal, Jean-Yves Dormagen, Niall Ferguson, Timothy Garton Ash, Jean-Marc Jancovici, Paul Magnette, Hugo Micheron, Branko Milanovic, Nicholas Mulder, Vladislav Sourkov, Bruno Tertrais, Isabella Weber, Lea Ypi.
La victoire de la Russie en Ukraine sera un élan pour changer davantage l’équilibre mondial des pouvoirs en faveur du respect mutuel et du dialogue égal, l’établissement à l’avenir d’un ordre mondial basé sur la diversité culturelle et civilisationnelle. La défaite, même conditionnelle, signifiera un ralentissement voire un renversement partiel du processus d’émancipation de l’hégémonie occidentale.
Le texte est explicite sur le fait que la guerre en Ukraine est, par-delà la nature localisée du conflit, une guerre globale entre l’Occident et la Russie pour redessiner l’ordre mondial. Malgré un discours en faveur de la multipolarité du monde, le discours russe reste donc parfois empreint de bipolarité, car il suppose que le vainqueur de la guerre en Ukraine sera doté d’une légitimité globale. Cependant, pour les pays de la « Majorité mondiale », la guerre en Ukraine est une guerre locale, interne au « Nord Global », qui n’a pas d’influence autre que déstabilisatrice sur ce que doivent être les nouveaux équilibres internationaux.
La Majorité mondiale n’est pas quelque chose d’extérieur à la Russie. La Russie elle-même est un participant actif, sa ressource géopolitique la plus importante et, en fait, son noyau politico-militaire.
Stratégiquement, la politique à l’égard de la Majorité mondiale est un programme de construction d’un nouvel ordre mondial. L’élaboration d’un tel programme et de la stratégie à long terme qui lui est associée (par exemple, jusqu’en 2040) est une tâche prioritaire.
La Russie est multivalente en termes de capacité à comprendre et à interagir avec une grande variété de pays, de cultures et de civilisations. Il est conçu pour devenir un générateur de nouvelles idées et pratiques de coopération interétatique.
Les BRICS peuvent être considérés comme l’avant-garde de la Majorité mondiale (Fig. 1) et en partie l’OCS (Fig. 2) avec leur potentiel pour l’établissement de normes et de standards, la mise en œuvre de politiques et la création d’institutions alternatives aux institutions occidentales.
La Majorité mondiale en tant que produit de son propre développement, de ses principes, de ses méthodes et de ses pratiques de relations est un prototype du monde futur, qui n’est pas unifié par définition. Pour cette raison, le leadership au sein de la Majorité ne peut impliquer la domination de qui que ce soit, toutes les idées ne sont possibles que si elles sont acceptées volontairement par toutes les parties prenantes.
(Tous les graphiques et cartes présentés dans l’article sont reproduits directement du rapport Karaganov)
Dans les relations avec les États de la Majorité, un accent particulier devrait être mis sur la construction conjointe de l’infrastructure de coopération en tant qu’élément du nouvel ordre mondial : un système alternatif pour fournir des biens publics internationaux (principalement dans des domaines tels que la finance mondiale, les relations commerciales et d’investissement, les normes technologiques, la logistique, les ressources d’information, l’énergie et la sécurité alimentaire). Et, bien sûr, assurer, y compris par des moyens militaro-politiques, la souveraineté la plus complète possible des pays de la Majorité mondiale. L’avantage des pays occidentaux au niveau des institutions et dans le domaine de la technologie créera des difficultés, ce qui implique des tâches respectives pour la Majorité, y compris la Russie.
Les principales orientations fonctionnelles de la stratégie russe par rapport à la Majorité mondiale sont les suivantes (cf. figure ci-dessous) : déplacement accéléré du centre de développement spirituel et matériel de la Russie vers l’Oural et l’ensemble de la Sibérie ;
Le rapport reprend là des thèmes très anciens, déjà présents au XIXe siècle, selon lesquels si la Russie veut éviter l’européanisation de sa culture, elle se doit de déplacer ses centres culturels (et ici spirituels) vers la Sibérie. L’immense masse continentale sibérienne est au cœur d’un imaginaire utopique de ré-invention d’une identité russe éloignée des modèles occidentaux. Il y a donc « spatialisation » de l’identité russe et de son rapport à l’Europe.
développement des relations commerciales et économiques avec les partenaires traditionnels et nouveaux ; mise en œuvre de projets technologiques, en particulier biotechnologiques et technologies de l’information et de la communication, y compris les plateformes technologiques ; développement de nouveaux corridors logistiques pour pénétrer les marchés mondiaux ; assurer la présence systématique de la Russie sur les marchés en croissance (Afrique, Asie du Sud-Est, Amérique latine).
La direction connexe est une forte expansion des connaissances sur les pays de la Majorité mondiale, une augmentation du contenu sur ces pays et de ces pays à la disposition du public russe.
Les priorités institutionnelles sont les suivantes : développer de propres organisations pour les pays de la Majorité mondiale, dans lesquelles les pays occidentaux ne sont pas représentés, accent mis sur le développement des BRICS, de l’OCS, la création accélérée de plateformes technologiques avec ces pays, l’expansion intensive des contacts dans le domaine de l’éducation et de la science.
En termes de valeurs, la Russie se concentre sur la promotion du renforcement des institutions étatiques et la libération des États de la dépendance néocoloniale ; le respect de l’identité socioculturelle de tous les pays et peuples ; la protection des valeurs humaines, consacrées par toutes les religions, cultures et civilisations du monde, contre les valeurs anti-humaines promues par l’Occident et les idées de « transhumanisme » ; le maintien fondamental de la diversité et du pluralisme idéologique et éthique.
Ce paragraphe reflète le cœur du nouveau discours anticolonial russe, qui reprend des thèmes inspirés de l’héritage soviétique et tiers-mondiste, dorénavant associés à un anticolonialisme « de valeurs ». La mention récurrente du transhumanisme est intéressante car elle confirme que les auteurs russes suivent les constructions idéologiques venues de la Silicon Valley — un rappel des décennies de guerre froide où la concurrence technologique et spatiale était au centre de la relation États-Unis/Union soviétique.
Il est nécessaire d’améliorer considérablement l’efficacité du système d’assistance aux États étrangers. Au lieu de financer les programmes des organisations internationales, dans lesquels l’aide russe est dépersonnalisée, elle devrait être dirigée directement vers les bénéficiaires.
Il est nécessaire de préciser, de clarifier et de développer davantage les projets étrangers russes apolitiques, qui ont été annoncés ces dernières années, mais restent incomplets sur le plan organisationnel et conceptuel. Nous parlons principalement de l’idée du Partenariat eurasiatique élargi, ainsi que du concept de sécurité dans la région du golfe Persique.
Puisque l’Occident continue d’augmenter le volume de l’assistance militaire à Kiev jusqu’à la création des conditions pour frapper le territoire russe, il est conseillé de préparer les cercles dirigeants et les sociétés des pays à Majorité mondiale à la possibilité d’une nouvelle escalade du conflit, y compris par une implication politique ou même — dans des cas extrêmes — directe du facteur nucléaire. La discussion même de cette question avec les cercles politiques et experts des pays de la Majorité mondiale sera un facteur puissant pour dissuader l’Occident et briser sa volonté de comportement agressif.
Il s’agit là de l’un des sujets les plus sensibles pour la Russie : son partenaire chinois en particulier, ainsi que la majorité des pays non-occidentaux, sont en effet très attachés au principe de dissuasion nucléaire et ont signalé à plusieurs reprises leur opposition à une escalade nucléaire. L’idée évoquée ici de devoir les préparer à cette éventualité confirme que les auteurs ont bien noté les réticences de la « Majorité mondiale » mais considère que la potentialité d’un conflit nucléaire doit être mise sur la table : Sergueï Karaganov l’a mentionnée explicitement à plusieurs reprises en 2023.
1. Les deux domaines de la politique étrangère russe
1.1. La politique étrangère russe, selon le Concept actuel de la politique étrangère de la Fédération de Russie (ci-après dénommé « le Concept »), procède de l’autodétermination culturelle et civilisationnelle de la Russie en tant que « pays-civilisation unique, vaste puissance eurasiatique et euro-pacifique », accomplissant une « mission historique unique qui consiste à maintenir l’équilibre global des puissances » au sens large de ce concept.
Cette définition de la Russie, tirée du principal document officiel de politique étrangère publié en 2023, synthétise les principaux principes idéologiques du régime : la Russie comme État-civilisation, à cheval sur deux continents, dotée d’une mission universelle de pivot de l’ordre mondial. Tous ces concepts étaient présents dans les discours officiels depuis des années mais c’est le tournant stratégique de l’invasion de l’Ukraine qui a permis au régime de donner à ces éléments épars la cohérence qui leur manquait.
1.2. Avec le début de l’opération militaire spéciale (SVO) en Ukraine, le domaine de la politique étrangère russe a été divisé en deux. D’une part, une coalition de plusieurs dizaines d’États dirigée par les États-Unis, qui introduit de nouvelles mesures punitives contre la Russie, se donne pour tâche d’isoler politiquement et économiquement notre pays et participe activement à la guerre par procuration contre la Russie sur le territoire de l’Ukraine. Il s’agit d’une véritable guerre de l’Occident, menée dans une version hybride. Il n’y a jamais eu de coalition hostile de cette ampleur contre notre pays dans l’histoire moderne. De l’autre côté, le reste du monde : plus d’une centaine de pays qui ont de facto adopté une position neutre, et pour beaucoup une position favorable à la Russie par rapport au conflit en Ukraine. Ceux-là veulent continuer à commercer avec la Russie et maintenir divers contacts. La non-adhésion aux sanctions anti-russes est le critère principal pour déterminer l’appartenance d’un pays au nombre d’États amis. Il est cependant inévitable qu’il y ait une certaine « zone grise » d’États qui dépendent de l’Occident à des degrés divers et qui se sont définis différemment dans le contexte du conflit actuel.
1.3. La nature fondamentale — non seulement géopolitique et géo-économique, mais aussi basée sur les valeurs et, dans le plein sens du mot, civilisationnelle — de la confrontation entre la Russie et l’Occident signifie que le conflit sera long. Soit la Russie défendra le droit à un développement libre et sûr dans un monde libéré de l’hégémonie américaine et occidentale, soit les États-Unis et leurs alliés seront en mesure d’éliminer la Russie en tant que puissance indépendante et intégrale. La normalisation des relations avec la majeure partie de l’Occident, même à moyen terme, est non seulement impossible, mais également non rentable, car elle détournera l’attention de la tâche de restructuration de l’économie et de la société russes pour l’existence dans le monde extrêmement conflictuel et instable de la prochaine décennie et demie, réorientation vers de nouveaux marchés. La normalisation, quand elle vient, devrait être effectuée à partir de la position de l’une des puissances centrales de la Majorité mondiale. Nous partons d’une hypothèse sans ambiguïté sur un nouvel affaiblissement ondulatoire du rôle et des positions de l’Occident dans la géopolitique, la géo-économie et les sphères idéologiques mondiales. L’Occident est une structure puissante mais historiquement en retrait.
L’idée que les tensions géopolitiques entre Russie et Occident sont de nature « civilisationnelle » est présente dans les discours officiels russes depuis 2008. La perception d’un Occident en décadence dans son influence économique et politique mondiale est apparue dans les textes russes à la même époque, après la crise économique de 2007-2008, interprétée par les experts russes comme Karaganov comme la confirmation de l’échec d’un modèle de développement occidental.
1.4. En revanche, les relations de la Russie avec le deuxième groupe de pays sont à la hausse. Le commerce se développe, les contacts à différents niveaux se multiplient, la communication entre les personnes commence à s’intensifier. Bien sûr, le conflit en Ukraine a également affecté les relations avec cette partie de la communauté internationale. En général, les pays d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique latine sont pour nous le territoire de paix, mais aussi l’espace de la concurrence géopolitique et autre avec l’Occident, particulièrement acharnée au stade actuel de la stratification géopolitique de la communauté mondiale.
1.4.1. Il est nécessaire de faire la distinction entre les élites de pays spécifiques de la Majorité mondiale et leur population. Les élites, étant intégrées dans le système de coordonnées occidental, ne sont pas toujours prêtes à faire un choix clair. Mais la direction du mouvement vers une plus grande indépendance ne fait pas l’ombre d’un doute, et elle doit être promue.
1.4.2. Dans de nombreux pays de la Majorité mondiale, y compris dans l’opinion publique, il est entendu que la confrontation entre la Russie et l’Occident crée les conditions du renforcement de la souveraineté et de l’indépendance de ces pays, élargit leur champ à la politique étrangère et aux manœuvres culturelles et civilisationnelles.
1.4.3. La Russie agit comme une force qui s’est trouvée à l’avant-garde de la lutte avec l’Occident non pas par hasard, mais en raison de son histoire et de son identité nationale. En conséquence, les attaques de l’Occident contre la Russie sont une lutte contre l’émancipation de la Majorité. Il convient de souligner la continuité de ce positionnement international de la Russie, en notant, par exemple, l’importance de la révolution russe pour le « réveil de l’Est » et le rôle considérable de l’Union soviétique dans le processus de décolonisation.
1.5. La tâche la plus importante dans un avenir proche est de transformer la coopération avec les pays de la Majorité mondiale en une ressource fiable et croissante de notre lutte pour la civilisation russe et le monde russe, pour un ordre mondial juste et démocratique basé sur les buts et principes de la Charte des Nations Unies et l’ensemble des instruments juridiques internationaux de nature universelle. Une telle interaction, coopération et partenariat sont essentiels pour atteindre nos objectifs stratégiques.
1.6. Les États neutres et/ou constructifs à notre égard, à de rares exceptions près, ne sont pas des alliés de la Russie. Le conflit en Ukraine n’a pas divisé le monde en deux camps. La Majorité mondiale n’est pas une formation monolithique ou un bloc. Ce sont des dizaines et des centaines de communautés diverses avec une culture originale, leurs propres traditions politiques et différents niveaux de développement. Structurellement, il se compose de pays-civilisations, comme la Chine et l’Inde, ainsi que de communautés civilisationnelles — arabo-musulmanes, africaines, de l’ASEAN, d’Amérique latine, des Caraïbes et autres.
Le rapport est explicite sur la diversité intrinsèque de cette « Majorité mondiale » et ne nie pas l’absence d’une identité de bloc. La perception russe se fonde sur une vision civilisationnelle classique, que l’on pourrait dire huntingtonienne, des grandes aires civilisationnelles.
Ce sont ces acteurs qui joueront un rôle clef dans la formation d’un ordre mondial polycentrique. Le signe des temps est aux tendances centripètes dans le développement des communautés et des régions civilisationnelles non occidentales, et dans le développement des liens inter-civilisationnels. La Russie entretient des relations de partenariat amicales avec toutes les communautés qui font partie de la Majorité mondiale. Enfin, en raison de l’ouverture culturelle, la Russie est appelée à devenir une « civilisation des civilisations » — un unificateur universel. C’est un avantage et une réserve énorme pour l’avenir. C’est en dehors du monde occidental que se situent les principales sources de notre développement et les opportunités d’impact sur le monde.
L’idée d’une « civilisation des civilisations » reprend des thèmes anciens de la pensée russe présents par exemple chez les slavophiles et chez Dostoïevski, selon lesquels la mission universelle de la Russie serait de protéger la diversité biblique du monde — un héritage du romantisme germanique et de son rôle majeur dans le monde intellectuel russe, qui prône une vision organiciste du monde.
1.6.1. Les pays du Sud et de l’Est sont nos alliés naturels dans la résolution du problème de la démocratisation de l’ordre mondial, l’élimination des pratiques néocoloniales, des outils de pression et de chantage des systèmes politiques, monétaires et financiers mondiaux ; ils sont nos partenaires dans l’ajustement de l’agenda des organisations internationales dans le sens de la prise en compte des intérêts de tous les peuples non liés au « milliard doré ». Approfondir un partenariat global avec la Majorité mondiale est une tâche stratégique à long terme.
Le rapport insiste sur l’idée que les organisations internationales et l’ordre mondial sont fondamentalement favorables aux intérêts du « milliard doré », c’est-à-dire du monde occidental blanc, auquel la Russie est généralement associée. C’est toute l’ambiguïté du positionnement russe, car par bien des aspects la Russie est une puissance conservatrice de l’ordre mondial, qui bénéficie de son statut d’État successeur de l’Union soviétique, doté de son siège au Conseil de Sécurité, et dont l’économie et la démographie sont en déclin.
1.6.2. Ces pays et leurs peuples partagent avec nous des valeurs humaines normales (ils sont souvent appelés conservateurs). S’unir autour d’eux contre les valeurs posthumaines et même anti-humaines imposées par les élites occidentales modernes à leurs sociétés et au monde entier est une direction importante de la politique russe envers la Majorité mondiale.
On retrouve ici le thème clef des valeurs traditionnelles promues par le régime russe depuis le tournant conservateur de 2012 et régulièrement mentionnées par Vladimir Poutine. L’idée que les valeurs « normales » sont « conservatrices » confirme la vision ontologique du régime pour qui l’être humain ne peut s’extirper de son milieu social et culturel et des hiérarchies traditionnelles.
1.7. Le système économique du monde moderne est principalement contrôlé par les mondialistes occidentaux. Dans l’environnement mondial de l’information, l’Occident domine également. De nombreux pays neutres de facto votent à l’Assemblée générale des Nations Unies et d’autres organisations internationales en faveur des résolutions anti-russes préparées par les gouvernements occidentaux. C’est le résultat de pressions politiques. Une partie considérable des États qui ont refusé de se joindre aux sanctions sont contraints dans la pratique de suivre les restrictions de sanctions imposées par les États-Unis et leurs alliés afin d’éviter des sanctions secondaires contre eux-mêmes.
1.7.1. Néanmoins, l’émergence d’un grand groupe de nouveaux États neutres (les anciens neutres européens ont renoncé à la neutralité et ont rejoint les États-Unis) est un facteur important du développement mondial, indiquant le rétrécissement de la sphère d’influence de l’Occident collectif et devenant un choc pour les élites occidentales.
1.8. Il peut sembler qu’une telle division du monde — sur la base de l’attitude de certains pays envers la Russie dans les conditions des objets géocroiseurs — soit subjective et même aléatoire. En fait, la SVO n’a fait que catalyser des tendances qui se développaient déjà, incitant de nombreux pays à l’autodétermination dans le contexte d’une révolution géopolitique. L’hégémonie mondiale américano-occidentale, établie de facto après l’effondrement de l’Union soviétique, a culminé au début du XXIe siècle et a commencé à s’effondrer. Incarnant la dépendance néocoloniale de l’ensemble du monde non occidental, elle a paralysé le développement mondial et provoqué une transformation géopolitique radicale.
1.9. La Majorité mondiale n’est pas l’anti-Occident, bien qu’objectivement ses intérêts soient opposés aux intérêts de l’Occident, tels qu’ils sont formulés par les élites occidentales actuelles. La Majorité mondiale a sa propre valeur, il est nécessaire de travailler avec elle principalement à travers les outils de la diplomatie en réseau, la création d’alliances situationnelles ouvertes d’intérêts. C’est ce qui devient la tâche clef de la diplomatie russe, détermine la nature de ses ressources et de son personnel. L’objectif de la politique étrangère et des activités économiques étrangères de la Russie est de briser la volonté de confrontation de l’Occident et de persuader les capitales occidentales de se retirer de manière relativement pacifique. Une politique active et proactive à l’égard de la Majorité mondiale vise également cet objectif.
Insister sur le fait que cette « Majorité globale » n’est pas un anti-Occident est fondamental. Il confirme que Moscou a bien conscience des difficultés à opérationnaliser cette « Majorité globale » et des tensions existant entre un projet politique non-occidental voulu par la majorité des pays du « Sud Global » et un projet politique anti-occidental souhaité par la Russie et partiellement par la Chine.
1.9.1. L’Occident est encore relativement monolithique, son unité est assurée à la fois par des intérêts communs (extraction de rente géopolitique) et par la politique disciplinaire de Washington. Les nouvelles méthodes de travail de la politique étrangère de la Russie n’ont pas encore été maîtrisées. À mesure que notre influence globale augmente, les pays de la Majorité mondiale peuvent devenir le facteur le plus important pour desserrer l’unité de l’Occident.
1.10. L’avantage des pays occidentaux au niveau des institutions et dans le domaine de la technologie crée des difficultés compréhensibles et fixe les tâches respectives pour la Majorité. La ressource et la source d’autorité la plus importante de l’Union soviétique a été la percée technologique et économique des deux premières décennies d’après-guerre. Elle devra être répétée dans de nouvelles conditions historiques, sur une nouvelle base technologique et en partenariat égal avec les pays de la Majorité.
1.11. Les principaux pays de la partie non occidentale du monde — la Chine et l’Inde – prétendent être des puissances mondiales ; un certain nombre d’acteurs régionaux — de la Turquie et de l’Arabie saoudite au Brésil et au Mexique et de l’Iran à l’Afrique du Sud — se sont engagés sur la voie de l’affirmation de l’indépendance de sa politique étrangère, comblant le vide créé par le rétrécissement de la « supervision stratégique » des États-Unis/Occident.
1.11.1 Il existe une contradiction objective entre la thèse de la multipolarité/ polycentricité de l’ordre mondial émergent et la nécessité d’assurer l’égalité de tous les États, en particulier les petits. Il peut être lissé grâce à la régionalisation de la politique mondiale et du développement mondial avec le transfert de l’activité principale au niveau des clusters régionaux. De manière générale, le nouvel ordre mondial « croîtra » par le bas à partir de ce qui se passe aux niveaux régional et sous-régional. Dans un tel schéma, les BRICS créeront les conditions d’une émancipation universelle au niveau mondial — et l’OCS au niveau de la Grande Eurasie. En plus de l’opposition générale à l’hégémonie occidentale, ces structures formeront des plateformes et des outils alternatifs, prouvant leur rôle de fournisseurs de « biens publics internationaux » sans leur facturer de rente néocoloniale.
Ce paragraphe confirme que l’État russe a pris conscience des ambivalences de sa propre analyse de la scène internationale, qui hésite entre deux visions du monde : une égalité de fait des États au nom de leur souveraineté absolue et l’existence de pôles d’attraction formés par une puissance régionale qui dispose de pays « satellites » en « orbite » autour d’elle. Pendant longtemps Moscou a soutenu cette seconde vision de l’ordre international, car elle permettait de justifier l’idée d’une sphère d’influence de la Russie sur son « étranger proche », mais les tensions que cette vision suscite ont été notées par l’appareil politique russe.
1.12. Les pays de la Majorité Mondiale représentent non seulement maintenant la Majorité de la population mondiale ; leur produit intérieur brut agrégé a déjà dépassé le PIB de l’Occident collectif (Fig. 5-6). Seuls cinq pays BRICS représentent plus des deux cinquièmes de la population mondiale et génèrent plus d’un tiers du produit intérieur brut mondial. Les BRICS sont déjà plus importants que les « sept » des principales économies occidentales.
1.12.1. Les pays de la Majorité abriteront une centaine de grandes mégalopoles et un nombre croissant de grandes plateformes technologiques. Il ne s’agit pas seulement d’une nouvelle redistribution de l’économie mondiale en faveur des pays producteurs de ressources — y compris le traitement de leurs ressources et l’utilisation dans ces pays, par exemple, la création d’industries à forte intensité énergétique, ce qui serait vrai pour la Russie. L’Afrique est la plus grande source de croissance économique mondiale. C’est elle qui jettera les bases économiques d’un développement mondial plus harmonieux et plus équilibré à long terme. Les pays occidentaux devront prouver leur statut de fournisseurs de « biens publics internationaux ». Jusqu’à présent, l’Occident dans son ensemble est perdant et est contraint de se tourner vers la force et la pression économique. Priver l’Occident de la capacité d’imposer ses intérêts par la force renforce les avantages concurrentiels des pays en développement, y compris les avantages territoriaux, les avantages liés aux ressources et les avantages démographiques. Le rôle politique des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables augmentera.
1.13. Sur les neuf puissances nucléaires du monde moderne, six — la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord — sont situées en dehors de l’Occident. De nombreux pays de la Majorité ont des forces armées de plus en plus puissantes. La prédominance militaire de l’Occident — la base historique de son hégémonie — reste dans le passé, notamment en raison de la contribution de l’Occident collectif à la croissance des conflits dans un certain nombre de régions du monde non occidental, mais surtout en raison de la croissance de la puissance militaire de la Russie, de la Chine et d’autres pays de la Majorité mondiale.
2. Le phénomène de la Majorité mondiale
2.1. La SVO est devenue un test de la préparation réelle des pays au développement indépendant et à la défense des intérêts nationaux. En fait, le conflit armé en Ukraine a donné l’impulsion à l’émergence d’un nouveau phénomène — la Majorité mondiale, luttant pour l’indépendance politique ou, du moins, la politique étrangère et l’autonomie stratégique des États-Unis et de ses alliés. À l’heure actuelle, cela se manifeste par le retrait de leur agenda, une sorte de politique de « désobéissance civile » dans le domaine de la politique étrangère. Et dans un effort pour résoudre les problèmes de leur propre développement en surmontant la dépendance néocoloniale à l’égard des anciennes métropoles.
La Russie voit la guerre en Ukraine comme un événement de portée internationale qui symbolise le choc entre le monde occidental et le monde non-occidental — une perception qui n’est pas celle de la « Majorité mondiale » pour qui la guerre est avant tout un conflit interne au « Nord ». Le conflit entre Israël et le Hamas est perçu comme bien plus international dans sa portée que la guerre par proxy entre les Occidentaux et les Russes menée en Ukraine.
2.1.1. Le principal conflit du monde moderne est la contradiction entre l’hégémonie mondiale des États-Unis/de l’Occident, qu’il tente de défendre par une contre-attaque désespérée, en particulier en Ukraine, et le désir des pays non-occidentaux d’une souveraineté à part entière, non contrainte par les dogmes, les institutions et les ordres occidentaux. Ces pays, y compris la Chine, ne sont pas intéressés par un conflit avec l’Occident et préconisent des méthodes évolutives de transformation de l’hégémonie occidentale comme étant les moins coûteuses. Personne ne veut risquer la stabilité interne, dont la perte entraînera des chocs mondiaux. En conséquence, la Russie ne doit pas donner l’impression qu’elle cherche à impliquer les pays de la Majorité mondiale dans un conflit avec l’Occident de son côté.
2.1.2. L’opinion a été exprimée que l’essentiel est la contradiction entre le développement basé sur la diversité et le pluralisme des systèmes de valeurs et des modèles socio-économiques, d’une part, et l’unification des États-Unis/de l’Occident comme moyen d’assurer leurs intérêts égoïstes, d’autre part. Au sein du système qu’elles contrôlent, les élites occidentales continuent de fournir certains biens publics internationaux, mais le prix à payer pour en bénéficier est de moins en moins favorable au reste d’entre nous.
2.1.3. La montée du monde non occidental soulève également une question plus large : qu’est-ce qui constitue le pouvoir cumulatif de l’État dans les circonstances actuelles ? La dialectique des différents éléments constitutifs d’un tel pouvoir est complexe et nécessite une étude distincte.
2.2. Depuis le début de la crise ukrainienne, les relations avec les pays de la Majorité mondiale se sont révélées être l’atout le plus important de la politique étrangère russe. L’existence d’une communauté de pays non contrôlés ou pas entièrement contrôlés par l’Occident rend impossible l’isolement de la Russie dans le monde, limite considérablement l’efficacité des sanctions anti-russes. Le rôle du dollar en tant que principale monnaie de réserve demeure et les pays de la Majorité mondiale sont « liés » par les conditions des institutions de développement occidentales, la perspective même de relations qualitativement nouvelles et significatives entre la Russie et les États majoritaires sert d’indication de changements cardinaux dans l’équilibre mondial des pouvoirs et est à juste titre perçue par l’Occident comme une menace à l’hégémonie.
En effet, le refus des pays non-occidentaux d’appliquer les sanctions à l’encontre de la Russie aide le pays à gérer le découplement avec l’Occident et à réorienter ses flux commerciaux avec des pays du « Sud Global » qui fonctionnent essentiellement sur une politique étrangère transactionnelle et qui promeuvent, selon la formule indienne, le multi-alignement.
2.3. La victoire de la Russie en Ukraine deviendra un élan pour changer davantage l’équilibre mondial des pouvoirs en faveur de relations de respect mutuel, l’établissement à l’avenir d’un ordre mondial polycentrique basé sur la diversité culturelle et civilisationnelle du monde. L’avis a été exprimé qu’une telle victoire pourrait devenir un sujet de préoccupation pour un certain nombre de pays du monde non occidental comme preuve de l’entrée des relations internationales dans la phase de rivalité des grandes puissances avec la suppression de la souveraineté d’autres pays, principalement petits — cette thèse est présente dans le discours occidental. Dans le même temps, nous assistons à la transition vers un monde post-Occidental, dont la structure sera déterminée collectivement par tous les pays dans l’esprit des exigences de la Charte des Nations Unies et de l’ensemble établi de normes universelles du droit international. Il est nécessaire d’exposer la volonté de l’Occident de nier l’ordre mondial d’après-guerre avec le rôle central de l’ONU en promouvant un « ordre fondé sur des règles », qui est une forme de dictature. Tous les participants ont convenu que le travail pertinent de notre part devrait être guidé par l’objectif positif d’assurer l’égalité des chances et un espace de libre développement pour tous les États.
2.4. La Majorité mondiale n’est pas quelque chose d’extérieur à la Russie. La Russie elle-même est un participant actif, la ressource géopolitique et militaire la plus importante. Elle démontre le plus clairement un engagement en faveur de la souveraineté, de l’autosuffisance économique, de l’identité spirituelle et culturelle, ainsi que la capacité de se défendre et d’aider les autres à défendre la liberté de choix. La tâche de la Russie dans le cadre de la Majorité mondiale devrait être de fournir une base idéologique et intellectuelle. Cela correspondrait aux dispositions de base du concept de politique étrangère actualisé de la Russie, qui énonce une autodétermination culturelle et civilisationnelle claire du pays en tant que nouvelle qualité du facteur russe dans la politique mondiale.
Le texte illustre les tensions du projet politique russe, qui hésite entre reconnaître un monde non-occidental fait de différents puissances égales et l’idée quasi-messianique que la Russie peut prendre la tête d’une coalition non-occidentale et qu’elle offre un langage civilisationnel et spirituel dont les autres pays peuvent s’inspirer.
2.5. La Russie est polyvalente dans sa capacité à comprendre et à interagir avec une grande variété de pays, de cultures et de civilisations. La compatibilité culturelle et civilisationnelle découlant de l’identité russe est opposée à la vision du monde et à la culture politique occidentales, qui se caractérisent par des méthodes de coercition et de violence, de dictature et de contrôle.
2.6. La Majorité mondiale n’est pas une association homogène. Il existe de fortes contradictions entre les pays. Il suffit de mentionner la Chine et l’Inde, l’Inde et le Pakistan, l’Arabie saoudite et l’Iran et d’autres pays. Par conséquent, la politique de la Russie, basée sur un ensemble de principes, est dans un sens pratique délibérément variable et axée sur un résultat spécifique dans chaque cas. Exemples (de différentes étapes de mise en œuvre) : le processus d’Astana sur la Syrie, le processus de Moscou sur l’Afghanistan, les propositions pour un système de sécurité régional dans la région du golfe Persique — entre l’Iran et le Conseil de coopération du Golfe.
2.6.1. Bien que la Majorité mondiale ne soit pas un monolithe face à une union consolidée des pays occidentaux, cela ne peut être un problème que du point de vue de la politique des blocs. Son inertie continue de se faire sentir dans diverses régions du monde, mais dans une mesure décroissante (par exemple, le bloc AUKUS Pacific a dû être créé sur une base exclusivement anglo-saxonne). Au contraire, l’hétérogénéité de la Majorité reflète l’état naturel du monde avec sa diversité culturelle et civilisationnelle. Il ne peut y avoir d’avant-garde ici. Des groupes de pays ayant certains intérêts qui se recoupent en partie, en fonction de leur niveau de développement, de leur géographie et de facteurs culturels et civilisationnels, sont unis par un désir commun d’émancipation de l’hégémonie occidentale, qui est devenue un frein au développement mondial.
2.6.2. Il y a des pays comme la Russie, la Chine — bien que Pékin cherche à éviter une confrontation directe avec les États-Unis —, l’Iran et la Corée du Nord, qui sont déjà en conflit avec l’Occident. D’autres acteurs sont à des degrés divers amis de la Russie — comme la Turquie, que cela ne les empêche pas de fournir des armes à Kiev —, mais ils ne peuvent pas échapper à la participation aux sanctions occidentales. Le rôle du troisième groupe est joué par des neutres conditionnels qui n’ont pas rejoint les sanctions, mais ne soutiennent pas directement la Russie, par exemple, quittent la salle lors du vote sur les résolutions occidentales ou s’abstiennent. Il y a des pays qui n’ont pas officiellement introduit de sanctions, mais qui y adhèrent strictement de manière informelle. Les différences s’ajoutent aux facteurs d’ordre formels, qu’il s’agisse, par exemple, de nos alliés de l’OTSC ou de nos partenaires de l’UEEA.
2.6.3. L’affaiblissement de l’hégémonie mondiale de l’Occident stimulera la tendance à la régionalisation. À partir des clusters régionaux, une nouvelle politique se développera par la suite au niveau mondial. Cela impliquera un changement progressif des priorités des pays. Par exemple, Israël fait partie d’institutions centrées sur les États-Unis, mais est objectivement étroitement lié à son environnement du Moyen-Orient — le monde arabo-musulman. Le Japon, la Corée du Sud et le Pakistan sont susceptibles de s’immerger dans leurs systèmes régionaux de relations à mesure qu’ils surmontent le positionnement international imposé par l’extérieur et l’influence croissante des facteurs d’identité culturelle et civilisationnelle.
2.6.4. La domination idéologique de l’Occident au cours des siècles passés a déformé l’image naturelle du monde, le développement de régions entières et de pays individuels. Le concept même d’« idéologie » est un produit de la civilisation occidentale. Ce qui s’est passé au cours des trente dernières années est un excès, qui par son radicalisme n’entre dans aucun dénominateur commun du développement mondial et est, de fait, rejeté par la plupart des pays (y compris même ceux d’Europe de l’Est). En d’autres termes, l’Occident s’isole, en révélant sa spécificité, à laquelle il a droit, mais bien comme une civilisation parmi tant d’autres, et non comme une hégémonie.
Le texte s’inscrit dans une pensée civilisationnelle très présente dans le monde intellectuel russe, inspirée entre autres par la pensée eurasiste qui, dès le début des années 1920, expliquait que l’hégémonie épistémologique et identitaire occidentale devait être réfutée pour laisser au reste du monde la capacité à se penser dans des cadres non-occidentaux. En ce sens, le texte reprend implicitement les principes de la pensée postcoloniale.
2.7. La Majorité mondiale, dont certains membres sont motivés par des intérêts nationaux, ne doit pas être comparée au Mouvement des non-alignés de la guerre froide, qui a délibérément cherché à s’isoler, à se sortir de la confrontation militaire et idéologique aiguë entre l’URSS et les États-Unis. La Majorité, au contraire, prétend jouer un rôle de plus en plus important dans les processus mondiaux. Maintenant, en plus du Mouvement des non-alignés évolué, il y a le Groupe des 77 (à l’ONU), auquel 134 États participent réellement. Sur un large éventail de questions, ils ont leur propre agenda, qui est ignoré par l’Occident. La Russie devrait le soutenir d’une manière systémique.
2.8. L’avant-garde de la Majorité mondiale peut être considérée comme les BRICS et en partie l’Organisation de la Coopération de Shanghaï avec leur potentiel pour l’établissement de normes, la conduite de politiques et la création d’institutions d’une nouvelle ère, ainsi qu’un certain nombre de pays qui sont les plus actifs pour s’émanciper de l’hégémonie occidentale (Cuba, Venezuela et autres). Contrairement au Mouvement des non-alignés, ces formats et d’autres, y compris le Groupe des 77, ne sont pas des « ballasts » qui auraient pour fonction de « ne pas renverser le bateau mondial », mais des participants actifs à la lutte pour le futur ordre mondial.
2.9. À la suite de la crise dans le camp de l’Occident collectif, certains pays occidentaux commenceront à rejoindre la Majorité mondiale, dans laquelle les élites atlantistes devront céder le pouvoir à des forces orientées vers le national. Pour ce faire, le conflit entre la discipline de bloc (OTAN) et les diktats des organismes supranationaux (Union européenne), d’une part, et les intérêts nationaux, d’autre part, doit être résolu.
Le texte prend note de la présence grandissante de forces illibérales dans le monde occidental, avec lesquelles la Russie a des affinités idéologiques certaines. Depuis plus d’une décennie, Moscou a en effet cultivé ses liens avec les partis d’extrême droite et les différentes forces souverainistes, y compris à gauche. Bien que ces relations aient été secouées par l’invasion de l’Ukraine, les affinités idéologiques restent présentes.
2.10. Ainsi, le concept de Majorité Mondiale n’est pas anti-occidental. C’est l’idée de libération de l’hégémonie de toutes les puissances qui poursuivent l’objectif d’unifier l’humanité sur la base d’une idée/d’un modèle mondialiste. La Majorité mondiale est un environnement qui rejette délibérément toute unification, donc tout empiètement de ce type par quiconque — y compris les puissances potentiellement dominantes comme la Chine. La Majorité mondiale en tant que produit de son propre développement, de ses principes, de ses méthodes et de ses pratiques de relations mutuelles est un prototype du monde futur, qui n’est pas unifié par définition.
2.11. Il convient de réfléchir à la nécessité d’une idéologie de la Majorité. Mais le concept même d’« idéologie » est un produit spécifique de la civilisation occidentale. La Majorité mondiale devrait venir « de la vie », des besoins réels de développement qui répondent à l’identité culturelle et civilisationnelle des pays et de leurs associations. Il ne s’agit pas de produire une idéologie, mais il est possible d’élaborer un récit commun qui intègre les attitudes communes des différentes cultures.
2.12. La question de l’arrangement réglementaire et pratique de la Majorité sera résolue par les méthodes de diplomatie en réseau et la création d’alliances situationnelles ouvertes opérant sur la base du consensus ou par la formation de groupes de pays intéressés.
2.13. La « mutation extrémiste » de l’idée libérale, aujourd’hui présentée en Occident, devrait être qualifiée de produit spécifique et non internationalisable de la civilisation occidentale. Nous avons besoin de notre propre réponse aux défis les plus aigus du développement humain, des questions environnementales aux questions éthiques liées aux technologies modernes, correspondant aux traditions culturelles et philosophiques des différentes civilisations. Suivre aveuglément l’agenda occidental est non seulement inutile, mais aussi nuisible.
L’idée que le libéralisme se serait perdu dans des dérives postmodernes et progressistes — certains diraient « woke » — domine la pensée intellectuelle et politique russe et avait été explicitement mentionnée par Vladimir Putin en 2019 dans son entretien au Financial Times où il expliquait que le libéralisme était « obsolète ». Le régime mentionne régulièrement les droits LGBTQ+ ; le droit au changement de genre et la « cancel culture » comme symbole de cette « mutation extrémiste » perçue par les élites russes comme un suicide civilisationnel de l’Occident.
3. Les principes fondamentaux d’une approche russe de la Majorité mondiale
3.1. La Russie fait partie de la Majorité mondiale, une communauté civilisationnelle et culturelle qui s’oppose objectivement à l’Occident universaliste et mondialiste qui cherche à prolonger son hégémonie par tous les moyens. L’approche russe vise à construire une nouvelle infrastructure de l’ordre mondial conjointement avec les pays de la Majorité mondiale, dont le contrôle sera réparti entre les États et leurs associations, les pôles d’infrastructure, les pôles de transport et de logistique, les échanges, les centres de certification et de normalisation, et non entre les mains d’une puissance, de ses satellites et de ses institutions, comme c’est le cas actuellement.
3.1.1. L’horizon opérationnel d’une telle transformation géopolitique est de 10 à 15 ans. Elle s’accélèrera à mesure que s’accumulera une masse critique de changements institutionnels et autres.
3.2. Les pays d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique latine figurent parmi les priorités inconditionnelles de la politique russe dans un avenir prévisible.
3.3. Dans les pays d’Europe, au Japon, dans d’autres États alliés des États-Unis et aux États-Unis eux-mêmes, la Russie doit soutenir publiquement les forces qui défendent des politiques fondées sur les intérêts et les valeurs nationales de leurs pays. L’arrivée au pouvoir de telles forces contribuera à la normalisation de l’Europe et de l’Anglosphère en tant que deux régions distinctes, bien que liées, les civilisations, ainsi que l’émancipation politique du Japon et de la Corée du Sud. Dans le même temps, la crise actuelle peut contribuer au succès des groupes nationalistes radicaux et agressifs dans un certain nombre de pays occidentaux, ce qui nécessitera une dissuasion active de la part de la Russie.
On voit ici la ligne d’équilibrisme difficile que Moscou doit tenir envers l’Europe : le projet politique russe est d’espérer que l’Europe continentale se détache des valeurs transatlantiques (« l’anglosphère ») et donc que les forces souverainistes puissent graduellement déconstruire l’Union européenne dans sa relation aux États-Unis, tout en évitant que les partis nationalistes antirusses — par exemple en Pologne, dans les pays baltes, etc. — ne prennent le dessus et conduisent à une politique étrangère européenne encore plus défensive à l’encontre de Moscou.
3.4. Un accent particulier devrait être mis dans les relations avec les États de la Majorité mondiale sur la construction avec eux d’un système alternatif pour fournir des biens publics internationaux (principalement dans des domaines tels que la finance mondiale, les relations commerciales et d’investissement, les normes technologiques, la logistique, les ressources d’information, l’énergie et la sécurité alimentaire).
3.5. Il convient de souligner que le nouvel ordre mondial que nous entendons construire n’est pas une autre édition du « concert des États » (« oligarchie au lieu de monarchie »), mais un modèle polycentrique, où l’interaction multilatérale des États souverains et des plateformes civilisationnelles exclut l’hégémonie de quiconque.
3.5.1. Ce sera un ordre mondial basé sur le droit international, la confirmation par les États participant aux relations internationales des principes de la Charte des Nations Unies, parmi lesquels l’essentiel est l’égalité souveraine des États.
3.5.2. Une partie importante des élites des pays non occidentaux (y compris la Chine) est toujours encline à croire en la possibilité d’une évolution en douceur de l’hégémonie occidentale vers quelque chose de collectif. Un travail explicatif est nécessaire sur le sujet de l’incapacité organique des élites occidentales modernes à renoncer à leur hégémonie, qui s’est transformée en mode d’existence pour elles. Alors que l’Occident entre dans une défense agressive sourde, il n’est pas prêt à reconsidérer sa ligne. Il est dans l’intérêt de la Majorité mondiale de construire une large autonomie multiforme vis-à-vis de l’Occident et des institutions qu’il contrôle à travers la création de plateformes alternatives, de formats multilatéraux de coopération et de pratiques. Sinon, les coûts de l’effondrement à venir de l’hégémonie occidentale retomberont également sur nos pays. Nous devons être prêts à ce que la formation d’une nouvelle infrastructure de l’ordre mondial s’accompagne non seulement d’une résistance active de l’hégémon en retraite, mais aussi d’une augmentation des coûts de transaction et d’une volatilité accrue.
3.6. Il est nécessaire d’assurer le leadership intellectuel et pratique de la Russie dans les institutions créées par les pays de la Majorité mondiale.
3.7. Il faut engager la lutte contre le protectionnisme technologique occidental, intensifier les mesures pour éviter le monopole du dollar.
3.8. Pour nos partenaires de la Majorité mondiale, le développement est un impératif et une priorité absolue. En conséquence, les pays de l’Ouest tenteront d’influencer les politiques des pays de la Majorité mondiale, en limitant ou, à l’inverse, en leur ouvrant l’accès aux marchés et aux technologies. Une coopération réussie avec les partenaires nécessite une compréhension précise de leurs intérêts, problèmes et aspirations. Nous devons approfondir et élargir nos connaissances sur les pays et les régions de la Majorité, y compris le développement spectaculaire des études orientales, des études africaines et de l’étude de l’Amérique latine et des Caraïbes.
4. Les principales orientations fonctionnelles de la stratégie russe par rapport à la Majorité mondiale
4.1. Développement accéléré des régions de la Russie elle-même — la région de l’Oural et l’ensemble de la Sibérie, directement en contact avec les pays d’Asie.
L’idée de développer la façade pacifique de la Russie afin de profiter du dynamisme asiatique est un thème ancien de l’action politique russe, avec des succès très limités car pour des raisons aussi bien démographiques — faible population — que politiques — centralisation excessive par Moscou — la Russie a du mal à mettre à profit sa grande masse sibérienne.
4.2. Mise en œuvre de projets technologiques conjoints, y compris dans le domaine de la biotechnologie et des technologies de l’information et de la communication. Utilisation de l’interaction avec les États les plus avancés technologiquement de la Majorité mondiale pour accélérer les développements scientifiques et techniques nationaux, assurer une percée technologique et des marchés manquants pour les produits russes à forte intensité technologique.
Le Kremlin espère depuis longtemps pouvoir devenir une puissance technologique de pointe capable de concurrencer les États-Unis et la Chine mais cette stratégie a échoué et le pays est au contraire sur une dynamique d’archaisation technologique due au découplage avec l’Occident et risque de devenir à terme un client des technologies chinoises sans capacité à diversifier ses partenariats.
4.3. Développement de nouveaux corridors logistiques pour entrer sur les marchés mondiaux afin de compenser le blocage de la logistique dans la direction occidentale en développant des connexions dans la direction méridionale. Il s’agit du corridor Nord-Sud reliant la Russie à l’Iran, à l’Inde, au Pakistan, aux pays du Proche et du Moyen-Orient et à l’Afrique, ainsi que des routes maritimes autour du continent eurasien : de manière conventionnelle, le demi-cercle Mourmansk-Mumbai, dont la route maritime du Nord fait partie ; mais aussi en direction de l’est et du sud — à travers la Mongolie et l’interface avec l’initiative chinoise « One Belt, One Road ».
4.4. Assurer notre présence systémique sur les nouveaux marchés en croissance (Afrique, Asie du Sud-Est, Amérique latine).
4.5. Promotion de la création de nouvelles bourses internationales de matières premières (métaux, céréales, or, diamants et autres biens), indépendantes des bourses anglo-américaines.
4.6. Formulation de la vision russe de la réforme de l’ONU, qui prévoirait, en particulier, l’inclusion au Conseil de sécurité en tant que membres permanents à part entière de l’Inde, du Brésil, de représentants du monde arabo-musulman et de l’Afrique, tandis que l’Allemagne et le Japon, en tant que pays pas tout à fait souverains sous occupation étrangère, ne peuvent pas revendiquer un rôle spécial. Un avis a été exprimé sur l’opportunité d’introduire une composition semi-permanente tournante pour 12 puissances régionales — qui refléterait la structure civilisationnelle du monde — avec la question de la représentation excessive de la civilisation occidentale — son segment anglo-saxon et l’Union européenne. Cette vision inclusive, basée sur le modèle civilisationnel des relations internationales, doit être promue dans les contacts diplomatiques avec les pays de la Majorité mondiale et publiquement — comme le seul moyen d’assurer l’efficacité de l’ONU et de son rôle en tant qu’organe central de coordination de la communauté mondiale au stade critique actuel.
4.7. Promotion de l’initiative visant à déplacer le siège des organisations du système des Nations Unies et ses bureaux des États-Unis et d’Europe vers d’autres régions (par exemple, à Dubaï, Istanbul, Le Caire, Addis-Abeba, Kuala Lumpur, Jakarta, Shanghai, Samarkand).
Ces paragraphes montrent la feuille de route de la politique étrangère russe dans sa logique de « désoccidentalisation » des institutions internationales : réforme de l’ONU afin de donner plus de représentation aux pays non-occidentaux sans prendre le risque de voir le statut de la Russie au Conseil de Sécurité remis en cause, renforcement des institutions régionales et régionalisation de la globalisation.
4.8. Assistance aux pays partenaires dans le renforcement de leur sécurité nationale.
4.9. Formulation et promotion d’idées russes et communes avec des États partageant les mêmes idées dans des domaines tels que l’assistance aux pays en développement, la protection de l’environnement — en général, c’est-à-dire pas seulement et pas tant la lutte contre le changement climatique —, la sécurité alimentaire mondiale et autres.
4.10. Créer et renforcer une approche équilibrée des problèmes qui sont maintenant couverts par le concept occidental d’ESG (Environmental, Social, and Corporate Governance), l’agenda climatique et les questions de propriété intellectuelle. Il serait essentiel de proposer conjointement une nouvelle politique de conservation qui devrait être une alternative à l’« agenda vert » de l’Occident, visant à préserver les avantages du « milliard doré ».
La pensée environnementaliste russe est dominée par les théories de la conservation, c’est-à-dire la constitution de zones naturelles préservées des activités humaines — ce que la Russie peut se permettre étant donné son territoire immense et le rôle de la Sibérie pour la biosphère — sans remettre en cause la prééminence des énergies fossiles — centrale pour le budget d’État — et le productivisme.
4.11. Coordonner les positions des pays de la Majorité mondiale sur la régulation de l’Internet et des réseaux sociaux, lutter contre la censure des plus grandes entreprises technologiques occidentales, éliminer la fracture numérique et assurer la souveraineté de l’information.
4.12. Promouvoir la sécurité régionale par des initiatives diplomatiques (par exemple en Transcaucasie, dans la région du golfe Persique, en Asie centrale), des opérations militaires, comme en Syrie, par la présence militaire russe — permanente et temporaire — dans plusieurs régions du monde.
4.13. Promotion – avec d’autres pays intéressés — de l’idée de l’inadmissibilité du gel des réserves d’or et de change des États, de la création d’un « club anti-sanction » des États pour la protection conjointe des intérêts contre les empiétements de l’Occident.
La Russie s’inquiète des intentions occidentales de redistribuer les avoirs gelés de la Banque centrale russe — ou tout au moins les bénéfices — pour la reconstruction de l’Ukraine et est intéressée à voir émerger un bloc de puissances régionales ouvertement opposées aux politiques d’extraterritorialité du droit américain et du dollar.
4.14. Création de nos propres agences de notation avec les pays des BRICS et de l’OCS.
4.15. Entrée active sur les marchés de l’éducation d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine — augmentation du nombre de branches étrangères des principales universités russes ; expansion de la formation de spécialistes dans les universités russes pour les pays de la Majorité mondiale ; création d’universités en réseau dans le cadre des BRICS.
4.16. Utilisation du potentiel russe dans la lutte contre les infections et la création de vaccins, la formation de plateformes appropriées avec les pays intéressés de la Majorité mondiale.
4.17. Création d’un consortium international d’information multimédia avec un comité de rédaction conjoint, auquel participeraient les principaux médias orientés vers le monde des pays BRICS et de l’OCS, dont le siège serait situé dans l’un de ces pays.
4.18. Mener une diplomatie publique active à travers les institutions de la société civile, les centres de sciences politiques et les médias, en la plaçant sur une base systématique avec l’allocation d’un financement adéquat, y compris par le biais de partenariats public-privé. En général, nous devrions parler d’une forte augmentation des contacts entre les personnes, y compris le tourisme et les liens et échanges culturels.
Ces paragraphes reflètent la politique russe de diplomatie publique et le retour à des pratiques inspirées des traditions soviétiques : quotas pour étudiants étrangers afin de sécuriser les liens humains avec les élites du « Sud Global », promotion de la diplomatie de vaccination et de santé russe, renforcement de l’influence médiatique russe à l’étranger avec RT et Sputnik qui se sont réorientés vers le « Sud Global » après avoir été bannis d’Occident en 2022.
5. Priorités : la dimension institutionnelle
5.1. Il est nécessaire pour les États de la Majorité mondiale de former et de développer leurs propres organisations, dans lesquels les pays occidentaux ne sont pas représentés. Les principaux domaines d’intervention dans le domaine du renforcement des institutions sont les suivants.
5.2. Développement des BRICS sur le principe de l’architecture ouverte — en tant qu’institution de classe mondiale pour la formulation de l’agenda politique et économique et la coordination des efforts des principaux pays de la Majorité mondiale sur les questions majeures. En fait, c’est le prototype de l’organisation du nouvel ordre mondial — le développement et la mise en œuvre du concept de monnaie ou d’autres moyens de règlement des pays BRICS (« nouveau Bretton Woods »), donnant aux BRICS des fonctions réglementaires, par exemple, dans la normalisation, la certification des vaccins, la réglementation des normes de cybersécurité (« les BRICS demain, c’est l’ONU après-demain »).
5.2.1. En l’absence de consensus sur l’institutionnalisation des BRICS dans un avenir proche, le développement complet des formats BRICS+, en cela compris BRICS+OCS, BRICS+UEE, BRICS+Mercosur, BRICS+ Union africaine, BRICS+ASEAN, conformément aux initiatives pertinentes des partenaires des BRICS et à la préparation des structures pertinentes pour la coopération.
5.3. L’idée de créer le format « Groupe des 77 + Russie » devrait être envisagée (la Chine a un format similaire).
5.4. Expansion et augmentation de l’efficacité de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), y compris en tant que sous-région eurasienne du système des BRICS ; transformation de l’espace de l’OCS en Grande Communauté eurasienne de sécurité et de développement.
5.4.1. Développement complet des formats OCS+, y compris l’établissement d’une interaction avec des structures telles que l’ASEAN, le GCC, le RCEP et l’AIIB.
5.4.2. Les plus grandes civilisations — indienne, islamique, chinoise, russe, d’Asie centrale et autres — devraient devenir le point d’assemblage d’un nouveau modèle de sécurité et de coopération internationales sur un immense continent. La tâche la plus importante de l’OCS, avec la création d’une communauté de sécurité et de développement, est d’accroître la connectivité interne de la Grande Eurasie, qui est trop dépendante des routes maritimes. Enfin, une tâche de grande importance se dessine : le développement des échanges culturels, scientifiques, techniques et humanitaires entre les peuples du continent, qui communiquent souvent davantage avec et par l’intermédiaire de partenaires éloignés qu’avec leurs voisins immédiats (« l’OCS est une Eurasie sûre et prospère »).
5.5. Interaction au sein de l’OPEP+ et avec les pays exportateurs de gaz dans l’intérêt des pays exportateurs et des autres pays de la Majorité mondiale et assurer la stabilité des marchés de l’énergie sur cette base (« OPEP+ et FPEG, Forum des pays exportateurs de gaz = stabilité énergétique mondiale »).
5.6. Activer le triangle Russie-Inde-Chine en tant que forum d’interaction et aplanir les contradictions entre les deux principaux partenaires stratégiques de la Russie, l’Inde et la Chine.
5.7. Renforcer le rôle de la Russie dans l’Organisation de la coopération islamique — le plus grand forum des États musulmans.
5.8. Favoriser une interaction plus active avec les pays de la Majorité mondiale dans le cadre des forums mondiaux : l’ONU ; le G20 (dont la moitié des membres sont la Majorité mondiale) ; un certain nombre d’organes spécialisés de l’ONU, y compris l’OMS, l’UNESCO et d’autres. Une attention particulière est accordée à leur réforme conformément aux aspirations des pays de la Majorité Mondiale.
6. Politique russe : la dimension des valeurs
6.1. Promouvoir le renforcement des institutions étatiques et la libération des pays de la dépendance néocoloniale — la Russie a ici un avantage en tant que puissance qui n’avait pas de colonies d’outre-mer —, privant les pays de la Majorité mondiale de liberté de manœuvre et d’espace dans le domaine de leur propre développement. Le système de domination occidentale traverse une crise et cesse de fournir des « biens publics internationaux », et le modèle de développement occidental a épuisé ses ressources — qui sont devenues l’un des facteurs clés de la crise du développement mondial.
On voit ici que la Russie se pense comme puissance anticoloniale, dans la pure tradition soviétique, tout en refusant de s’interroger sur son propre passé colonial-impérial. La définition du colonialisme comme étant d’avoir des colonies d’outre-mer permet aux auteurs russes d’éviter de regarder l’espace postsoviétique et le territoire russe comme étant partiellement construits sur des logiques coloniales-impériales.
6.2. Respect de l’identité socioculturelle de tous les pays et peuples — la Russie elle-même est un exemple de cohabitation pacifique et de coopération de nombreux groupes ethniques, cultures, religions au sein de sa propre civilisation.
6.3. Protection des valeurs humaines, sanctifiées par toutes les religions, cultures et civilisations du monde, contre les idées anti-humaines du « transhumanisme » promues par l’Occident.
6.4. Respect de la souveraineté des États et de leurs intérêts nationaux (la tâche de la politique étrangère de la Russie est d’harmoniser les intérêts des parties).
6.5. Le droit au développement
6.6. Égalité des États.
6.7. Justice.
6.8. Solidarité et entraide.
6.9. Respect des traditions des peuples comme base du développement interne des États.
6.10. Intérêt mutuel.
6.11. Ouverture et transparence.
6.12. Tolérance et respect des religions.
6.13. Priorité des valeurs collectives sur les valeurs individuelles.
7. Les points fondamentaux de la nouvelle politique par rapport aux différentes régions de la Majorité mondiale
Cette partie est bien plus développée que les autres sections du document, avec des détails sur la politique étrangère russe envers les différentes régions du monde. C’est un sujet sur lequel l’expertise russe s’est consolidée depuis plus d’une décennie.
7.1. L’affiliation politique de la Russie avec la Majorité mondiale ne signifie pas son entrée dans le « Sud global », ni son identification complète avec lui. Sur le plan géographique, géo-économique, géoculturel, climatique et sur d’autres points, la Russie reste un pays du Nord. Les problèmes du changement climatique, de la démographie — y compris la migration démographique — de l’alimentation, de la dette et des ressources naturelles ne sont pas les mêmes pour la Russie que pour de nombreux pays de la Majorité mondiale. Dans les cas où les intérêts coïncident, l’interaction et les alliances situationnelles sont nécessaires ; lorsqu’elles divergent ou même se heurtent, les contradictions doivent être gérées. Pour un certain nombre de pays de la Majorité mondiale, nous pouvons être une source de solutions à leurs problèmes, par exemple, pour servir de garant de la nourriture, de l’énergie, de l’information, de la sécurité militaire et d’autres types de garanties de sécurité.
7.1.1. L’appartenance de la Russie à la région arctique fait de l’Arctique une ressource puissante pour l’interaction avec les pays qui s’y intéressent parmi la Majorité mondiale. Cette circonstance peut à l’avenir encourager la coopération entre des pays appartenant à l’Occident collectif comme le Japon et la Corée du Sud, en particulier les membres du Conseil de l’Arctique, qui ne résisteront pas à la transformation de l’Arctique en une arène de confrontation.
7.2. En principe, la Russie n’a pas et ne prévoit pas d’alliés permanents – à l’exception de la Biélorussie dans le cadre de l’État de l’Union [l’Union de la Russie et du Bélarus]. Les relations avec les pays de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) sont, en effet, de nature partenariale, sans obligations politiques ou militaires fermes. Il en va de même pour les pays de l’Union économique eurasiatique (UEEA). L’amélioration de l’efficacité de la politique de la Russie dans l’espace de l’ex-URSS fait l’objet d’une étude distincte. Moscou doit travailler dans l’environnement immédiat de manière beaucoup plus active et flexible, en interagissant avec un plus large éventail de contreparties au niveau national et intra-pays, y compris celles qui sont en conflit les unes avec les autres. En dehors de l’OTSC/CEE, l’Ouzbékistan, en tant que plus grand pays d’Asie centrale, et l’Azerbaïdjan, en tant que voisin immédiat et partie du corridor Nord-Sud, sont particulièrement importants.
On voit ici la Russie se présentant comme une grande puissance solitaire — « sans alliés » à l’exception du Bélarus — mais articulant une identité planétaire qui s’étend de l’Arctique à l’alliance avec le « Sud Global ».
7.3. La Russie a un partenariat stratégique unique avec la Chine, qui, contrairement à une alliance formelle, exclut la hiérarchie et les obligations strictes. Dans les conditions modernes, la République populaire de Chine et la Russie sont la ressource géopolitique, géo-économique et militaro-stratégique la plus importante l’une pour l’autre (Fig. 13).
La poursuite du rapprochement avec la Chine est due non seulement aux besoins internes des deux États, mais aussi à la dynamique des relations russo-américaines et sino-américaines — mais elle ne devrait pas en dépendre. Les États-Unis espèrent vaincre les deux adversaires séparément, en évitant une « guerre sur deux fronts » ; il est dans l’intérêt de la Russie et de la Chine d’empêcher Washington de réaliser ces plans stratégiques en lui imposant, ainsi qu’à l’Occident dans son ensemble, une confrontation avec deux grandes puissances à la fois. Cette option est évidemment inabordable pour les États-Unis et inacceptable pour les alliés européens. Il est nécessaire de maintenir des relations étroites entre Moscou et Pékin, en particulier dans les domaines commercial, économique et de la haute technologie ; une coordination étroite est nécessaire dans de nombreux domaines. La Chine, cependant, continuera à jouer selon les règles existantes afin de gagner du temps pour la restructuration interne qui a commencé.
7.3.1. Pékin gagne du temps en ne permettant pas son isolement international, alors que les ressources de Washington diminuent et que les possibilités de recourir à la force contre les adversaires se rétrécissent. Renforcer la position de la Chine dans la confrontation avec les États-Unis est dans l’intérêt de la Russie.
7.3.2. Les approches de la Fédération de Russie et de la République populaire de Chine aux problèmes de changement de l’ordre mondial ne coïncident pas pleinement. La Chine est profondément ancrée dans les processus de mondialisation, elle cherche — au moins à moyen terme — une transformation en douceur de l’ordre existant, et non son remplacement. Les raisons sont claires : la stabilité sociale et de la politique intérieure de la RPC dépend de l’accès aux marchés des États-Unis et de l’Union européenne ; la Chine n’est pas autosuffisante en termes alimentaires. Néanmoins, les possibilités de coopération russo-chinoise sur les problèmes mondiaux sont très vastes. Au fur et à mesure que la confrontation entre la Chine et l’Amérique s’approfondit, les approches chinoises se rapprocheront de celles de la Russie.
7.3.3. Les universitaires et les décideurs politiques russes doivent examiner attentivement les concepts globaux proposés par Pékin, qui décrivent la vision du monde de la Chine. Cela évitera d’éventuels malentendus, y compris publics, et contribuera également à l’établissement conjoint de relations avec d’autres États de la Majorité mondiale.
7.3.4. À long terme, la Chine, ayant atteint l’autosuffisance et la précision stratégiques, pourrait perdre partiellement tout intérêt pour les relations avec la Russie. Il est nécessaire de diversifier les liens avec les pays de la Majorité mondiale sur le long terme et de normaliser autant que possible les relations sur le flanc ouest. Plus tôt nous forcerons les États-Unis — y compris en utilisant le facteur nucléaire — à chercher des moyens de normaliser, mieux ce sera. Mais ce n’est pas une perspective à court terme.
7.4. Dans les nouvelles conditions, les relations stratégiques avec l’Inde sont extrêmement importantes pour la Russie. Idéalement, le niveau des relations russo-indiennes devrait être porté à un niveau proche de celui russo-chinois (Fig. 13.) C’est un défi sérieux, compte tenu des relations extrêmement complexes de ces deux pays entre eux. Il est dans notre intérêt d’aider à réduire le conflit entre New Delhi et Pékin. Il est nécessaire de porter l’attention principale sur la direction indienne afin de déterminer la réserve pour la croissance des relations économiques, de la coopération technologique et d’autres éléments d’interaction. Il y a un besoin d’un dialogue stratégique avec New Delhi, en particulier — son propre concept de la dimension maritime de l’Eurasie, qui inclurait les éléments du nord, du Pacifique et de l’Indo-océan.
7.4.1. Il existe une opinion selon laquelle la Russie ne devrait pas s’opposer fermement au concept de communauté indo-pacifique. Ce concept ne menace pas les intérêts russes. Alors que la rhétorique négative russe est très douloureusement perçue par les Indiens.
La Russie tend à s’opposer aux politiques américaines indo-pacifiques qu’elle perçoit comme néo-impérialiste et fondée sur une politique de containment de la Chine. Pour Moscou, la difficulté est de garder un partenariat privilégié avec l’Inde, comme à l’époque soviétique, tout en voyant New Delhi se rapprocher de Washington.
7.5. En Asie, une interaction positive avec les pays voisins — la Turquie et l’Iran — est fondamentalement importante.
7.5.1. La Turquie est un membre de l’OTAN et un allié régional important des États-Unis. Mais il mène un cours indépendant qui crée des opportunités pour la Russie dans les domaines politique, économique et militaire. Dans le même temps, la Turquie est le concurrent géopolitique de la Russie dans un certain nombre de régions. Il est dans l’intérêt de la Russie de soutenir l’indépendance de la politique étrangère turque, en gérant avec sensibilité les contradictions dans les domaines sensibles à la Russie. Tout en maintenant un équilibre généralement positif des relations avec la Turquie pour la Russie, il convient de veiller à ce qu’il ne dépende pas des changements de leadership dans ce pays. À cette fin, il est nécessaire d’établir des relations de travail avec tous les groupes importants de l’élite turque et de développer les connaissances sur la Turquie.
7.5.2. L’Iran, contrairement à la Turquie, n’est pas un allié, mais un adversaire des États-Unis, un objet de la pression des sanctions de l’Occident. Depuis le début de la SVO, la coopération russo-iranienne s’est renforcée, y compris dans le domaine militaro-technique. L’importance de l’Iran pour la Russie augmente également en raison du changement dans les chaînes logistiques reliant la Fédération de Russie au monde extérieur. Le développement du corridor Nord-Sud traversant le territoire iranien est devenu une priorité. L’Iran a rejoint l’OCS, qui renforcera cette organisation, et a également reçu une invitation à rejoindre les BRICS. Les négociations sur le programme nucléaire iranien, qui ont eu lieu avec la participation de la Russie, ont été interrompues en raison de la position des États-Unis. Au cours de la session d’analyse de la situation qui a précédé ce rapport, il y avait un avis, soutenu par un certain nombre d’experts, selon lequel suivre la voie occidentale sur la question du programme nucléaire iranien était contre-productif. Lors de la précédente sitanalyse [la session d’analyse à laquelle il est fait référence], consacrée à la dissuasion nucléaire, l’évaluation de la politique russe était encore plus rigide. Il est logique de développer le dialogue stratégique russo-iranien à différents niveaux (ainsi que dans un format tripartite — avec la participation de Pékin), y compris les contre-sanctions. En tout état de cause, l’iranologie nécessite un développement avancé, d’autant plus que l’Iran n’est pas un interlocuteur facile et qu’il a un certain nombre de plaintes sur la politique russe à la fois rétrospectivement et à ce stade.
7.6. Parmi les autres acteurs importants pour la Russie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord figurent l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, l’Égypte, la Syrie, l’Algérie, le Maroc et le Pakistan. Les relations avec tous ces pays nécessitent une approche individuelle prudente — y compris la prise en compte de leurs relations les uns avec les autres. Les pays du Golfe sont une source potentiellement importante d’investissement dans l’économie russe, partenaires au sein de l’OPEP+ et du Forum des pays exportateurs de gaz. Ces États se méfient de l’Iran et du rapprochement russo-iranien. Il est logique d’intensifier les travaux sur le concept de sécurité régionale dans la région du Golfe. Compte tenu du rôle positif que la Chine a joué dans le déblocage des relations saoudo-iraniennes, il est conseillé d’agir de concert avec Pékin dans cette direction.
7.6.1. La Syrie est l’ancrage de la Russie au cœur du Moyen-Orient : cet ancrage doit être renforcé et maintenu. Dans le cadre du règlement syrien, Moscou coopère étroitement avec Damas, Ankara et Téhéran, et influence également Israël, avec lequel certaines opportunités d’interaction restent ouvertes. La Russie doit renforcer davantage ses liens économiques, politiques et militaires avec l’Égypte et créer des bastions dans le bassin de la mer Rouge, ce qui signifie pour la marine russe la sortie de la mer Méditerranée vers l’océan Indien. Le Pakistan, puissance nucléaire et voisin de l’Afghanistan, nécessite évidemment plus d’attention. Le développement des relations avec Islamabad, cependant, ne devrait pas nuire aux relations de Moscou avec New Delhi.
On voit le nombre de paragraphes dévolus au Moyen-Orient, clairement une région clef pour la politique étrangère russe, marqué par le partenariat avec l’Iran, la relation complexe avec la Turquie, le soutien à la Syrie de Bachar El-Assad et à l’Égypte de Sissi, et des liens grandissants avec l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis.
7.7. En Asie du Sud-Est, les priorités sont le Vietnam, le Myanmar, l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. Le dialogue ASEAN-Russie est important, y compris les formats où l’ASEAN joue un rôle de base comme le Partenariat économique régional global. Nous devons clairement définir pour nous-mêmes la section fonctionnelle du Partenariat, y compris ses conséquences tarifaires pour les exportateurs russes et pour l’unité de l’ASEAN elle-même. Par exemple, nous devrions entamer des négociations avec le Partenariat à travers l’Union économique eurasiatique. Cette orientation s’inscrit bien dans le concept du Partenariat eurasiatique élargi. Alors que les contradictions entre Pékin et Washington s’aggravent, l’ASEAN peut considérer la Russie comme une alternative à un choix difficile entre les États-Unis et la Chine, pour lequel Moscou doit être prêt et avoir des propositions intéressantes. Nos points forts sont, par exemple, les capacités technologiques.
7.8. En Asie du Nord-Est, les États voisins — la Corée du Nord et la Mongolie — présentent un intérêt particulier. Sur la question nucléaire de la péninsule coréenne, la Russie devrait prendre — par compréhension mutuelle avec la Chine — la position d’un observateur attentif, ce qui est de facto dû à l’échec des plans américains de « dénucléarisation » de la RPDC. Le désir des autorités de la République de Corée d’acquérir des armes nucléaires est peu susceptible d’être équivalent à une autonomie stratégique par rapport aux États-Unis, bien qu’il conduise objectivement à la formation d’une multipolarité nucléaire et créera des problèmes pour Washington en termes de gestion de la situation dans la région. Le nationalisme coréen des deux côtés du 38e parallèle peut se jouer de différentes manières, y compris contre nos intérêts. Malheureusement, jusqu’à présent, il n’y a aucune perspective que le nationalisme japonais ne trouve son expression dans le désir de sortir de la position absolument subordonnée de Tokyo par rapport à Washington.
La relation à la Corée du Nord a pris une ampleur sans précédent depuis l’invasion de l’Ukraine, avec Pyongyang devenant un fournisseur important d’armes à la Russie. Les liens se développent dans tous les domaines, y compris une première vague de touristes russes allant visiter la Corée du Nord, et une augmentation du nombre de travailleurs nord-coréens venant travailler en Russie.
7.9. L’Afrique, avec ses riches ressources et son énorme potentiel de croissance économique, a un besoin urgent d’être revitalisée. Dans un certain nombre de pays, dont le Nigéria et la Tanzanie, la Russie dispose encore de réserves qui peuvent servir de base à l’expansion des relations existantes et à la construction de nouvelles relations. Les priorités en Afrique du Nord sont traditionnellement l’Égypte et l’Algérie, dans le sud du continent — la République d’Afrique du Sud, membre des BRICS et la plus grande économie de la région, ainsi que l’Angola, le Mozambique, la Namibie et la Guinée [sic]. Au centre et à l’ouest du continent, la Russie peut compter sur ses positions en République centrafricaine, au Sénégal et au Mali, à l’est — en Éthiopie et en Érythrée. Il est nécessaire de prêter attention à la République démocratique du Congo, avec sa position centrale sur le continent et ses riches ressources naturelles, et de stabiliser la situation dans le pays. Une diplomatie économique intensive, une interaction étroite entre les ambassades russes et les entreprises, ainsi qu’une promotion active des services dans le domaine de la sécurité et de la sphère des médias et de l’information sont nécessaires. L’activité russe en Afrique devrait être axée sur une présence systématique sur le continent, contribuer au renforcement de l’unité et de l’intégration africaines, ce qui ferait de l’Afrique un sujet d’un monde polycentrique dans le cadre de la Majorité mondiale. À cet égard, les idées du panafricanisme et leur développement à ce stade nécessitent une étude. Une institutionnalisation plus poussée du Forum Russie-Afrique est nécessaire.
L’Afrique est redevenue une région importante de la politique étrangère russe, une terre sur laquelle Moscou a pu tester ses mécanismes d’influence les plus variés : présence médiatique, activités du groupe Wagner, nouveaux contrats économiques autour de l’extraction de minerais et construction de centrales nucléaires, relance des coopérations militaires, etc. Dans les pays du Sahel en particulier, la politique russe est très clairement orientée en faveur des mouvements panafricanistes et anti-français.
7.10. En Amérique latine et dans les Caraïbes, la Russie a plusieurs points d’ancrage. Ce sont, tout d’abord, les États politiquement proches de la Russie — Cuba, le Nicaragua, le Venezuela ; un géant régional et membre des BRICS comme le Brésil, d’autres grands pays — l’Argentine et le Mexique. Dans les relations, l’accent devrait être mis sur le développement des liens économiques, mais l’interaction en matière d’information n’est pas moins importante, qu’il s’agisse de dialogues à différents niveaux, de la promotion de récits sur les questions mondiales ou de l’élaboration de positions communes sur les problèmes liés à l’instauration d’un nouvel ordre mondial. Sous certaines conditions, les différents pays d’Amérique latine peuvent être considérés — avec le consentement de leurs gouvernements — comme des territoires à utiliser par les forces armées russes.
7.11. Dans toutes les régions, il existe une demande d’établissement de contacts et de coopération significatifs avec les structures régionales existantes, y compris celles d’intégration, de préférence avec celles auxquelles les États-Unis ne participent pas — il est possible de forcer Washington à nous refuser une telle coopération, ce qui serait également une bonne chose.
7.12. Mais la politique interétatique et régionale actuelle de la Russie nécessite un examen séparé.
8. Mesures pratiques : une large manœuvre des ressources
8.1. La politique à l’égard de la Majorité mondiale en termes stratégiques est avant tout un programme de construction d’un nouvel ordre mondial. Certaines de ses orientations sont décrites dans ce rapport. L’élaboration d’un tel programme et de la stratégie à long terme (par exemple jusqu’en 2040) associée est une tâche prioritaire qui nécessite de combiner les capacités intellectuelles et l’expérience de l’État et de différents segments de la société : penseurs, experts, praticiens dans divers domaines.
8.1.1. Nous devons partir du fait que nous parlons de la politique étrangère et des aspects économiques étrangers d’un virage plus large du pays non seulement vers d’autres priorités de politique étrangère, mais aussi vers l’acquisition d’une identité nationale holistique qui correspond aux traditions nationales et aux défis du développement futur.
8.2. L’hétérogénéité du « champ » de la Majorité mondiale rend impraticables les recommandations universelles détaillées : chaque pays a besoin d’une approche individuelle. En général, une manœuvre à grande échelle avec des ressources humaines et matérielles est nécessaire. Cette manœuvre, enracinée dans la transformation interne du pays, devrait s’accompagner de la création d’un groupe spécial — par exemple, dans le cadre de l’appareil du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie ou de l’administration présidentielle — pour coordonner et contrôler tous les travaux sur la réorientation des efforts de politique étrangère. Le ministère des Affaires étrangères, avec ses pratiques et approches bien établies, ne sera pas en mesure de faire face à cette tâche à lui seul. L’espoir d’une amélioration des relations avec l’Occident dans un avenir prévisible est vain ; de nouveaux liens appropriés ne pourront être établis qu’à la suite de la victoire de la Russie dans la guerre hybride (y compris le conflit armé en Ukraine). Jusque-là, le détournement des ressources vers l’Occident devrait être déterminé uniquement par les exigences de la confrontation avec les États-Unis et leurs alliés — par exemples : sanctions boomerang, promotion de l’auto-isolement de l’Occident et des élites occidentales, utilisation des contradictions surgissant dans le camp occidental.
8.3. Il est nécessaire de renforcer qualitativement les centres d’analyse multidisciplinaires qui étudient les problèmes de l’Asie, du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Amérique latine et offrent des options de travail pour la politique russe à cet égard (il existe suffisamment de tels centres en Amérique du Nord et en Europe, bien qu’ils aient un besoin urgent de réforme et de renouvellement). Le travail des institutions existantes devrait être aussi proche que possible des besoins de la politique pratique, le degré d’interaction entre les analystes et les praticiens devrait être qualitativement accru, jusqu’à la rotation obligatoire du personnel entre les institutions et les départements et entreprises concernés. Les ressources allouées devraient permettre à ces centres d’établir des liens étroits avec la communauté d’experts des pays de la Majorité mondiale et d’assurer une présence appropriée dans son espace médiatique et d’information afin de concurrencer les commentateurs occidentaux.
8.3.1. Il est nécessaire d’envisager la question de la réorientation du financement des stages scientifiques à travers la Fondation scientifique russe vers les pays du monde.
8.4. Il est nécessaire d’augmenter de manière décisive le nombre d’employés diplomatiques, consulaires et autres employés dans les directions de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique latine dans le système du ministère des Affaires étrangères et d’autres organes de l’État. Le prestige du travail devrait y être accru de manière décisive, notamment grâce à des incitations financières et à l’ouverture de perspectives de carrière. Bien sûr, le renforcement quantitatif des bureaux de représentation étrangers n’a de sens que s’il y a une augmentation proportionnelle de l’impact de leur travail. La qualité de ces dernières, à son tour, dépend d’une connaissance approfondie des pays concernés, ce qui nécessite une bonne formation linguistique et des études régionales. L’anglais et le russe (dans les pays de la CEI) ne suffisent pas. Une reconversion à grande échelle du personnel peut être organisée sur la base de l’Académie diplomatique du MAE de la Fédération de Russie, du MGIMO, de la HSE.
8.5. Afin d’accroître l’efficacité de notre politique en faveur de la Majorité mondiale, il est conseillé de former des plateformes pour une communication fermée et plus libre des principaux représentants des élites politiques, économiques, commerciales et intellectuelles de la Russie et de ces pays – à l’instar du Club Valdai, mais avec beaucoup plus de participants étrangers et de tâches à caractère politique (analogues, mais pas d’échantillons – le Club Bilderberg, la Commission trilatérale, ainsi que le dialogue Shangri-La, la Conférence de Munich sur la sécurité). Par exemple, créer la Commission du programme des BRICS en tant que centre de génération d’idées pour le développement et l’institutionnalisation des BRICS ; le Club RIC [Russie-Inde-Chine] pour une communication plus profonde et plus substantielle avec les élites des partenaires stratégiques les plus importants et pour une coordination plus étroite des efforts des trois grandes puissances aux niveaux continental et mondial ; le Club Eurasien, qui est plus large en termes de représentation des pays (mais aussi de statut élevé) et qui fonctionne conformément aux idées du Grand Partenariat Eurasien.
8.5.1. Il est nécessaire de positionner Novossibirsk, Tioumen, Tomsk, Ekaterinbourg, Kazan, Khabarovsk, Irkoutsk, Krasnoïarsk et Vladivostok comme un lieu de rencontre — sous la forme de diverses conférences — des pays de la Majorité mondiale. Sans prétendre être une exception, afin de ne pas créer de concurrence inutile avec Pékin ou Delhi, nous pourrions identifier un éventail de sujets sur lesquels nous sommes prêts à fournir un leadership intellectuel — par exemple, la sécurité internationale et régionale, l’énergie, la protection de l’environnement. L’objectif de tous les efforts est de créer un soutien large et durable au programme de construction d’un nouvel ordre mondial en tenant le plus grand compte des intérêts russes.
8.6. Il est nécessaire d’améliorer considérablement l’efficacité du système d’assistance aux États étrangers. Au lieu de financer les programmes des organisations internationales, qui dépersonnalisent l’aide russe, il est judicieux d’acheminer l’aide directement aux bénéficiaires, en la promouvant largement et en en faisant la publicité dans les médias locaux.
Depuis plus d’une décennie, la Russie a cherché à développer ses mécanismes d’aide internationale, avec le lancement de Rusaid, l’équivalent russe de USAID. Elle a adopté une stratégie proche de celle de la Chine, qui est de ne plus trop financer les grandes structures d’aide internationales, jugées trop pro-occidentales, mais de renforcer les partenariats bilatéraux avec les pays demandeurs et d’échanger de l’aide contre un soutien politique.
8.6.1. Tous nos efforts pour nous adapter au format occidental (mis en évidence par l’ONU) de l’aide internationale au développement ont échoué. Nous ne sommes pas compétitifs dans ce domaine, longtemps maîtrisé par l’Occident (don pour les pays bénéficiaires de l’aide internationale au développement), mais nous n’avons pas créé nos propres mécanismes efficaces pour fournir une aide financière et économique aux pays en développement. Il a été suggéré qu’il serait logique de revenir à l’expérience pertinente de l’Union soviétique, cela ferait sortir nos relations de développement avec les pays de la Majorité mondiale du cadre des institutions contrôlées par l’Occident. Cette question est extrêmement importante et urgente, et il faudra presque recommencer à zéro. Dans l’idéal, cet organisme devrait être une supra-agence et le champ de financement des projets pertinents sous ses auspices devrait inclure les études de faisabilité des sociétés d’État et des entreprises privées.
Un avis sévère a été exprimé selon lequel le système actuel de gestion du programme d’aide était inadéquat même après le retrait de la subordination du ministère des Finances. Il est nécessaire soit de créer un organe distinct, soit de transférer les fonctions pertinentes à Rossotrudnichestvo.
8.6.2. Il est proposé d’utiliser le principe de prix différenciés pour certains biens de ressources pour différents groupes de pays, offrant des préférences de prix aux différents pays de la Majorité mondiale — et des avantages aux opérateurs russes concernés.
8.6.3. Un avis a été exprimé sur la nécessité d’un programme spécial de l’État pour une solution globale aux problèmes de l’activité économique étrangère en direction de la Majorité mondiale : le développement des infrastructures et de la logistique, la résolution des problèmes de pénurie de personnel qualifié, le sous-développement du réseau d’accords commerciaux, le manque d’informations et de canaux pour entrer sur les marchés de ces pays, où il existe souvent des obstacles assez élevés aux entreprises étrangères. En général, nous devrions parler d’un travail qualitativement nouveau sur la création d’une infrastructure critique pour l’activité économique étrangère en mettant l’accent sur la résolution de problèmes logistiques, la création de pôles de production et de commercialisation, la coopération dans la production d’équipements de haute technologie et d’équipements complexes. Dans le même temps, l’architecture financière bilatérale et multilatérale, y compris les règlements en monnaie nationale numérique, devrait être construite à un rythme plus rapide.
8.7. Il y a une évolution vers l’expansion de la représentation et de l’activité de la Russie dans les organisations internationales non occidentales — tout en réduisant la représentation de la Fédération de Russie dans les structures dans lesquelles l’adhésion n’est pas bénéfique. Ce sont des organisations telles que les BRICS, l’OCS et un certain nombre d’autres, ainsi que des forums permanents tels que Russie-Afrique, Russie-Monde arabe, Russie-ASEAN, qui sont des plateformes pour la construction d’un nouvel ordre mondial. Compte tenu de la situation actuelle à l’ONU et à l’OSCE, où l’interaction constructive entre les États est bloquée, il est logique de transférer partiellement la promotion de l’agenda mondial (ainsi que les ressources correspondantes) au niveau des BRICS, et l’agenda continental principalement au niveau de l’OCS — d’autant plus que la sécurité européenne dans le contexte géopolitique actuel est plus correctement considérée comme une dimension régionale de la sécurité eurasiatique. Les experts ont déclaré que les ressources diplomatiques sont dépensées de manière irrationnelle. Ainsi, la représentation à l’OSCE devrait enfin être réduite à un minimum symbolique.
8.8. Il est nécessaire de préciser, de clarifier et de développer davantage les projets de politique étrangère russe annoncés ces dernières années, mais qui restent non seulement organisationnels, mais aussi conceptuellement sous-développés. Nous parlons principalement de l’idée du Partenariat eurasiatique élargi, ainsi que du concept de sécurité dans la région du golfe Persique. Il y a un besoin évident de compléter l’idée du Partenariat eurasiatique élargi, qui est principalement de nature continentale, avec une composante marine qui pourrait être jumelée à l’Indo-Pacifique (dans l’interprétation indienne de ce projet) — tout comme nous jumelons la stratégie de l’Union économique eurasiatique avec le concept chinois de « One Belt, One Road ». L’essentiel, cependant, est de mettre en œuvre l’idée et le concept mentionnés dans des projets spécifiques et des événements réguliers.
8.9. Dans le domaine de l’information et de la propagande en matière de politique étrangère, un pivot vers les pays d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique latine est nécessaire — ces publics seront ciblés pour la Russie dans un avenir prévisible. Il est nécessaire d’intensifier les ressources médiatiques russes destinées à un public international, y compris RT et Spoutnik ; travailler en étroite collaboration avec les médias, les leaders d’opinion, les réseaux sociaux des pays majoritaires ; mener des projets conjoints avec eux. La deuxième direction est une information beaucoup plus complète du public russe sur les pays non occidentaux, leurs intérêts et leurs problèmes, les opportunités que la coopération ouvre pour la Russie. Pour ce faire, il est nécessaire de développer et de construire stratégiquement un réseau de correspondants des principaux médias russes dans les pays de la Majorité mondiale, en formant sa propre image qui ne soit pas sous l’influence du récit occidental. Dans le même temps, il convient d’encourager les partenaires des pays de la Majorité à étendre la présence de leurs structures médiatiques en Russie afin que leur public reçoive des informations de première main, et non dans l’interprétation des agences et de la télévision occidentales.
8.10. Il est nécessaire d’abandonner l’utilisation du terme « soft power », qui est emprunté au discours de la science politique occidentale et reflète d’abord et avant tout la démarche et les intérêts des États-Unis. Il devrait s’agir de nos avantages concurrentiels inhérents, y compris la capacité d’être un « fournisseur » de sécurité militaire et alimentaire, ainsi que dans le domaine de la santé. Une thèse importante est que la présence de la Russie en tant que facteur important dans les relations internationales offre au monde une alternative politique et économique, qui a disparu après l’effondrement de l’URSS, cédant la place à l’hégémonie et privant les pays de la Majorité mondiale de choix.
8.10.1. Les ONG internationales russes, les organismes de diplomatie publique et les dialogues communautaires d’experts, qui ont tous besoin d’un soutien beaucoup plus important de la part de l’État et des fondations caritatives intéressées, y compris des entreprises privées, constituent une ressource importante pour notre travail auprès de l’opinion publique des États de la Majorité mondiale, en particulier dans les pays de la CEI. Le but du travail ne devrait pas être tant d’informer les publics concernés sur la politique de la Russie et d’organiser des contacts avec certains groupes, que de maintenir des contacts constants pour changer l’attitude des élites et de l’opinion publique envers la Russie et sa politique.
8.11. La confrontation informationnelle avec l’Occident collectif rend nécessaire de combiner les ressources des principaux pays de la Majorité mondiale pour promouvoir d’autres récits et une vision d’un avenir mondial. En plus du consortium multimédia d’information, auquel participeraient les principaux médias des pays BRICS et de l’OCS, il est nécessaire de développer la radiodiffusion étrangère nationale (au sens moderne du terme), y compris dans les langues d’Asie et d’Afrique.
8.12. Il est nécessaire de corriger les cours russes d’enseignement secondaire et supérieur en histoire du monde, littérature, philosophie, géographie, qui sont traditionnellement euro-centrés. Il est nécessaire de familiariser largement les jeunes avec le patrimoine historique, culturel et intellectuel des civilisations de la Chine, de l’Inde, de l’Orient arabe, de la Turquie, de l’Iran, des pays d’Asie centrale et du Sud-Est, de l’Extrême-Orient, ainsi que de l’Afrique et de l’Amérique latine. Il convient de souligner l’importance et l’attractivité pour les cinéastes des pays non occidentaux dans le cadre du traditionnel Festival international du film de Moscou. Avec l’anglais, qui est devenu un moyen de communication mondial, il est nécessaire d’étendre considérablement l’enseignement des langues en Asie et en Afrique. Et les plus courantes d’entre eux comme le chinois, l’arabe, etc. y compris au niveau scolaire.
L’idée de modifier les cursus scolaires et universitaires est particulièrement visible depuis l’invasion militaire de l’Ukraine : l’administration présidentielle de Sergueï Kirienko a créé différents groupes en charge de cette réécriture. L’idée d’une nécessaire dé-occidentalisation de la pensée russe est ancienne, déjà présente chez les Slavophiles et régulièrement avancée par les penseurs nationalistes contemporains comme Alexandre Douguine, aujourd’hui en charge d’un programme de « nationalisation » de la pensée russe dans l’une des grandes université moscovites, le RGGU.
8.12.1. Il est nécessaire de populariser activement les produits culturels des pays de la Majorité, notamment par le biais de festivals de cinéma et de télévision, d’échanges d’expositions. Il y a suffisamment d’œuvres de grand art ou d’art de masse de haute qualité dans ces pays : notre marché de la télévision et du cinéma pourrait augmenter progressivement la part des produits des pays à Majorité mondiale en réduisant la part du contenu américain.
8.13. Il est nécessaire de réviser radicalement — dans l’esprit des dispositions du paragraphe 44 du Concept de la politique étrangère – l’enseignement de l’histoire, en particulier l’histoire nationale, et son approche avec une projection extérieure, y compris les pays de la Majorité mondiale.
8.14. Pour renforcer l’influence russe dans les pays de la Majorité mondiale, il est nécessaire d’élargir les programmes de formation pour les étudiants étrangers et les doctorants dans les universités russes — avec la fourniture de bourses complètes pour assurer notre compétitivité par rapport aux pays occidentaux — ; une augmentation des programmes spéciaux dans les universités pour les jeunes prometteurs du monde entier — politiciens, journalistes, militants sociaux, scientifiques (plusieurs dizaines de programmes de master dans les principales universités).
8.14.1. Des accords bilatéraux ou multilatéraux sur la reconnaissance mutuelle des diplômes, des normes, des incitations aux voyages d’affaires — de manière unilatérale si nécessaire — auraient une valeur positive pour notre travail avec la Majorité mondiale.
8.14.2. Il est extrêmement important d’impliquer la coopération scientifique, y compris la mise en œuvre de recherches et de projets communs dans des domaines prometteurs tels que l’intelligence artificielle et les technologies de l’information et de la communication. Cela offrirait aux scientifiques talentueux des pays à Majorité mondiale, y compris ceux qui ont reçu ou reçoivent une éducation dans les universités russes, la possibilité d’une carrière scientifique alternative aux propositions en Occident. Les succès seraient communs, une question de fierté commune pour nous et nos partenaires.
8.15. La ressource la plus importante pour influencer les pays de la Majorité est la culture russe et l’exportation de produits culturels. Cela nécessitera également un financement/des subventions de l’État, mais cela sera plus que suffisant en raison de la formation d’une attitude positive envers la Russie dans les pays concernés, ainsi que de l’expansion du marché.
8.16. L’introduction d’un régime unilatéral d’exemption de visa avec les principaux pays de la Majorité mondiale aurait un grand effet.
8.17. La restauration/l’établissement d’une communication aérienne stable avec ces pays aurait un impact positif sur l’attitude envers nous dans les pays majoritaires — sans parler de l’intensification des contacts entre les personnes.
8.18. Dans le contexte de discrimination des athlètes russes par les organisations sportives internationales sous l’influence des pays occidentaux, il est utile de proposer des initiatives pour organiser des compétitions sportives internationales de nature mondiale sous les auspices des BRICS ou de l’OCS — non seulement comme un analogue moderne des « Jeux de bonne volonté » (Goodwill Games) des années 1980, mais aussi comme une alternative au mouvement olympique commercialisé et de plus en plus idéologique et politisé. D’autres formats possibles incluent des championnats ouverts de Russie dans divers sports avec la participation d’athlètes du monde entier. Leurs retransmissions de télévision pourraient être le point d’assemblage initial du consortium médiatique mentionné des pays de la Majorité 3.
Sources
- L’étude présente la page de garde suivante :
La politique de la Russie à l’égard de la « Majorité mondiale »
Moscou, 2023
(Université nationale de recherche)
« École des hautes études en sciences économiques »
Faculté d’économie mondiale et des affaires internationales
Centre d’études européennes et internationales approfondies
Conseil de la politique étrangère et de défense
Ce rapport a été préparé sur la base d’une série d’études, de séminaires et d’analyses de situation dans le cadre du programme d’analyse de situation de la Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale de l’École supérieure d’économie, du Conseil de la politique étrangère et de défense, avec le soutien de la Commission des affaires internationales de la Douma d’État, de la revue Russia in Global Affairs et sous les auspices du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie#.
Gestionnaire de programme — S. A. Karaganov
Directeur de programme — A.m. Kramarenko
L’équipe d’auteurs du rapport :
Sergey Aleksandrovtch Karaganov — professeur émérite, superviseur scientifique de la Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale de l’École supérieure d’économie, président honoraire du Présidium du Conseil de politique étrangère et de défense, chef du programme d’analyse situationnelle, rédacteur en chef du rapport#.
Alexander Mikhailovtch Kramarenko — directeur de l’Institut des problèmes internationaux actuels de l’Académie diplomatique du ministère des Affaires étrangères de Russie, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense.
Dmitry Vitalievtch Trenin — professeur, chercheur à la Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale de l’École des hautes études en sciences économiques, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense, auteur principal du rapport. - La « Majorité mondiale » dans ce rapport fait référence à la totalité des pays non occidentaux du monde qui ne sont pas inclus dans les relations contraignantes avec les États-Unis et les organisations parrainées par eux. Cette définition doit être clarifiée, mais aux fins de la présente publication, elle peut être utilisée comme une version de travail. En anglais, la traduction la plus proche serait World Majority. L’utilisation de la variante Global Majority n’est pas souhaitable, car elle fait référence à la gamme conceptuelle de la mondialisation libérale de l’étape précédente.
- Annexe 1
Liste des participants à la réunion préliminaire « La politique de la Russie à l’égard de la Majorité mondiale » du 31 mars 2023.
1. Karaganov Sergey Aleksandrovitch
Président honoraire du présidium du Conseil de la politique étrangère et de défense, Directeur scientifique de la Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
2. Alushkin Dmitry Vladimirovitch
Deuxième secrétaire du département de planification de la politique étrangère du ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie ;
3. Timofei Vyacheslavovitch Bordachev.
Directeur scientifique du Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
4. Danilin Ivan Vladimirovitch
Chef du département de la science et de l’innovation et du secteur de la politique d’innovation IMEMO RAS ;
5. Drobinin Aleksey Yuryevitch
Directeur du département de planification de la politique étrangère du ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
6. Ermakov Igor Nikolaïevitch
7. Zaytsev Alexander Andreyevitch
Professeur associé au département d’économie mondiale de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques », chef adjoint de la section de recherche économique internationale du Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
8. Kramarenko Alexander Mikhailovitch
Directeur de l’Institut des problèmes internationaux actuels de l’Académie diplomatique du ministère russe des affaires étrangères, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
9. Salikhov Marsel Robertovitch
Directeur du Centre d’expertise économique de l’Institut de gestion de l’État et des municipalités de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
10. Tebin Prokhor Yuryevitch
Chef du secteur des problèmes politico-militaires et militaro-économiques internationaux du Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
11. Trenin Dmitry Vitalievitch
Professeur de recherche à la Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale del’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense.
Soutien scientifique et administratif :
1. Makukhin Daniil Borisovitch
Stagiaire de recherche au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
2. Ryzhkin Yegor Nikolayevitch
Chercheur stagiaire au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
3. Tsyvarev Dmitry Andreevitch
Assistant du directeur de recherche à l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
4. Yankova Alexandra Dmitrievna
Chercheuse stagiaire au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques ».
Annexe 2
Liste des participants à l’analyse de situation « La politique de la Russie à l’égard de la majorité mondiale » 6 juin 2023.
1. Avakyants Sergueï Iosifovitch
Amiral ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
2. Agafonov Denis Vladimirovitch
Chef adjoint du Département de la politique étrangère du président de la Fédération de Russie ;
3. Babaev Kirill Vladimirovitch
Directeur de l’Institut de la Chine et de l’Asie contemporaine (ICSA) de l’Académie des sciences de Russie ;
4. Danilin Ivan Vladimirovitch
Chef du département de la science et de l’innovation et du secteur de la politique d’innovation IMEMO RAS ;
5. Degterev Denis Andreevitch
Chef du département de théorie et d’histoire des relations internationales (TIMO) à l’Université de l’amitié des peuples de Russie (PFUR), rédacteur en chef du bulletin RUDN ; Professeur au département d’économie et de politique mondiale de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques ;
6. Denisov Andrey Ivanovitch
Premier vice-président de la commission des affaires internationales du Conseil de la Fédération ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
7. Drobinin Aleksey Yuryevitch
Directeur du département de planification de la politique étrangère du ministère Affaires étrangères de la Fédération de Russie ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
8. Karaganov Sergey Aleksandrovitch
Président honoraire du présidium du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
Directeur scientifique du département de l’économie et de la politique mondiales de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques », chef de l’analyse situationnelle ;
9. Kachine Vassili Borisovitch
Directeur du Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
10. Koldunova Ekaterina Valerievna
Directrice du Centre ASEAN à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou du ministère russe des affaires étrangères ;
11. KramarenkoAlexander Mikhailovitch
Directeur de l’Institut des problèmes internationaux actuels de l’Académie diplomatique du ministère russe des affaires étrangères, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
12. Kuznetsov Aleksey Vladimirovitch
Directeur de l’Institut d’information scientifique sur les sciences sociales de l’Académie des sciences de Russie, membre correspondant de l’Académie des sciences de Russie ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
13. Anastasia Borisovna Likhatcheva
Doyenne de la faculté d’économie mondiale et de politique mondiale de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
14. Lukyanov Fyodor Aleksandrovitch
Professeur de recherche, Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ; rédacteur en chef de la revue Russia in Global Politics ; Président du présidium du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
15. Maslov Andrey Aleksandrovitch
Directeur du Centre d’études africaines de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
16. Rosenthal Dmitry Mikhailovitch
Directeur de l’Institut de l’Amérique latine, Académie russe des sciences ;
17. Rudenko Andrey Yuryevitch
Vice-ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie ;
18. Ryabkov Sergey Alexeyevitch
Vice-ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
19. Sumsky Viktor Vladimirovitch
Expert principal du Centre ASEAN de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou du ministère russe des affaires étrangères ;
20. Suslov Dmitry Vyacheslavovitch
Directeur adjoint du Centre central d’études internationales de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
21. Tebin Prokhor Yuryevitch
Chef du secteur des problèmes militaro-politiques et militaro-économiques internationaux du Centre central d’études politiques et militaires de l’École supérieure d’économie de l’Université nationale de recherche ;
22. Trenin Dmitry Vitalievitch
Professeur de recherche, Faculté d’économie mondiale et de politique mondiale
École supérieure d’économie de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
23. Khodynskaya-Golenishcheva Maria Sergeevna
Directrice adjointe du département de planification de la politique étrangère du ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie ; membre du Conseil de la politique étrangère et de défense ;
24. Shlykov Pavel Vyacheslavovitch
Professeur associé au département d’histoire du Proche et du Moyen-Orient de l’Institut des pays asiatiques et africains de l’université d’État Lomonossov de Moscou.
Soutien scientifique et administratif :
1. Makukhin Daniil Borisovitch
Stagiaire de recherche au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
2. Ryzhkin Egor Nikolayevitch
Chercheur stagiaire au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
3. Tsyvarev Dmitry Andreevitch
Assistant du directeur de recherche au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » ;
4. Yankova Alexandra Dmitrievna
Chercheuse stagiaire au Centre d’études européennes et internationales approfondies de l’Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques ».