Deux fois par an, à l’automne et au printemps, l’Est de l’Europe — de la Crimée au Bélarus — se transforme en un champ de boue qui limite les déplacements en-dehors des routes. Ce phénomène météorologique, la raspoutitsa, a historiquement ralenti les opérations militaires d’envergure en Ukraine (Napoléon en 1812, Hitler en 1944).

 Cette formation boueuse est provoquée par la convergence de plusieurs éléments.

  • Le rapide réchauffement des températures au mois de mars, la fonte des neiges ainsi que la composition des sols.
  • La majeure partie des sols ukrainiens — à l’exception du Sud du pays, autour de Kherson, Melitopol et Tokmak — est composée de tchernoziom, riche en argile et en humus1.
  • Le tchernoziom dispose d’une grande capacité de rétention des eaux et de l’humidité qui favorise la productivité agricole. L’épaisseur du tchernoziom ukrainien, qui peut aller jusqu’à plusieurs mètres, rend néanmoins le terrain impraticable par endroits pour les véhicules lourds.

Les chars soviétiques utilisés par l’armée ukrainienne (7-64, T-72, T-80…) pèsent en moyenne une quarantaine de tonnes, selon leur configuration. Leurs équivalents occidentaux, plus modernes et disposant d’un meilleur blindage, sont quant à eux 50 % plus lourds : un char américain M1 Abrams peut peser jusqu’à 70 tonnes.

  • Au début du mois de mars, un journaliste britannique du Sun qui avait rejoint un équipage ukrainien de Challenger 2 — les chars d’assaut envoyés par le Royaume-Uni — sur le terrain s’est retrouvé complètement bloqué dans la boue. Un deuxième char a dû être mobilisé pour extirper le premier2.
  • La dégradation des sols devrait se prolonger en mars-avril à mesure que les températures se réchauffent en Ukraine. À partir de mai, les précipitations devraient elles aussi augmenter, contribuant à la hausse du taux d’humidité des sols et, donc, à la persistance de la boue3.

L’instabilité des sols, la durée de la raspoutitsa ainsi que les taux de précipitations au cours des prochains mois peuvent sensiblement varier d’une année à l’autre, tandis que la supériorité russe en termes de moyens humains et de munitions est quant à elle une constante qui devrait durer au moins plusieurs mois — en l’absence de nouvelles aides militaires massives ou bien d’une nouvelle mobilisation ukrainienne. La météo pourrait temporairement limiter les risques d’une progression russe significative sur le front, laissant plus de temps à l’armée ukrainienne pour fortifier ses lignes de défense.

Sources
  1. Neli Jordanova, « Magnetism of soils with a pronounced accumulation of organic matter in the mineral topsoil : Chernozems and Phaeozems » dans Soil Magnetism, 2017, pp. 29-64.
  2. Jerome Starkey et Den Savenkov, « I joined Ukrainian soldiers in Brit-made Challenger 2 tanks that blast Russian invaders from up to 4.5km away », The Sun, 8 mars 2024.
  3. Cliff Mass, Mud Season In Ukraine, 15 mars 2022.