Les Polonais votaient aujourd’hui dans le cadre de quatre élections locales, afin d’élire les conseillers régionaux (à la tête des voïvodies ou régions), les conseillers de powiats (niveau intermédiaire entre région et commune, parfois traduit par « arrondissement » ou « comté »), les conseillers municipaux (à la tête des communes), et les maires1. Ces derniers font l’objet d’un scrutin et d’un bulletin de vote spécifique, différent de celui des conseillers municipaux2. Pour ces trois premières élections, il n’y a qu’un tour, tandis que dans le cas du maire, il peut y avoir un second tour si aucun candidat n’a atteint la majorité absolue au premier tour.

  • Ces élections avaient valeur de test pour la coalition gouvernementale qui a émergé lors des élections du 15 octobre 2023. Même si le parti national-conservateur Droit et justice (PiS) était arrivé premier, il n’avait pas obtenu le nombre suffisant de sièges pour former un gouvernement, ouvrant la voie à une coalition rassemblant la centriste Coalition civique (KO) de Donald Tusk, devenu Premier ministre, la Gauche (social-démocrate) ainsi que la coalition de centre-centre-droit Troisième voie, qui allie deux partis, Pologne 2050 et le Parti du peuple polonais (PSL) ou « Parti paysan », particulièrement bien implanté dans les communes rurales.
  • Les élections locales devaient se tenir à l’automne 2023, mais elles avaient été repoussées au printemps 2024 par le président Duda, avec le soutien général du PiS, pour ne pas interférer avec les législatives, malgré les critiques de plusieurs organisations internationales de défense de la démocratie.
  • La participation s’est élevée aujourd’hui à 51,5 %, contre 54,9 % lors des dernières élections locales de 2018. C’est évidemment beaucoup moins que la participation record des élections législatives d’octobre dernier, qui avait atteint 74,4 %.

Au niveau régional (celui des 16 voïvodies), le parti Droit et justice s’est affirmé comme le premier parti de Pologne.

  • Selon le sondage de sortie des urnes IPSOS/TVN24, le PiS a obtenu 33,7 % des voix, soit presque autant qu’en 2018 (34,1 %). De ce fait, le président du parti Kaczyński a déclaré : « Le succès d’aujourd’hui doit être considéré comme un encouragement, également pour construire une coalition plus large ».
  • En face, la Coalition civique affiche 31,9 % des voix. Elle est donc deuxième, mais elle progresse par rapport à 2018 (27,0 %). La croissance est réelle, mais c’est une défaite pour le parti de Tusk, qui était donné gagnant, et devant le PiS, dans de nombreux sondages préélectoraux.
  • Parmi ses alliés au gouvernement, la Troisième voie obtient 13,5 % et La Gauche 6,8 %. Au total, cela porte à 52,2 % la somme des voix des trois coalitions qui forment le gouvernement. De ce fait, le Premier ministre Tusk a parlé de victoire (« Le 15 octobre s’est également produit en avril, je suis très fier de vous ») tout en parlant de « chemin difficile ». Il a ajouté un peu plus tard, sans doute plus modéré : « Je ne vais pas me réjouir aujourd’hui, mais je pense que nous avons fait du bon travail pour la Pologne. » On assiste donc encore une fois, comme en octobre, à des annonces de victoire dans les deux camps, dont aucune n’est vraiment satisfaisante.
  • A priori, même en étant classée deuxième, la Coalition civique devrait être en mesure de gouverner dans 10 régions sur 16, contre 8 actuellement.

Les sondages de sortie des urnes ne donnent pas de résultats agrégés en ce qui concerne les powiats et les 2500 communes, tant ils dépendent des spécificités locales.

  • De manière générale, les conseils de powiats et les conseils municipaux sont majoritairement présidés par des élus locaux indépendants. Lorsque les candidats sont affiliés à des partis, ils sont en majorité PiS ou PSL (donc, désormais, Troisième voie), partis très implantés dans les communes rurales ou de moins de 100 000 habitants, qui sont majoritaires en Pologne (62 % et 34 % des communes respectivement).
  • En revanche, les 107 villes de plus de 100 000 habitants sont généralement dirigées par des membres de la Coalition civique, ou par des indépendants relativement libéraux, surtout les plus grandes villes. Les quelques résultats municipaux issus des sondages de sortie des urnes confirment cette tendance. À Gdańsk par exemple, la maire actuelle Aleksandra Dulkiewicz, soutenue par la KO, a été élue dès le premier tour avec 62 % des voix. Cracovie aboutit même à une situation où deux candidats proches de la Coalition civique (le candidat officiel, et un ancien de la KO) sont en tête et s’opposeront au second tour.

À Varsovie, l’élection municipale est particulièrement symbolique puisqu’elle constitue un prélude à l’élection présidentielle prévue pour 2025 (où l’actuel président Duda n’est pas rééligible) et un miroir des tensions dans la coalition gouvernementale.

  • Le maire actuel, Rafał Trzaskowski, en poste depuis 2018, vient d’être réélu dès le premier tour, avec 60 % des voix. C’est même mieux qu’en 2018, où il avait eu 57 % des voix. Trzaskowski était aussi le candidat de la KO pour l’élection présidentielle en 2020, contre l’actuel président Duda, indépendant mais soutenu par le PiS. Il avait perdu avec près de 49 % des voix au second tour. Sa large réélection dès le premier tour ce soir le conforte dans sa position de candidat naturel de la KO pour l’élection de 2025, à moins que Tusk lui-même ne franchisse le pas.
  • En face de Trzaskowski, le candidat soutenu par le PiS était Tobiasz Bocheński3, ancien voïvode de Mazovie (c’est-à-dire représentant du gouvernement central dans la région,) à l’époque du PiS, la région où se situe Varsovie. Il n’avait évidemment aucune chance de gagner dans une capitale désormais largement libérale, mais son score, à 18,5 % reste très décevant, si bien que ses chances de concourir au nom du PiS en 2025 semblent s’amenuiser. En 2018, le candidat du PiS avait récolté 29 % des voix dans la même élection municipale.
  • La candidate de La Gauche, Magdalena Biejat, a engrangé 15,8 % des voix. C’est une petite déception, puisque de nombreux sondages la donnaient devant le candidat du PiS, et même en mesure de faire basculer Trzaskowski vers un second tour. Ce score relativement faible (bien que très au-dessus de la moyenne nationale) témoigne des difficultés de La Gauche à croître politiquement au-delà de son socle électoral urbain. Biejat, actuellement vice-présidente du Sénat, n’a pas vraiment témoigné d’ambitions présidentielles à ce stade. De manière générale, les dirigeants de gauche n’ont pas hésité à parler de déception, voire de défaite, ce soir.
  • Notons enfin que la Troisième voie n’a pas présenté de candidat à Varsovie, et a annoncé soutenir Trzaskowski. C’est un choix relativement étonnant, puisque Szymon Hołownia, actuel président de la Diète et chef du parti Pologne 2050 (qui compose la Troisième voie) cultive chaque jour davantage son image pour devenir président de la République en 2025. Il était déjà candidat en 2020, avait émergé comme troisième homme de la course dans le match Duda-Trzaskowski et, au second tour, avait annoncé voter pour Trzaskowski « à contre-cœur ».

Au bout du compte, et sans préjuger des résultats des seconds tours pour les élections des maires, qui auront lieu le 21 avril, il semble que la Pologne est majoritairement favorable à la coalition qui gouverne le pays depuis fin 2023, même si la Coalition civique n’est toujours pas confirmée dans son leadership sur la vie politique polonaise.

  • Ces élections locales ont souligné les dissonances qui agitent les trois forces politiques qui forment la coalition gouvernementale, qu’il s’agisse du droit à l’avortement ou de la fiscalité des entrepreneurs. En janvier, la Coalition civique avait annoncé ne pas souhaiter faire liste commune avec la Gauche ou la Troisième voie, considérant qu’elle avait des chances de gouverner seule, quitte à construire des coalitions locales après les élections. Elle se retrouve bonne deuxième des élections, et doit compter sur eux pour gouverner, ce qui veut aussi dire faire des compromis.
  • Le PiS n’a pas du tout disparu de l’échiquier politique polonais, réaffirme son ancrage local et pourra utiliser ces élections pour continuer à propager son discours anti-Tusk. Il est devant la KO, mais aussi loin devant la Troisième voie (qui stagne dans les sondages) et la Gauche.
  • Les derniers sondages au niveau national donnaient en moyenne 33 % à la KO, 30 % au PiS, 12 % à la Troisième voie, 12 % à Confédération (coalition d’extrême-droite) et 9 % à la Gauche4. Il faudra suivre les inflexions après ces élections, et voir si vraiment la KO reste première.
  • Outre le second tour du 21 avril, le prochain test électoral sera les élections européennes du 9 juin, avant le grand moment de la présidentielle polonaise du printemps 2025, à une date non encore connue.
Sources
  1. Selon la taille de la commune, le titre officiel du maire diffère, entre le wójt (“chef de commune”) pour les communes rurales, le bourgmestre dans les villes de moins de 100 000 habitants et le président pour les villes de plus de 100 000 habitants.
  2. Plusieurs grandes villes font office de powiat, aussi l’élection municipale suffit et il n’y a pas d’élection au conseil du powiat. Enfin, la ville de Varsovie est divisée en 18 districts qui ont chacun leur conseil de district, également élu aujourd’hui.
  3. Il n’est pas lui-même membre du PiS.
  4. Selon l’agrégation des derniers sondages récents au niveau national proposée par Politico Poll of Polls, en date du 22 mars 2024.