Du 15 au 17 mars dernier, la Fédération de Russie organisait sa septième élection présidentielle depuis la chute de l’Union soviétique — la cinquième remportée par Vladimir Poutine. Mais entre répression à grande échelle, fraude généralisée et exclusion de tout candidat réellement indépendant, difficile de qualifier d’élection ce rituel organisé par le pouvoir en place à son seul profit.

Si le scrutin du 17 mars offre une nouvelle preuve du caractère autoritaire du régime russe, il serait trompeur de voir dans la pratique politique du Kremlin un simple miroir inversé de la démocratie libérale européenne. Car dans l’Union aussi, le Kremlin dispose de relais solides. Certes, la guerre menée depuis février 2022 par l’armée russe en Ukraine a rendu pour un temps certains de ces discours inaudibles. Mais tandis que la guerre s’installe dans la durée, les tentations d’un rapprochement avec le Kremlin devraient redoubler.

Que nous apprend le scrutin du 17 mars sur le régime poutinien ? Sur quel soutien pourra-t-il compter jusqu’aux élections européennes de juin et au-delà au sein du système politique européen ? Nous faisons le point sur ces questions avec Marlène Laruelle, professeur d’affaires internationales à la George Washington University et qui dirige pour le Grand Continent la série « Doctrines de la Russie de Poutine »

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L’élection qui s’est déroulée du 15 au 17 mars dernier en Russie n’était bien sûr ni libre ni équilibrée. L’opposition russe a d’ailleurs parlé à ce propos de « non-élection » et les études réalisées après le vote, notamment avec la méthode Kiesling-Shpilkin, montrent que les fraudes pourraient avoir concerné au moins vingt millions de voix. Vladimir Poutine, lui, aurait remporté selon les résultats officiels environ 88 % des voix, soit environ 76 millions de voix pour 113 millions d’électeurs inscrits. Si on retire 20 millions de votes à ce résultat, on obtient 56 millions de votes pour Poutine, soit à peu près 50 % de l’électorat. Faut-il en conclure que la majorité des citoyennes et des citoyens russes soutiennent bien le régime en place ? Ou serait-ce là, déjà, jouer le jeu d’une élection qui n’en était pas une ?

Je pense qu’en effet, parler d’élections est problématique. C’était un plébiscite qui était demandé aux citoyens. Lorsqu’on prend les chiffres que vous venez de mentionner et qu’on imagine qu’il y a eu, en effet, 50 % de la population qui a vraiment voté pour Poutine, même dans ce cas il est difficile d’interpréter ces 50 %.

Je continuer de penser qu’il reste, malgré tout, un soutien d’une grande partie de la population au régime. Mais il y a eu aussi énormément de pressions exercées sur la population en expliquant qu’il était important d’aller voter. Ce n’est pas seulement une question de bourrage d’urnes. On sait très bien qu’il y a eu de nombreuses pressions vis-à-vis en particulier des étudiants, des professeurs, de tous ceux qui sont salariés de l’État, mais aussi d’une partie des employés du secteur privé.

Un autre facteur important est que le pays s’est engagé dans une guerre que le régime présente comme existentielle avec l’Occident. Le résultat est qu’une partie de la population s’autocensure et, dans un moment difficile, se résout à voter Poutine. Cette population n’est pas nécessairement satisfaite de ce que le régime délivre en termes de politique publique, mais elle perçoit le soutien au président comme une composante de son devoir de citoyen, dans un moment où il n’apparaît pas opportun de créer de la discorde politique. Le régime a joué de manière très efficace sur ce mécanisme depuis des années.

Une part importante de la population perçoit le soutien au président comme une composante de son devoir de citoyen, dans un moment où il n’apparaît pas opportun de créer de la discorde politique.

Marlène Laruelle

La géographie des résultats est aussi une géographie de la fraude. Les résultats publiés par la Commission électorale centrale rapportent des résultats qui sont totalement irréalistes pour certaines zones, notamment dans certaines républiques du Caucase où Vladimir Poutine l’emporte avec des scores de 95 à 100 % dans de nombreux bureaux. Dans d’autres régions, on observe une stratégie de falsification plus sophistiquée, dans laquelle on tente d’obtenir des résultats qui permettraient d’accréditer la thèse d’un large soutien populaire. Quels sont les facteurs qui poussent ces différentes régions à adopter des stratégies différentes ?

On peut évoquer plusieurs raisons. Il y a, d’abord, des raisons structurelles. On sait que certaines régions sont extrêmement dépendantes du budget de l’État. Pour les gouverneurs de ces régions, la falsification permet de produire des résultats politiques concrets. À ces raisons structurelles s’ajoutent des questions de loyauté politique. Certains représentants ou gouverneurs de région sont extrêmement inféodés au Kremlin. Pour eux, la falsification peut être une véritable stratégie personnelle, à la fois parce que leur région est dépendante financièrement du centre et parce qu’ils poursuivent une logique de promotion personnelle. Ils veulent montrer qu’ils ont pu délivrer les voix attendues.

Par ailleurs, certains gouverneurs sont dans des logiques plus sophistiquées : ils savent qu’ils disposent d’une base de légitimité dans leur région et ils se sentent suffisamment sécurisés dans le jeu politique interne russe pour ne pas devoir délivrer 95 % des voix.

On ne capture pas toutes les nuances régionales qui existent encore dans le système politique russe si on le voit comme entièrement centralisé. Il reste des personnalités et des politiques régionales encore différenciées suivant les gouverneurs. Dans plusieurs républiques dites « ethniques », en particulier, il existe une longue tradition autoritaire, qui s’appuie sur ce qu’on appelle en russe les « ressources administratives », exerçant une pression sur la population pour être certains de délivrer des résultats visibles. À l’inverse, d’autres régions comptent une population de classes moyennes plus importante, où l’on sait qu’on ne peut pas jouer la fraude à l’extrême et que des stratégies plus raffinées sont nécessaires.

Il reste en Russie des personnalités et des politiques régionales encore extrêmement différenciées suivant les gouverneurs.

Marlène Laruelle

Le Kremlin, lui, semblerait plutôt tendanciellement suivre la deuxième stratégie. Qu’est-ce qui le retient finalement de passer au mode d’action plus décomplexé qu’on observe, par exemple, au Belarus ?

Il me semble que la situation est assez difficile à déchiffrer parce qu’il existe des logiques contradictoires à l’intérieur même de l’appareil politique russe. Une partie du Kremlin pense qu’il est pertinent d’afficher un plébiscite total, en n’ayant pas peur de pousser la falsification à son maximum — en particulier parce qu’ils n’imaginent pas qu’une telle mise en scène entraînera une réaction de la population. Une autre partie du Kremlin pense qu’une telle manipulation n’est pas nécessaire, et qu’il suffit d’atteindre la barre fixée à 80 ou 85 % sans faire de zèle.

De manière générale, il existe au sein du Kremlin un groupe qui souhaite une mobilisation totale de la société russe dans le contexte de la guerre, et pousse aussi à la fraude, et un groupe plus technocratique à qui un plébiscite symbolique suffit. Les bureaucrates ont différentes logiques dans la manière dont ils approchent le degré de plébiscite qu’ils souhaitent obtenir et montrer à leur hiérarchie.

La plupart des bureaux de vote se trouvent dans des écoles. Les enseignantes et les enseignants en sont fréquemment les assesseurs, qui surveillent le processus de vote et participent au dépouillement. Que sait-on du profil des personnes qui opèrent les fraudes ?

On sait la fragilité personnelle et collective de certains milieux professionnels, ceux qu’on appelle en russe les budgetniki (бюджетники) c’est à dire ceux dont le salaire est un salaire d’État. Les enseignants, le personnel hospitalier, les services de force (силовики) font partie de cette catégorie. Les enseignants, en particulier, sont de ces milieux sur lesquels la pression peut être mise de manière extrême, aussi bien au plan idéologique que des pratiques qui leur sont demandées.

Il existe au sein du Kremlin un groupe qui souhaite une mobilisation totale de la société russe dans le contexte de la guerre, et pousse aussi à la fraude, et un groupe plus technocratique à qui un plébiscite symbolique suffit.

Marlène Laruelle

Ces derniers jours, on a vu circuler certaines vidéos montrant des femmes d’un certain âge, probablement enseignantes, essayant désespérément de bourrer les urnes pour arriver aux résultats attendus lors du dépouillement. Cela montre que les méthodes de fraude employées par le régime peuvent être très diverses. À côté de la fraude sophistiquée associée au vote en ligne, on observe encore, selon les contextes, des formes de fraude très artisanales. Le régime dispose dans ce domaine d’une grande variété de méthodes, qui s’adaptent à différents contextes régionaux et sociaux.

Aux côtés de Vladimir Poutine, on trouvait trois candidats de l’opposition dite systémique, alliés de fait du Kremlin : Nikolaï Kharitonov du Parti communiste, Vladislav Davankov du parti pro-business « Gens nouveaux » et Leonid Sloutski du parti ultranationaliste LDPR. Comment caractériser les électrices et électeurs qui ont voté pour ces différents candidats — mais aussi ceux, semble-t-il assez nombreux, qui ont glissé un bulletin nul dans l’urne ?

Le Parti communiste a toujours eu un électorat très loyal, traditionnellement assez âgé, conservateur, provincial. Mais on a aussi vu arriver depuis une décennie des jeunes des milieux urbains, des classes moyennes, pour qui le vote communiste constitue une forme de vote protestataire à l’intérieur de ce que le régime autorise. Il s’agit, dans ce cas, d’un vote qui signale leur attachement à l’État providence et à la justice sociale.

À côté de la fraude sophistiquée associée au vote en ligne, on observe encore, selon les contextes, des formes de fraude très artisanales. Le régime dispose dans ce domaine d’une grande variété de méthodes, qui s’adaptent à différents contextes régionaux et sociaux.

Marlène Laruelle

Le vote nationaliste pour le LDPR est également assez bien identifié. Le LDPR a quelques bastions régionaux importants, et attire une population souvent issue des classes moyennes de petites villes en perdition économique. Pendant longtemps, la personnalité excentrique de Vladimir Jirinovski 1 a constitué l’un des principaux facteurs du succès du LDPR. Avec Sloutski, on voit que le parti a perdu de son élan.

Enfin, il existe une certaine classe du secteur privé — non pas les grands oligarques, mais plutôt le petit business — qui vote pour des partis qui défendraient la liberté économique ou un certain nombre de droits privés face au parti au pouvoir, Russie unie, perçu comme un parti de bureaucrates et de technocrates.

Évidemment, ceux qui voulaient voter pour l’opposition libérale n’ont trouvé aucun candidat de leur camp parmi ceux admis à concourir. Ces personnes ont voté nul, ont porté leur voix sur l’un des trois candidats d’opposition — a priori, par sur le LDPR — ou se sont simplement abstenus.

Si aucun sondage fiable de sortie des urnes n’est disponible en Russie, on dispose en revanche d’exit-polls indépendants réalisés par des volontaires hors de Russie, reportés par exemple sur le site voteabroad.info. Ces enquêtes permettent d’obtenir une vision complémentaire du comportement électoral de la diaspora. Dans la majorité des États où des bureaux étaient ouverts, le candidat Vladislav Davankov a obtenu une majorité des voix, avec des scores particulièrement élevés notamment en Serbie, au Kazakhstan ou en Turquie — où existe une immigration récente due en grande partie aux mobilisations et à la guerre. À l’inverse, Poutine est arrivé probablement en tête en Allemagne, et l’a très largement emporté, notamment, en Italie ou en Grèce, où on trouve des scores très élevés en sa faveur dans les enquêtes indépendantes. Comment expliquer ces comportements électoraux divergents à l’intérieur de la diaspora ?

Ces résultats dépendent largement de la composition sociologique de la diaspora. Dans certaines diasporas plus anciennes qu’on trouve essentiellement en Europe occidentale, on observe clairement un vote en faveur de Poutine. En Grèce, des solidarités anciennes entre les deux pays existent, de même qu’en Italie. Le cas de l’Allemagne est également intéressant, puisqu’on y trouve une importante diaspora russophone dont on sait qu’une partie importante soutient l’AfD dans le cadre des élections nationales — ce qui est cohérent idéologiquement avec le vote Poutine.

Dans certaines diasporas plus anciennes qu’on trouve essentiellement en Europe occidentale, on observe clairement un vote en faveur de Poutine.

Marlène Laruelle

À l’inverse, dans les pays que vous avez mentionnés — Serbie, Kazakhstan, Turquie, auxquels j’ajouterais la Pologne et la République tchèque —, on observe un vote beaucoup plus nettement protestataire. Il s’agit là clairement du vote des diasporas qui sont arrivées soit en février-mars 2022, soit en septembre-octobre de la même année, soit quelques années auparavant pour des raisons politiques. Dans ces pays, la mobilisation de la diaspora est beaucoup plus forte, et fait écho à une activité des États de résidence sur la scène internationale — par exemple en Pologne — beaucoup plus défavorable à la Russie.

En Allemagne, ces deux diasporas, ancienne et récente, semblent se superposer…

Absolument. Et on sait d’ailleurs, grâce aux nombreuses études sociologiques effectuées sur ces diasporas, qu’existent en leur sein des tensions fortes entre différents courants, entre émigrés anciens et nouvelles générations plus politisées.

Les enjeux proprement politiques de l’élection du 15 au 17 juin étaient bien sûr limités. Mais on a quand même observé certaines actions de l’opposition, notamment le « Midi contre Poutine » lancé par des proches de Navalny. Et puis il y a eu cette seconde place probable de Davankov en l’absence de fraude, qui semble suggérer qu’une partie des jeunes et des urbains a voulu manifester son désaccord avec la politique actuelle. La manifestation de ces quelques gestes d’opposition pourraient-elles mener à un renforcement des persécutions perpétrées par le régime ?

Il y aura sûrement des effets, mais ceux-ci ne seront peut-être pas très directs ni massifs. On sait par exemple que celles et ceux qui ont courageusement déposé des fleurs sur la tombe de Navalny ont probablement été filmés, et on peut imaginer que des recherches seront menées et auront des conséquences pour certaines personnes. Mais pour le reste, je pense que le régime a l’impression de ne pas faire face à une dissidence massive. Son contrôle sur la société apparaît suffisant dans la mesure où parmi les individus qui sont opposés à la guerre et au régime, une majorité n’est pas prête à entrer activement en résistance. Le Kremlin n’est sans doute pas extrêmement inquiet à ce sujet. Il l’était davantage pour l’enterrement de Navalny, mais, de manière générale, l’impression qui domine est celle que la scène libérale est déjà sous contrôle grâce aux outils existants. Je ne pense donc pas que la répression changera d’ampleur.

La question la plus pressante aujourd’hui est surtout celle d’une seconde mobilisation. Va-t-elle être bien gérée ? Créer de nouvelles oppositions ? Les personnes orientées vers des valeurs libérales constituent une petite minorité, tandis que la mobilisation va toucher des groupes beaucoup plus importants qui, traditionnellement, soutiennent davantage le régime. Par conséquent, le régime doit s’assurer de ne pas voir sa base se retourner contre lui. Pour le Kremlin, la question est beaucoup plus pressante que celle de la gestion des libéraux encore présents en Russie.

Le régime doit s’assurer de ne pas voir sa base se retourner contre lui. Pour le Kremlin, la question est beaucoup plus pressante que celle de la gestion des libéraux encore présents en Russie.

Marlène Laruelle

L’élection russe a le plus souvent été analysée comme une manière de mobiliser ou de contrôler la population, notamment dans la perspective de la future mobilisation que vous évoquiez. Que sait-on de la capacité d’une élection de ce type — dont le vainqueur était connu d’avance —  à avoir un effet mobilisateur sur la population ?

Sa capacité mobilisatrice dépend fortement des groupes sociaux.

La Russie provinciale, la Russie rurale, la Russie âgée croient encore, dans sa grande majorité, au symbolisme rituel de l’élection comme plébiscite au bénéfice du président dans une période difficile. Je pense qu’il existe donc bien un effet symbolique qui est efficace vis-à-vis de certaines couches de la population.

Mais il est tout aussi vrai que dans les classes moyennes des grandes villes, qu’elles aient ou non voté pour Poutine, la population se rend bien compte qu’on leur demande de jouer un rôle auquel elle n’attache que peu d’importance. Les individus, soit ne vont pas voter, soit vont voter, mais sans accorder de grande valeur à leur action. Le vote est perçu comme une forme de geste obligatoire qu’on effectue sans se poser de questions.

Le président russe Vladimir Poutine visite le 344e Centre d’État pour le déploiement et la reconversion du personnel navigant du ministère russe de la Défense à Torzhok, région de Tver, Russie. © Mikhail Metzel/SPUTNIK/SIPA

Une conséquence de cette situation est que le régime ne peut jamais être entièrement sûr du degré d’acquiescement de la population. Il ne peut jamais vraiment savoir quel est le pourcentage de la population qui croit au mythe et quel est celui qui accepte seulement d’une manière passive ce qu’on lui demande, parce que les individus ne cherchent pas à entrer en conflit avec la logique du système.

Dans les classes moyennes des grandes villes, qu’elles aient ou non voté pour Poutine, la population se rend bien compte qu’on leur demande de jouer un rôle auquel elle n’attache que peu d’importance.

Marlène Laruelle

Finalement, l’élection est-elle aussi un outil parmi d’autres ? L’importance qu’on lui donne dans l’analyse de la situation politique semble devoir être nuancée au regard des différents moyens de pression disponibles.

Absolument. Le répertoire d’actions dont dispose le régime est extrêmement large, et les différents outils à sa portée parlent à différentes couches de la population. Pour la population, l’effet symbolique de l’élection, lorsqu’il existe, peut être assez marginal. Les éléments clefs qui fédèrent à l’heure actuelle les soutiens à Poutine sont d’une part le discours idéologique sur la guerre existentielle avec l’Occident et d’autre part les soutiens financier et matériel que le régime accorde à tous ceux qui partent au front et à leurs familles.

L’action du régime poutinien combine soutien matériel à sa base, mobilisation idéologique et répression. Chacun de ces outils fonctionne pour certains groupes, mais aucun ne fonctionne pour l’ensemble de la  population.

En Europe — hors Belarus — seuls les dirigeants serbes et hongrois, Vučić et Orbán, ont félicité Poutine pour sa victoire. Les deux États ont connu une perte de qualité démocratique significative, mais aussi des cas de fraude électorale, avec notamment des soupçons de fraude massive à Belgrade en décembre dernier. La réaction de ces deux dirigeants tient-elle d’abord à des considérations géopolitiques ou trahit-elle simplement un désintérêt pour le cadre normatif de la démocratie libérale et des élections libres ?

Les deux aspects coexistent, bien sûr. Évidemment, les deux dirigeants sont dans une logique que j’appelle illibérale et n’éprouvent donc pas de difficulté particulière à féliciter Poutine pour une élection qui est en réalité un plébiscite. Mais il me semble que la dimension géopolitique, la doctrine d’équidistance, constitue vraiment le point crucial dans les deux cas. Pour Orbán, c’est une manière de gêner Bruxelles et les autres partenaires européens ; pour Vučić, il s’agit de se maintenir dans une situation où la Serbie a l’impression qu’elle peut mettre la pression sur l’Europe, et non pas seulement être elle-même mise sous pression. Il existe par ailleurs une tradition politique, dans ces deux pays, qui consiste à s’inscrire dans des logiques de provocation parce que la provocation crée des marges de manœuvre au plan géopolitique.

L’action du régime poutinien combine soutien matériel à sa base, mobilisation idéologique et répression. Chacun de ces outils fonctionne pour certains groupes, mais aucun ne fonctionne pour l’ensemble de la  population.

Marlène Laruelle

L’autre élément illibéral majeur se trouve aux États-Unis. Comment le camp Trump a-t-il réagi à cette élection ?

La galaxie Trump a réagi de manière hétérogène. Certains au sein du monde trumpiste ont pu faire des déclarations très démonstrativement pro-russes — notamment dans la manière dont ils ont réagi à l’interview de Poutine par Tucker Carlson. Et puis il existe des milieux trumpistes beaucoup plus modérés dans leur appréciation de l’élection : soit ils ne la commentent pas, soit ils la commentent de manière très neutre, parce que, s’adressant à un électorat américain et intégrés à l’establishment, ils n’ont pas envie d’être identifiés comme pro-Poutine. Certains s’inscrivent aussi dans une tradition très anti-russe présente au Congrès ou au Sénat.

On observe donc tout un spectre de réactions. Dans « l’écosystème MAGA », on compte à la fois des pro-russes sincères, admiratifs de Vladimir Poutine, et des isolationnistes pour qui ce qui compte, ce ne sont pas les qualités hypothétiques de Vladimir Poutine, mais leur refus de payer pour la guerre et de financer les Ukrainiens. Il ne faut donc pas croire que le camp trumpiste serait enthousiaste de Poutine. La grande majorité s’inscrit dans une logique isolationniste, ni pro-russe ni anti-russe, pour qui le soutien à l’Ukraine n’a pas vraiment d’importance.

Au-delà même des manœuvres d’ingérence et de désinformation classiques que déploie le pouvoir poutinien en Europe, le monde politique russe entretient des liens de proximité idéologique voire personnels avec une partie du monde politique européen. Une partie significative de l’extrême droite occidentale a exprimé ou exprime toujours ses sympathies vis-à-vis d’un Poutine nationaliste et ultraconservateur. Quant à certaines franges de la gauche, nostalgiques d’une certaine URSS, elles entretiennent vis-à-vis du Kremlin une relation ambivalente. Enfin, beaucoup de partis des minorités russes d’Europe orientale et une partie des diasporas sont toujours ouvertement favorables au poutinisme. Certes, la guerre en Ukraine a rendu l’essentiel de ses discours plus ou moins inaudibles et forcé certains acteurs à se repositionner, mais ceux-ci n’en ont pas pour autant disparu. Au plan politique, quelle capacité d’attraction conserve aujourd’hui l’idéologie poutinienne en Europe ? Quels relais individuels peuvent-ils toujours mobiliser ?

Il est devenu plus difficile de répondre à cette question ces derniers mois du fait des liens qui, en façade du moins, se sont largement distendus. Je pense que l’attraction idéologique de fond demeure, autour d’une Russie que l’on voit comme capable de résister à l’influence américaine, qui dénonce le libéralisme, qui croit en des valeurs conservatrices, chrétiennes, à la vieille Europe, qui rejette le multiculturalisme et promeut un souverainisme politique, géopolitique, économique, culturel, symbolique. Cette attraction reste importante dans certains milieux, mais elle ne peut pas s’exprimer politiquement à cause de la guerre.

La grande majorité du camp Trump s’inscrit en réalité dans une logique isolationniste, ni pro-russe ni anti-russe, pour qui le soutien à l’Ukraine n’a pas vraiment d’importance.

Marlène Laruelle

Plus les forces politiques poussent une logique de normalisation, de dédiabolisation, plus elles ont dû se détacher de leurs liens avec la Russie pour rester en contact avec leur propre opinion publique. Lorsqu’on s’intéresse à des mouvances extrêmement radicales qui ne sont pas présentes sur la scène électorale, on observe, à l’inverse, qu’elles peuvent continuer à exprimer publiquement leur admiration pour Poutine.

Le cas du Rassemblement national français est particulièrement flagrant, dans lequel on est passé d’un discours très ouvertement pro-russe à un discours beaucoup plus nuancé. Deux cas qui me paraissent intéressants parce qu’on continue à y voir des extrêmes droites ouvertement pro-russes sont d’une part l’Allemagne avec l’AfD et d’autre part une partie de l’extrême droite italienne autour de Matteo Salvini. En Italie, on trouve d’ailleurs les deux extrêmes droites, la pro-russe (Salvini) et la pro-OTAN (Meloni), qui continuent de gouverner ensemble malgré des dissensions.

En Europe centrale, on trouve évidemment la Hongrie, mais aussi la Slovaquie, qui se présente maintenant dans une situation quasi similaire à celle de la Hongrie en termes de discours, et la Serbie. Mais le cas le plus fascinant est celui de l’Allemagne, où AfD reste encore très ouvertement pro-russe et n’a pas du tout effectué le trajet idéologique qu’a fait le Rassemblement national au cours des deux dernières années. Donc la symbolique politique dont est porteuse le régime me paraît toujours être là, même si les alliances géostratégiques ont changé.

La symbolique politique dont est porteuse le régime poutinien me paraît toujours être là, même si les alliances géostratégiques ont changé.

Marlène Laruelle

S’agissant de la dimension spécifiquement nationaliste du discours poutinien, on peut observer certaines convergences entre l’idéologie du Kremlin et celle qui dominent dans certains États occidentaux où l’extrême droite est en progression. Cette évolution pourrait-elle donner au discours de Poutine la capacité de pénétration dans l’opinion publique qui lui fait défaut aujourd’hui ?

Les études dont on dispose montrent que même s’il peut y avoir symbiose idéologique entre certaines élites européennes et le discours russe, cette symbiose ne s’impose pas nécessairement au niveau des opinions publiques. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une personne vote pour Marine Le Pen qu’elle a une opinion nécessairement favorable de la Russie. De manière générale, le vote est focalisé sur des questions de politique intérieure et non de politique internationale.

Cela dit, je pense qu’on constate des tendances profondes dans les sociétés européennes, qui s’expliquent par des raisons internes et non par l’action de la Russie, mais qui peuvent in fine servir les intérêts russes : tensions sur les questions migratoires, demandes de régimes plus autoritaires, d’un leader qui n’aurait pas peur de contourner les normes démocratiques au nom de l’efficacité de l’État, etc.

Ce que la guerre a surtout montré, c’est que les deux aspects de l’illibéralisme et de l’orientation géopolitique peuvent être complètement dissociés. De fait, des tendances illibérales peuvent se développer en Europe et donner du pouvoir à des partis d’extrême droite dont les orientations géopolitiques ne seront pas pro-russes. C’était le cas en Pologne jusqu’à récemment, où le parti Droit et Justice, malgré un parallèle assez impressionnant avec la Russie sur le plan du discours sur les valeurs, était en opposition complète avec Moscou. On observe des tendances similaires chez Meloni.

Même s’il peut y avoir symbiose idéologique entre certaines élites européennes et le discours russe, elle ne s’impose pas nécessairement au niveau des opinions publiques : ce n’est pas parce qu’une personne vote pour Marine Le Pen qu’elle a une opinion nécessairement favorable de la Russie.

Marlène Laruelle

La guerre nous a permis de dissocier ce qu’on imaginait être « l’influence russe » de certaines logiques internes aux sociétés européennes qui peuvent être mises en parallèle avec les discours de l’élite russe. Plus qu’une influence, on observe dans de nombreux cas une confluence d’intérêts et de discours.

Dans le cas de l’AfD, plusieurs facteurs contribuent à une permissivité plus importante vis-à-vis du pouvoir poutinien : d’une part le rôle des diasporas dans la composition même du parti, et d’autre part son ancrage plus fort à l’est, avec une logique de rejet de la domination de l’Ouest, de nostalgie, de rejet critique voire ultra-critique du rôle des États-Unis. Cette nostalgie de l’Est dans le cas allemand n’est-elle pas le plus proche analogue, au sein de l’Union, de la nostalgie de l’URSS qu’on observe dans une partie de l’électorat russe ?

Oui, absolument. Je pense qu’il y a effectivement une forme de nostalgie, qui s’accompagne également d’une perception de perte de subjectivité, d’un sentiment d’avoir été « colonisé » par Bruxelles. Une partie des milieux politiques polonais, hongrois ou slovaques ont pu jouer cette carte de la « vraie Europe » s’opposant à un pouvoir bruxellois qui imposerait des normes qui ne sont pas les normes européennes « authentiques ». Mais le cas est-allemand est en effet plus net encore, avec une perte de l’identité nationale de l’ancienne RDA, son absorption par l’Allemagne de l’Ouest, suivie d’une longue période de rééquilibrage. Cette expérience peut en effet être mise en parallèle avec le vécu d’une grande partie de la population russe pour qui la chute de l’Union soviétique a constitué un véritable traumatisme social, économique, culturel, politique qui a ensuite été réactivé par le régime. 

Les frustrations qui en découlent sont extrêmement profondes et ancrées socialement et culturellement. Évidemment, elles sont cultivées par les élites politiques, mais elles ont un fond qui résonne avec des expériences vécues — cela constitue une partie de la base électorale de l’extrême droite européenne traditionnellement favorable au Kremlin.

Orbán, justement, est ambigu sur ses relations à la Russie : il est pro russe par bien des aspects, mais lorsqu’on regarde les instituts et les think tanks qui gravitent autour de lui, ils sont tous connectés aux milieux républicains et trumpistes.

Marlène Laruelle

Au sein du groupe Identité et démocratie (ID) au Parlement européen, les réactions ont été diverses. Tandis qu’on a vu les Vrais Finlandais changer de groupe au Parlement européen pour rejoindre les Conservateurs et réformistes européens (CRE), certains partis en son sein continuent à s’opposer frontalement aux sanctions et à plaider pour une certaine distance. On peut évoquer le Parti pour la liberté d’Autriche (FPÖ), dont le positionnement reste pro-Kremlin. Observe-t-on entre ces deux ensembles de partis une véritable rupture, ou s’agit-il simplement d’une différence de discours ?

Je pense qu’il y a malgré tout une véritable rupture dans un certain nombre de ces partis. Évidemment, on peut voir une partie de cet ajustement politique comme opportuniste. Toutefois, certains ont sans doute éprouvé le sentiment que la Russie avait commis des actions qui ne pouvaient être validées.

Par ailleurs, plus le discours illibéral et d’extrême droite croît en Europe, moins ses représentants sont tributaires de l’image de la Russie. Ces représentants peuvent beaucoup plus facilement trouver des modèles européens qui partagent les mêmes vues. Par beaucoup d’aspects, Orbán a remplacé Poutine comme référent symbolique du mouvement illibéral européen et américain. Or Orbán, justement, est ambigu sur ses relations à la Russie : il est pro russe par bien des aspects, mais lorsqu’on regarde les instituts et les think tanks qui gravitent autour de lui, ils sont tous connectés aux milieux républicains et trumpistes. Il a donc énormément de connexions américaines tout en jouant une carte géopolitique pro-russe.

On observe ainsi une recomposition globale du champ européen qui permet de ne plus avoir besoin de la Russie pour affirmer le retour aux « vraies » valeurs européennes, conservatrices, chrétiennes, etc. Pour autant, une certaine dimension conjoncturelle existe bel et bien. Certains partis, suivant la personnalité de leur leader et leurs stratégies électorales, s’adaptent sincèrement, tandis que d’autres « jouent le jeu » pour un temps, estimant ne pas pouvoir se permettre d’être pro-russes. Si un jour ce discours redevenait acceptable, on reverrait certainement certaines personnalités bifurquer. Découpler les deux aspects est toujours difficile, car il n’est pas aisé de juger du degré de sincérité des acteurs politiques.

Dans le cas du FPÖ, les expressions de sympathie vis-à-vis de Moscou n’empêchent pas le parti d’obtenir de bons résultats dans les sondages. L’extrême droite est actuellement en tête des enquêtes d’opinion, et la probabilité qu’elle participe au prochain gouvernement est assez élevée. N’est-ce pas là la preuve paradoxale que le revirement engagé par exemple par le RN était superflu au plan purement électoral ?

Ce qui aide la partie de l’extrême droite européenne qui n’a pas fait son aggiornamento, c’est le fait que la guerre devienne longue, qu’on entre dans  une phase où la défaite annoncée de la Russie n’a pas eu lieu. Le poids de la guerre sur l’Europe est en train de changer. Cela facilite la normalisation du discours qui venait de tous ces partis d’extrême droite, dont la teneur était : « nous ne pouvons pas nous le permettre, la guerre va coûter cher et être longue, cela nous pénalise trop ». Les partis en question étaient initalement en désaccord avec le ton général, très émotionnel, du discours en faveur de l’Ukraine. Mais alors que nous entrons dans une période où le discours s’est beaucoup tamisé et est devenu plus inquiet, ils se retrouvent sur des tonalités qui sont plus acceptées par la population.

Ce qui aide la partie de l’extrême droite européenne qui n’a pas fait son aggiornamento, c’est le fait que la guerre devienne longue, qu’on entre dans  une phase où la défaite annoncée de la Russie n’a pas eu lieu.

Marlène Laruelle

D’une certaine manière, le FPÖ et ses confrères ont devancé un changement de l’opinion publique qui fait qu’ils se retrouvent aujourd’hui dans une sorte de mainstream, ce qui n’était pas le cas au tout début de la guerre, où ils étaient considérés comme pas assez favorables à l’Ukraine et encore trop pro-russes.

Le discours ultraconservateur poutinien est très compatible, dans ses grandes lignes, avec ce qu’on peut entendre de figures politiques comme Kaczyński ou Zemmour. On pourrait imaginer à la rigueur une forme de ralliement de tous les illibéraux à cette ligne ultra conservatrice, comme on a pu le voir en partie aux États-Unis avec la frange la plus dure du parti républicain. L’un des risques d’un allongement du conflit, avec une issue potentiellement défavorable à l’Ukraine, n’est il pas précisément de voir réémerger en Europe une extrême droite qui se resolidariserait autour et avec la figure poutinienne ?

Il me semble que le risque principal aujourd’hui est celui de voir émerger, au sein-même des gouvernements de plusieurs pays européens, des forces d’extrême droite qui non pas redeviennent pro russes, mais qui considèrent qu’elles ne peuvent pas payer pour l’Ukraine. Il n’est pas besoin pour cela d’un ralliement idéologique aux valeurs représentées par l’État russe. Des arguments pragmatiques autour des coûts de la guerre suffisent. C’est également ce qu’on observe du côté américain, où ce sont d’abord des politiques isolationnistes qui permettent de légitimer le discours du rejet de l’aide à l’Ukraine.

Une fois de plus, je ne pense pas que l’idéologie soit le facteur principal ici. Il suffit de regarder le cas polonais ou italien, où l’extrême droite n’est pas pro-russe. Ce qui va jouer, surtout, c’est l’idée qu’on ne peut pas payer et qu’il faut donc, au bout d’un moment, mettre fin au soutien à l’Ukraine. Suivant la manière dont le conflit évoluera et avec le débat qui a été récemment rouvert, en particulier en France, une autre question pourra également se poser autour de l’envoi de troupes. La question de l’engagement matériel et financier pourrait alors se doubler d’une question d’engagement humain.

Plus que l’argument idéologique de la grande puissance russe ultraconservatrice, c’est l’argument du repli sur soi, de l’impossibilité de payer davantage pour l’Ukraine qu’on devrait voir émerger de manière plus visible dès les élections européennes, suivant le succès des partis d’extrême droite, et puis une seconde fois en novembre à l’occasion des élections américaines.

Plus que l’argument idéologique de la grande puissance russe ultraconservatrice, c’est l’argument du repli sur soi, de l’impossibilité de payer davantage pour l’Ukraine qu’on devrait voir émerger de manière plus visible dès les élections européennes.

Marlène Laruelle

Vous évoquiez le rôle décisif de la prochaine élection américaine. Quelles sont pour vous, dans la séquence actuelle, les convergences et les divergences possibles entre poutinisme et trumpisme ?

Les deux idéologiques se recoupent sur certains points, mais non sur tous. L’interview de Poutine par Tucker Carlson a bien montré à quel point il était difficile pour les deux camps de se parler. Poutine a énormément parlé de la Russie, du conflit et de l’histoire de la relation Russie-Ukraine, autant d’aspects que Carlson n’attendait pas. Il n’a pas réussi à faire parler Poutine sur les valeurs conservatrices et traditionnelles telles qu’il les attendait. Ils étaient par ailleurs en désaccord sur la Chine : évidemment, la vision trumpiste de la Chine est extrêmement négative, tandis que la vision russe est positive.

De manière générale, des interprétations divergentes de la scène internationale et du rôle des États-Unis rendent difficile la mise en avant des éléments que les deux camps partagent en termes de souverainisme, de protectionnisme, de critique de la globalisation et des valeurs libérales. Dans la pratique, la relation est donc difficile à faire fonctionner. Et par ailleurs, il existe comme je le disais au sein du mouvement trumpiste tout un establishment républicain qui n’a pas envie de payer pour l’Ukraine, mais qui n’en est pas pour autant pro-Poutine. La relation est donc plus complexe que ce qu’on veut souvent imaginer.

L’impact des élections de novembre sera évidemment majeur. Si Trump est élu, on peut imaginer qu’une partie de son establishment cherchera à forcer la main de l’Ukraine pour trouver une solution de paix, mettant l’Europe dans une situation inextricable. Si Trump ne gagne pas, il y aura probablement des violences au sein de la société américaine, qui seront malgré tout perçues comme problématiques pour le régime russe. Certes, on peut voir le côté positif pour la communication du Kremlin, qui en profitera pour présenter les États-Unis comme un pays décadent, rongé par des violences internes. Mais je ne suis pas non plus sûre que le Kremlin ait intérêt à ce type d’instabilité. La meilleure solution pour Poutine serait évidemment l’élection de Trump, suivie d’une offre de cessez-le-feu adressée par Trump à Moscou. Toutefois, on sait très bien que ce ne sont pas Moscou et Washington qui décideront de ce que sera la position ukrainienne.

On sait très bien que ce ne sont pas Moscou et Washington qui décideront de ce que sera la position ukrainienne.

Marlène Laruelle

En fait, la stratégie de la Russie est multidimensionnelle : il peut y avoir une stratégie qui consiste à tenter de s’entendre avec Trump s’il est élu, en particulier sur les questions de l’Ukraine, de l’OTAN et de l’Europe, cohabitant une logique de confrontation avec les États-Unis dans le reste du le monde. Le régime russe adopte en effet en d’autres occasions une approche pro-chinoise, pro-iranienne, en faveur du monde multipolaire, du sud global… qui vont vraiment à l’encontre de ce que sera une grande partie de la politique étrangère de Trump au cas où il est élu. En réalité, le seul moment où on pourrait vraiment imaginer des intérêts qui se recoupent, c’est autour de la question ukrainienne et du rapport à l’Europe, ce qui ne nous arrange pas. Sur toutes les autres plateformes, il sera beaucoup plus difficile pour la Russie de se retrouver dans une situation de soutien à Trump.

Pour Trump comme pour Poutine, ce ne sera pas nécessairement un problème. Nous vivons dans un ordre international qui est devenu beaucoup plus transactionnel, où des acteurs peuvent être en partenariat sur une question et en désaccord sur une autre. Donc je pense qu’ils tenteront sans doute de s’accorder sur le dossier ukrainien, mais sans qu’on puisse s’attendre à une forme d’unanimité sur le reste des grands enjeux internationaux, parce que les deux camps restent en désaccord sur énormément de choses.

Sources
  1. Décédé en avril 2022.